France Télécom, confrontée à plusieurs cas de suicides dans les derniers mois, a mandaté la société Technologia, pour la réalisation d’un audit. Cette société, spécialisée dans la prévention des risques en entreprise aura pour rôle de faire un diagnostic et de proposer la mise en place d’un plan d’action.
My RH Line a rencontré Jean-Claude Delgenes, Directeur Général de Technologia.
MyRHline : Pouvez-vous nous présenter le rôle d’une société comme la vôtre, spécialisée dans la prévention des risques au sein des entreprises ?
Jean-Claude Delgenes : Notre métier, c’est de faire en sorte d’analyser les risques professionnels pour pouvoir éviter que ces derniers se réalisent, c’est-à-dire portent atteinte à la santé ou à la sécurité des salariés en faisant des diagnostic pour mettre en place des actions concrètes qui permettent de limiter les risques. C’est ça notre métier.
M.R.L. : Quels types de risques ?
J.-C. D. : Nous travaillons sur l’ensemble des risques liés au travail. Ce sont tous les risques liés aux maladies cardio-vasculaires, les risques liés aux problématiques d’épuisement professionnel, ou de management critique.
M.R.L. : Nous entendons, actuellement, beaucoup parler des suicides à France Télécom, comment avez-vous été contactés pour France Télécom ?
J.-C. D. : Il y a eu une décision paritaire qui s’est menée entre la direction et les syndicats. Il a été décidé entre les deux parties que la direction choisirait 3 cabinets. Elle a retenu Stimulus, Secafi et Technologia. Sur la base de ces 3 cabinets, la direction a donné le choix après aux partenaires sociaux de choisir le cabinet qui allait faire la mission. Il y a donc eu une décision partagée. Nous avons été choisis à l’issue du Grand Oral. ll y a donc eu une présélection et une sélection définitive par les partenaires sociaux.
« Donner la parole aux salariés. »
M.R.L. : Quelles vont être les actions que vous allez mener chez France Télécom ?
J.-C. D. : La première chose que nous allons faire, c’est donner la parole aux salariés, c’est-à-dire que la 3e semaine du mois d’octobre entre le 19 et le 23, un questionnaire va être envoyé à l’ensemble des salariés en France du Groupe France Télécom, c’est-à-dire 102 000 personnes.
Nous sommes un cabinet indépendant, donc nous allons leur donner la parole et ils seront entendus. Nous remettrons un rapport la semaine du 30 novembre pour bien expliquer concrètement, à partir du questionnaire, toutes les problématiques de risques, tous les facteurs.
M.R.L. : Comment êtes-vous accueillis par les salariés dans ces cas-là ?
J.-C. D. : Très bien. Nous avons traité une trentaine de crises suicidaires dont celle du Techno-centre de Renault. Dans ce cas précis, 63% des gens nous ont répondu sur le questionnaire. Et lorsque nous avons fait le bilan sur l’ensemble du Technopole, nous sommes arrivés à 77%. C’est une véritable réussite, car ils nous ont donné à nouveau leur confiance.
Nous ne faisons pas un audit pour dire que nous faisons un audit. Il n’y a d’ailleurs pas que cet aspect-là. Nous allons par ailleurs mener 3 autres actions d’ampleur.
– Nous allons étudier toutes les crises suicidaires depuis 2008, celles qui ont abouti et toutes celles, fort heureusement, qui n’ont pas abouti pour en tirer tous les enseignements, c’est-à-dire toutes les analyses fines de ces crises vont permettre de dire, « voilà ce qui s’est passé, voilà ce qu’il aurait fallu faire et voilà ce qu’il faut faire pour l’avenir ».
– Deuxièmement, nous allons analyser tous les documents et tous les rapports qui ont été remis par les instances de prévention en interne, que ce soient les médecins du travail ou les CHSCT depuis la même période. Il y a entre 100 et 150 documents à analyser.
– Enfin, nous allons voir plusieurs centaines de salariés avec lesquels nous allons avoir des entretiens de fond d’une heure à une heure et demi pour faire remonter les problèmes et pour pouvoir après les traiter.
« Proposer des mesures d’urgence. »
Nous allons donc avoir 4 approches : le rapport lié à l’enquête auprès des salariés, le rapport sur les crises suicidaires, le rapport de tous les documents remis par les CHSCT et les médecins du travail, le rapport quali sur les entretiens avec les salariés. Ces 4 démarches nous permettrons, à partir de 4 documents remis, de mettre en place un plan d’actions concrètes pour inverser la tendance, pour faire en sorte qu’on transforme la société du point de vue organisationnelle car c’est là que les choses ne vont pas, organisation et management ,certainement. Mais ceci dit, dès la fin novembre, nous allons être à même de proposer des mesures d’urgence pour faire changer les choses, car nous aurons déjà deux rapports qui seront prêts fin novembre.
M.R.L. : Peut-on instaurer des actions de prévention ?
J.-C. D. : Bien sûr, nous sommes dans une crise phénoménale, que nous n’avons jamais connu mais, bien sûr, que la prévention peut-être très utile. Elle aurait due déjà être à l’œuvre, ce n’est pas le cas, donc nous intervenons maintenant un peu comme des casques bleus dans cette affaire.
Nous travaillons actuellement sur des dizaines de sociétés, nous faisons 300 dossiers par an. Nous avons donc des dizaines de missions, comme chez Thalès par exemple où nous sommes à froid. Là, nous sommes à chaud.
Propos recueillis par Anne-Sophie Duguay
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