Dans le cadre de la transformation numérique des processus, la Gendarmerie nationale s’est engagée dans un projet de digitalisation RH. Pour mieux comprendre les enjeux et les contraintes de cette initiative, la rédaction myRHline est partie à la rencontre d’Hervé Pallotta, chef de bureau de l’infocentre RH au sein de la sous-direction des SIRH de la Gendarmerie nationale.
Pourquoi la Gendarmerie nationale a-t-elle lancé un projet de digitalisation de ses processus RH ?
Notre administration a entrepris ce projet pour répondre à plusieurs enjeux. En premier lieu, nous avons pour ambition de moderniser la gestion des dossiers des agents qui, aujourd’hui encore, repose sur un système hybride mêlant papier et numérique. L’objectif principal étant de passer à une dématérialisation complète. Ceci dans le but de rationaliser la gestion de nos ressources, mais aussi de réduire les coûts associés aux archives : conservation et destruction.
Pour vous donner un ordre d’idée, nous produisons environ 10 000 documents RH par mois, et, avec 130 000 agents à gérer, ce volume ne cesse d’augmenter. Le passage au numérique s’est donc révélé être une nécessité. Aussi bien pour optimiser l’espace de stockage que pour assurer une gestion plus fluide et efficace des dossiers du personnel.
Le deuxième point concerne la continuité et la cohérence dans la gestion des données des agents tout au long de leur carrière. De l’entrée dans l’institution jusqu’à la retraite, il est impératif que chaque donnée soit accessible, traitée et conservée de manière cohérente.
L’enjeu étant de garantir une qualité d’information optimale pour les services RH internes de la Gendarmerie. Mais également pour les autres administrations avec lesquelles nous interagissons. Celles chargées des retraites ou des archives nationales, par exemple.
Enfin, au-delà de ces deux aspects, ce projet s’inscrit dans une démarche plus globale d’efficience et de responsabilisation des acteurs. L’idée n’est pas simplement de moderniser pour suivre la tendance. Il s’agit avant tout de :
- gagner du temps dans le traitement de l’information ;
- d’améliorer la qualité des processus pour nos gestionnaires ;
- simplifier les démarches pour les agents.
Et, par conséquent, de rendre les processus plus fluides et plus rapides tout en garantissant une sécurité et une conformité maximales.
Quels sont les principaux défis à surmonter dans ce projet de digitalisation RH ?
Comme je le disais, l’ambition est de parvenir à structurer le traitement RH pour mettre en œuvre une gestion cohérente et homogène des données des agents. Notre premier défi est donc de rendre l’ensemble du processus uniforme, fluide, et accessible.
L’enjeu d’une data RH plus efficiente
En pratique, cela passe par une harmonisation des formats. Mais aussi par l’application de règles strictes en matière de conservation des documents et d’accès aux données, dont le format DSFR. Le but étant, in fine, de faire converger tous ces éléments sur la data RH, car c’est là, entre guillemets, l’avenir du dossier.
Il faut savoir que dans une administration publique comme la nôtre, dès qu’un document papier est produit, il devient une archive publique. Il est donc soumis à des règles très précises de conservation et de destruction. Contrairement au secteur privé, où ces questions sont beaucoup plus flexibles, nous devons alors suivre un formalisme spécifique.
Des contraintes propres à l’administration
Pour détruire un document par exemple, nous devons obtenir des autorisations spécifiques auprès des institutions responsables de la conservation des archives. Cela complexifie la gestion des stocks de papier, y compris dans le cadre de la transformation de nos pratiques. Et ce, d’autant plus que nous avons des kilomètres d’archives à gérer avec, bien entendu, les coûts associés.
Si ces données physiques sont difficiles à exploiter, il en est de même pour le stock dématérialisé. Celui-ci contient en effet une grande diversité de formats de documents : Word, Excel, PDF, etc. Certains sont modifiables, d’autres non. Il y a donc tout un travail d’uniformisation à mener pour que ces documents soient, à terme, archivés dans les « règles de l’art ». C’est-à-dire sous format non modifiable et conforme aux normes légales en matière de conservation et de sécurité. En parallèle, nous devons bien sûr prendre en compte les contraintes budgétaires imposées par l’État. Ce qui ajoute une dimension de gestion encore plus stricte à notre projet.
Cela étant dit, la problématique de la dématérialisation est un sujet qui, paradoxalement, suscite peu d’intérêt. C’est un domaine souvent perçu comme technique et abscons, mais il est pourtant central à notre transformation. Il faut l’aborder à la fois sous l’angle de la gestion, car c’est un processus au long cours. Et sous l’angle technique, car les défis technologiques liés à la gestion des formats, à la sécurité des données et à la dématérialisation complète sont multiples.
Objectif administration zéro papier
En parallèle, un autre point clé est d’accompagner les gestionnaires dans cette transition. Le rôle de notre système d’information RH est justement de les aider à traiter efficacement les informations dans un environnement entièrement dématérialisé et sécurisé. C’est bien de cela qu’il s’agit : atteindre l’objectif d’une administration zéro papier. En ce sens, toutes les évolutions que nous mettons en place sont pensées dans cette optique. Chaque processus qui est revu ou créé l’est sous l’angle de la dématérialisation complète. Car cela devient progressivement la norme pour toute l’administration.
Quels sont les processus RH que vous avez déjà digitalisés ? Et comment arbitrez-vous les déploiements ?
En pratique, nous avons déjà pu digitaliser plusieurs processus RH clés de manière très concrète. Je vais prendre un exemple très simple : la gestion des absences. Celle-ci est aujourd’hui totalement dématérialisée. Les agents saisissent directement leurs demandes d’absence via un outil en ligne, et le processus de validation est automatisé grâce à un workflow digital. Cela permet un gain de temps considérable. À la fois pour les agents et pour les gestionnaires RH, qui n’ont plus à traiter ces tâches manuellement.
Comme dans le secteur privé, ce type de processus, relativement simple, est souvent l’un des premiers à être traité dans le cadre de projets de digitalisation. Car il vient améliorer le quotidien de chacun et, grâce aux outils actuels, sa gestion est devenue plus intuitive et rapide. Même si, dans notre cas, il peut y avoir des considérations de roulement à prendre en compte ou des difficultés ponctuelles, dans l’ensemble, cela reste une transformation rapide et efficace.
Évidemment, tous les processus ne sont pas aussi faciles à digitaliser. Dans notre démarche, nous avons établi un classement de ceux à traiter en fonction de leur complexité. La question était de savoir si nous devions nous concentrer d’abord sur les processus simples qui apportent des résultats rapides. Ou si, à l’inverse, nous devions traiter en priorité les plus complexes qui demandent plus de temps et de ressources.
La transformation numérique sur deux fronts
Dans les faits, nous priorisons, dans la mesure du possible, le déploiement des processus les plus simples. Mais, en parallèle, nous travaillons également sur les plus « compliqués ». À mon sens, il est important d’avancer sur ces deux fronts afin de parvenir à des améliorations visibles. Et ce, tout en préparant des transformations de fond sur les aspects plus complexes de la gestion RH.
En conséquence, d’autres processus sont encore en cours de transformation. C’est par exemple le cas du recrutement qui n’est pas encore totalement dématérialisé. En cause ? La signature électronique pose encore problème puisque nous devons assurer une certification conforme des signatures pour garantir la validité juridique des documents signés électroniquement. Cela implique que la responsabilité de la validité repose aussi bien sur l’administration que sur l’agent qui signe. Ce sont des détails qui peuvent sembler anodins, mais qui sont essentiels pour sécuriser l’ensemble du processus.
Un autre domaine complexe est la gestion des carrières qui s’étale dans le temps et implique de nombreux acteurs : les gestionnaires de mobilité interne, la hiérarchie, les gestionnaires RH, etc. La gestion des carrières englobe l’avancement, les entretiens annuels, et parfois la mobilité géographique ou fonctionnelle. Nous avons digitalisé une grande partie de ce processus. Mais il reste encore du travail pour simplifier et améliorer les flux d’informations entre les différents services concernés, en veillant à respecter le RGPD.
Comment gérez-vous les questions de sécurité des données RH au sein de la Gendarmerie nationale ?
Je pense que ce n’est un secret pour personne, mais nous traitons des informations extrêmement sensibles. La sécurité des données est donc un sujet central. Dans notre institution, nous appliquons un cadre de gestion des données basé sur le principe du « droit d’en connaître ».
Cela signifie que chaque utilisateur a accès uniquement aux informations nécessaires pour accomplir ses missions, en fonction de son niveau de responsabilité. Plus vous êtes proche du terrain, moins vous avez accès à des données critiques. À mesure que vous montez dans l’organigramme, votre accès aux informations s’élargit, mais toujours en fonction des besoins réels.
En parallèle, nous avons pris soin de cloisonner les données pour garantir que, si une faille de sécurité devait survenir, elle soit immédiatement contenue. Nous avons ainsi développé une approche de sécurité en couches, où chaque point d’accès est protégé par des protocoles stricts.
Nous sommes également conscients que les « menaces » peuvent provenir de l’intérieur. C’est pourquoi nous effectuons des contrôles réguliers pour nous assurer que nos agents respectent les protocoles en place et ne sont pas exposés à des risques, comme des pressions extérieures. Le système de gestion des droits d’accès est donc un pilier essentiel de notre stratégie de sécurisation des données.
Comment gérez-vous la conduite du changement vis-à-vis des agents lors de la mise en place des outils digitaux RH ?
Dans le cadre de la transformation digitale de nos processus RH, la stratégie de conduite du changement repose sur deux axes.
Certaines évolutions découlent de décisions prises par le commandement qui a une stratégie de développement — rationalisation, efficacité opérationnelle —, et se base sur des analyses du terrain pour imposer certaines solutions visant à améliorer la gestion des informations.
Dans ce cas, la conduite du changement se fait par les rouages RH. Avec une équipe qui forme le personnel à l’usage des outils, et le recours, dans un premier temps, à des groupes d’utilisateurs restreints. Cette approche nous permettant de tester et d’ajuster les dispositifs.
L’autre approche consiste à impliquer les utilisateurs. C’est-à-dire leur demander tout simplement quels sont, selon eux, les outils manquants qui leur permettraient de mieux travailler. En ce sens, il y a un tour de table régulier sur la chaîne RH pour faire remonter les informations auprès de notre réseau de formateurs. Un réseau qui est essentiel pour garantir que chaque agent puisse maîtriser les solutions digitales mises à sa disposition et les utiliser dans son travail quotidien.
En somme, les déploiements et l’amélioration des outils RH se font par le biais d’une approche planifiée d’un côté, et d’une approche plus pratico-pratique de l’autre.
Quelles sont les prochaines étapes de votre projet de digitalisation RH, et sur quels aspects travaillez-vous actuellement ?
Nous avons plusieurs projets stratégiques en cours qui s’inscrivent dans la continuité de notre démarche de digitalisation.
L’un des chantiers majeurs est le développement d’une plateforme centralisée d’exploitation des données RH. Cette plateforme doit permettre de regrouper toutes les informations RH dans un seul système. Ceci afin de faciliter l’analyse des données, la gestion des effectifs et le suivi des carrières. C’est un projet qui, à terme, nous permettra d’améliorer la qualité des données. Et, par conséquent, de renforcer la prise de décision stratégique au sein de la Gendarmerie.
Par ailleurs, nous collaborons avec l’Observatoire de la Gendarmerie pour l’Égalité et la Diversité (OGED). Ce projet nous permet d’utiliser les données RH à des fins d’analyse, en particulier pour suivre des indicateurs clés — le taux de féminisation, par exemple — au sein de la Gendarmerie. Il est essentiel pour nous de pouvoir disposer de données fiables et précises. Afin de suivre nos objectifs de politique RH, bien entendu. Et de renforcer la diversité et l’égalité au sein de l’institution.
Nous continuons également à travailler sur l’amélioration des processus existants. Le projet global de digitalisation RH est prévu jusqu’en 2030. Nous savons que chaque étape franchie nous rapproche d’une administration plus moderne, plus réactive. Et surtout plus en phase avec les attentes de nos agents et de la société.