L’inclusion des personnes LGBTQIA+ en entreprise est encore un sujet en 2023. Le ministère de l’intérieur indique que 11% des “actes anti-LGBTQIA+ rapportés” ont eu lieu au travail en 2021.
Pour comprendre comment les entreprises peuvent agir, j’ai rencontré Hamid Hassani, Directeur Général de Têtu et de Têtu Connect, le premier Think Tank rassemblant les acteurs du monde du travail afin de promouvoir les talents LGBTQI+ et favoriser leur inclusion en entreprise.
Alors : quelles sont les bonnes pratiques, quelles sont les erreurs à éviter ? Découvrez le dans cette interview.
Inclusion LGBTQIA+ : pourquoi c’est toujours un sujet ?
Parmi la nouvelle génération, 22% des Français de moins de 26 ans s’identifient comme LGBTQIA+ (étude Ipsos, juin 2023). “ Il s’agit de nos futurs managers, de personnes encore à l’école et qui sont à l’aise avec eux-mêmes. Pourtant, en parallèle, les actes homophobes et de violences envers les personnes LGBTQIA+ ont doublé en 5 ans « , souligne Hamid Hassani.
En effet, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur :
- Sur la période 2016-2021, le nombre d’actes anti-LGBT+ a doublé (+104%)
- 11% des actes rapportés ont eu lieu au travail en 2021, contre 9% en 2020. Parmi les principales formes de discriminations et de violences, la plus citée est le rejet (57%), suivie du harcèlement par des collègues (49%) voire d’insultes (48%).
De plus, des inégalités subsistent encore au sein des politiques RH notamment en matière de congés parentaux. “ Au sein des grands groupes industriels du CAC 40, si un couple homosexuel a recours a des techniques pour accueillir un enfant, le premier et le second parents ne bénéficient pas des mêmes droits “ explique Hamid Hassani.
Une étude de l’OCDE a mesuré que les stratagèmes visant à dissimuler “qui on est” représentent 26% de l’énergie productive d’un individu. Une énergie qui pourrait être au service de la performance de l’entreprise.
Toutefois, un frein subsiste : l’incapacité des entreprises à mesurer leurs actions en matière de diversité et d’inclusion.
La plupart des entreprises ne savent pas si elles ont 1, 10, 100 collaborateurs LGBTQIA+ et s’intéressent peu au sujet.
Pourtant, l’employeur a une part de responsabilité dans la prévention des risques psychosociaux (RPS). Ne pas soulever la question de l’inclusion, c’est discriminatoire. Facile à dire, car on demande aux entreprises de finalement corriger les défauts de notre société.
Le problème est plus profond, plus ancré, il puise ses racines dès l’école. Têtu Connect a créé un événement nommé Têtu Campus qui vise à mettre en lien les étudiants en dernière année d’étude avec des entreprises engagées, afin qu’ils se rencontrent en abordant un axe sociétal.
Dépasser le rainbow washing
Le rainbow washing équivaut à la même pratique que les entreprises qui promeuvent leur marque employeur en mode washing, c’est-à-dire qui communiquent sans véritablement agir en interne en faveur d’un sujet. En bref, le washing, c’est faire de la publicité mensongère en surfant sur une cause (sociale ou environnementale) pour améliorer son image et sa réputation.
Les marques qui s’adonnent au rainbow washing récupèrent ainsi la cause de l’inclusion des personnes LGBTQI+ au sein de la sphère professionnelle pour faire rayonner leur marque. Le mois des fiertés est particulièrement propice au fait d’utiliser les couleurs arc-en-ciel pour apporter un soutien de façade à cette cause.
“ Personne n’imagine ce que c’est qu’être dans la tête d’une personne LGBTQIA+ qui, chaque jour, se demande à qui elle l’a dit, à qui elle ne l’a pas dit, et qui pèse chacun de ses mots. En termes de charge mentale, c’est hallucinant. ”
Hamid Hassani, Directeur Général de Têtu
Le risque du rainbow washing de la marque employeur est donc important. Hamid insiste sur ce point : il faut commencer par avoir une posture irréprochable en interne avant de communiquer en externe pour espérer améliorer son image et recruter de nouveaux candidats.
C’est-à-dire s’assurer que tous les collaborateurs se sentent représentés, que des actions soient mises en place afin de visibiliser la population LGBTQIA+ au sein de l’organisation “avant de colorier son logo aux couleurs arc-en-ciel”. Au risque sinon de créer de l’incompréhension et des retours négatifs.
Les 2 pires erreurs qu’une entreprise puisse faire selon Hamid Hassani :
- Se contenter de signer une charte sans mettre en place d’autres actions.
- Commencer par communiquer en externe en fermant les yeux sur ce qu’il se passe en interne.
“ J’ai parlé à énormément de DRH qui me disaient : Mais pourquoi parle-t-on de ce sujet ? Il s’agit de la vie privée des collaborateurs. On n’a pas à savoir avec qui les gens couchent. Certaines personnes assimilent donc l’orientation sexuelle et l’identité de genre avec la vie privée. Notre mission est de faire évoluer ce paradigme. “
Alors, comment faire pour agir en faveur de ce sujet si l’entreprise ne l’a jamais véritablement abordé ?
Comment devenir une entreprise LGBTQIA+ inclusive ?
Têtu Connect accompagne les entreprises dans l’audit de leurs pratiques en matière de diversité et d’inclusion LGBTQIA+.
Le Think Tank participe également aux réflexions des organisations et les accompagne dans la création de leur roadmap Diversité & Inclusion.
L’entreprise a récemment commencé à travailler avec le groupe LVMH. Hamid Hassani m’a confié que ce qui a été très intéressant, c’est que les pays anglo-saxons ainsi que l’Asie ont été particulièrement porteurs du message d’inclusion des personnes LGBTQIA+.
Cette émulation des autres pays contrastait avec la situation en France.
Sous l’impulsion de la DRH Chantal Gaemperle, membre du Comex dans le groupe LVMH, la situation a évolué rapidement : recrutement d’une directrice diversité et inclusion, actions concrètes, signature d’une charte… Un événement a été organisé le 30 mai dernier par LVMH avec tous les membres du Comex.
Résultats : 400 personnes étaient présentes, dont 10 membres du Comex, des CEO de Maisons etc.
Pour Hamid Hassani, cet engagement collectif sur le sujet permettra d’imprégner la culture au sein des autres Maisons. Chantal Gaemperle a d’ailleurs pris la parole publiquement et une interview est parue dans Têtu l’année dernière. Le groupe LVMH ne s’est donc pas contenté de signer une charte sans faire bouger les lignes de l’intérieur.
Pour faire bouger les lignes, cela commence par une implication sans faille de la direction générale de l’entreprise.
L’importance de parler des diversités
L’entreprise est une communauté en soi, diverse et composée de différents profils.
Mais comment faire pour réussir à inclure toutes les diversités sans créer de discriminations supplémentaires ou inversées ?
Hamid Hassani estime que le militantisme n’a pas sa place en entreprise.
Cependant, les collaborateurs peuvent s’engager pour favoriser les droits des personnes LGBTQIA+ dans le milieu professionnel.
Des communautés engagées sur l’égalité femmes hommes, organisées sous forme d’association promouvant la visibilité des femmes dans l’environnement professionnel existent en entreprise.
Des communautés de collaborateurs en charge de la visibilité des personnes LGBTQIA+ ou de groupes ethniques peuvent aussi exister. “ Toutefois, le risque de créer de la compétition entre ces groupes est réel ” , affirme-t-il.
Selon lui, la meilleure façon d’inclure une ou des diversités, c’est de parler des diversités au sens large. C’est pourquoi il est important de parler d’intersectionnalité.
“Un être humain est à l’intersection d’une ou de plusieurs diversités. Par exemple, une femme qui est lesbienne porte une diversité qui peut être invisible si elle ne parle pas de son orientation sexuelle. Elle peut aussi être racisée et avoir un handicap, visible ou invisible. C’est ça, l’intersectionnalité. “
Hamid Hassani, Directeur Général de Têtu
Il cite, sur ce sujet, les bonnes pratiques mises en place par le groupe AXA.
L’entreprise a créé un réseau diversité inclusion, un ERG (Employee Resource Groups), traitant de toutes les diversités. Tout le monde est invité à rejoindre la ou les causes qui lui sont chères pour rendre son environnement professionnel plus inclusif.
En savoir plus sur Têtu Connect
La genèse du projet Têtu Connect a évolué au fur et à mesure des rencontres de Hamid Hassani et Albin Serviant avec les DRH et les CEO de grandes entreprises. À l’origine, l’idée était de réunir les acteurs de la diversité et de l’inclusion lors d’événements afin qu’ils puissent partager les meilleures pratiques des entreprises concernant la question de l’inclusion des personnes LGBTQIA+.
Avec l’arrivée de la pandémie, l’offre du Think Tank a évolué. Têtu Connect vise à accompagner les différentes strates de l’organisation (top managers, CEO, DRH, Direction de la communication interne et externe) dans des actions de sensibilisation. Des événements ainsi que des workshops sont par exemple organisés pour le mois des fiertés LGBTQIA+.