Tout juste réélu président d’A Compétence Egale, l’association des professionnels du recrutement qui lutte contre la discrimination à l’embauche, Sébastien Bompard nous livre son regard sur la généralisation du CV anonyme et met en lumière les axes de développement de l’association.
Est-ce-que la question de la diversité, de la lutte contre les discriminations à l’embauche a évolué ces dernières années ?
L’évolution est sinusoïdale. D’un côté, la création du Défenseur des droits qui a succédé à la Halde a eu des retombées médiatiques et par là-même un pouvoir de sensibilisation intéressant. D’un autre, en période de crise, les entreprises ne souhaitent pas nécessairement investir dans la diversité. C’est un peu la cinquième roue du carrosse. Le discours n’est pas : "on va faire propre, mais on fait de la performance". Là où notre action est peut-être mal comprise, c’est que nous ne sommes pas dans la lutte contre les discriminations ou dans la promotion de la diversité pour une question d’image. Cela va plus loin que ça. Pour nous aussi la vraie question est la performance ! Ensuite dans les faits, ce sont bien souvent les dirigeants d’entreprise qui sont porteurs de ce type de projets dans une entité. Il s’agit pour eux d’un choix, d’une éthique et d’une démarche intrinsèque à leur propre volonté.
Que pensez-vous de la généralisation du CV anonyme, relancée par le Conseil d’Etat ?
Douze cabinets d’A compétences égales ont expérimenté le CV anonyme. Sa mise en application est extrêmement difficile. Notamment, si l’on prend en compte le sourcing, inhérent à l’activité d’un cabinet de recrutement. Aujourd’hui, très peu de candidats sont sollicités parce qu’ils nous ont envoyé leur CV, d’ailleurs dans mon cabinet 85 % de nos contacts sont des profils que nous sommes allés chercher. Cela dit, une grande partie de la discrimination à l’embauche prend sa source dans l’analyse du CV. C’est par conséquent un bon niveau d’intervention, notamment en entreprise. De plus, le CV anonyme a l’avantage de mettre le débat sur la place publique. En envoyant des CV anonymes à nos clients, nous allons nécessairement les amener à réfléchir. Cela va aussi éduquer certains candidats qui débutent leurs entretiens d’embauche en se présentant via leur statut marital ou familial. Une dimension personnelle qui n’a rien à voir avec l’enjeu et le sujet d’un recrutement.
Le CV anonyme va-t-il avoir selon vous une incidence sur la discrimination à l’embauche ?
Via les moteurs de recherche, les réseaux sociaux (…), le principe total d’anonymat est impossible. Selon moi, l’éducation de toutes les parties prenantes d’un recrutement, notamment des managers est primordiale. La plupart des discriminations sont dues à de mauvaises habitudes, de mauvais réflexes, des idées reçues. Il suffit parfois d’en faire prendre conscience à un recruteur pour que les barrières tombent. Ensuite, ne nous leurrons pas, le CV anonyme ne changera par les personnes qui souhaitent volontairement faire de la discrimination.
Quels sont vos axes de développement concernant A compétences égales ?
Bien entendu, nous allons être dans la continuité des actions déjà engagées, en poursuivant notamment au niveau régional le déploiement de l’association. Cette démarche commencée il y a trois ans, avec le développement de cabinets de délégations sur Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Lille, Nantes, Rennes, Lyon(…) va de pair avec la volonté d’assurer une démarche et des pratiques cohérentes d’un cabinet à l’autre, soit de fluidifier la communication. Nous avons également la volonté d’établir un système d’information, visant à sensibiliser les acteurs du recrutement, sur le lien entre la nature d’un poste et l’évaluation des compétences et uniquement des compétences. Je souhaite également que nous mettions en place une réflexion commune pour garantir la transparence des recrutements. Outre le développement de bonnes pratiques de lutte contre la discrimination à l’embauche, la profession manque encore aujourd’hui de pédagogie, notamment dans les explications qu’elle donne aux personnes qu’elle reçoit mais qu’elle ne recrute pas. Or statistiquement, pour un poste, nous rencontrons dix candidats. Comment assurer une égalité de traitement pour les 90 % restants ? Je pense qu’il ne faut pas les laisser dans l’incompréhension et qu’il est impératif de leur faire un retour sur leur évaluation. Le recrutement doit être un acte courageux et de transparence.
Gérald Dudouet