« Un esprit sain dans un corps sain ». Le bien-être des collaborateurs est une valeur qui gagne du terrain dans le monde de l’entreprise et cette devise, attachée au milieu sportif, est bien présente dans l’esprit des cadres. C’est ce que nous apprend l’étude Apec sur le sujet. Dans le discours managérial, le pont entre sport et entreprise est construit. Mais le sport, en tant que pratique, reste encore peu mobilisé.
Le sport : un vocabulaire plus qu’une pratique
Après la performance, le dépassement de soi et la compétition, le bien-être et l’esprit d’équipe sont les deux valeurs que les cadres associent le plus au sport. Les premières sont de véritables « valeurs-travail », comme le souligne l’étude de l’APEC, publiée en juillet dernier. Pour les non-pratiquants, elles peuvent avoir une connotation négative (stress, pression). Les secondes sous-tendent, a contrario, les notions de plaisir, de détente ou encore d’expérience collective. C’est par cette voie que le sport se fraie un chemin dans l’entreprise. Lorsque les entreprises participent aux Challenge des Grandes Ecoles et invitent les étudiants et leurs collaborateurs à participer à un tournoi de foot, ce n’est pas pour la confrontation, mais pour la convivialité. Le sport s’impose comme un moyen de se connaître « autrement », hors du cadre professionnel. C’est ce que mettent en avant les entreprises qui offrent à leurs collaborateurs une salle de sport ou un parcours-santé. D’autres s’investissent dans le sport par la participation à des marathons, de New York à La Parisienne. Dans ce cadre réapparaissent dès lors les notions de performance et de compétition.
« Les entreprises viennent à nous parce qu’elles veulent créer une expérience, une émotion pour connecter les gens, décloisonner les départements », commente Gilles Lorin de Reure, Président de Bibaïsport, agence de conseil en communication interne et RH par le sport. Selon lui, organiser une journée sportive ou se rattacher à un événement extérieur n’est pas suffisant. « C’est très éphémère. Si cela permet de créer du lien, c’est le seul objectif. Il faut manager les hommes et les femmes de l’entreprise par le sport dans la durée », poursuit-il. Créer un événement sportif en interne, un concept général qui va répondre aux enjeux du management, lui semble beaucoup plus efficace.
Seuls 18% des cadres, selon l’Apec, indiquent que le sport et ses valeurs sont mobilisés au sein de leur entreprise. « Quand le sport est mobilisé, c’est essentiellement via le sponsoring sportif, la communication externe, des événements sportifs organisés en interne ou l’encouragement à la pratique sportive (notamment grâce au comité d’entreprise) », précise l’étude. Du côté des responsables hiérarchiques, le sport est bel et bien mobilisé… dans le discours, via un vocabulaire sportif. « C’est la force symbolique des valeurs associées au sport qui est mobilisée, même si les implications concrètes peuvent être faibles », analyse l’Apec.
Les limites du discours sportif
Mais le vocabulaire sportif a-t-il sa place dans le management ? Est-il efficace ? Pour Gilles Lorin de Reure, si l’entreprise veut faire appel au sport et à ses valeurs au sein de sa structure, il faut aller au-delà-du discours. « On peut en effet faire intervenir un sportif de renom – cela s’est beaucoup fait – qui raconte aux collaborateurs son processus, de la préparation jusqu’aux Jeux Olympiques. Il parle de persévérance, d’entraînement, mais le parallèle est trop éloigné pour avoir un intérêt. Ce discours ne marque pas les esprits », considère le spécialiste de la communication par le sport. Lui-même, lorsqu’il organise un événement sportif au sein d’une entreprise, fait pourtant appel à des sportifs de renom. Mais le discours est alors rattaché à la pratique. La rencontre est une base de réflexion, et non une fin en soi, dans un projet global.
Pour l’Apec, la transposition du discours sportif dans l’entreprise a surtout des limites. Si la figure du « manager-entraîneur » est reconnue par les deux tiers des cadres, l’analogie, mise en pratique, s’avère « peu vraisemblable ». On ne pourrait manager ses collaborateurs comme on entraine une équipe de basket pour deux raisons. D’abord, parce que « dans une équipe sportive (…) chacun a se place et un rôle précis » tandis que dans l’entreprise « les dirigeants sont à la fois juges, parties, arbitres et maîtres des règles ». Deuxième raison : « la gestion de l’échec est une dimension essentielle de la préparation et de l’entraînement des sportifs ». Ce qui ne serait pas le cas dans l’entreprise. Selon l’étude, les pratiques managériales n’intègreraient pas cette dimension. Dans l’entreprise, « perdre » rimerait avec sanctions. « Tout dépend des managers, contrebalance le Président de Bibaïsport. L’erreur, dans l’entreprise, comme dans le sport, fait progresser. Il y a des hauts et des bas, des changements de stratégie ; tout le monde fait des erreurs ».
Typhanie Bouju