La méritocratie comme son nom l’indique est dans une organisation sociale, le pouvoir donné au mérite. Ce modèle fait fi des copains-coquins, des passe-droits obscurs pour assurer un système de promotion sociale fondé sur la compétence. D’ailleurs les statistiques ne s’y trompent pas, 80 % des Français considèrent qu’une société juste serait une société fondée sur le mérite. Si tout le monde est d’accord à 80 %… Qu’est-ce qu’on peut dire de plus ?
Si la méritocratie est bien le pouvoir au mérite la question qui vient immédiatement aux lèvres est de savoir, qu’est-ce que le mérite ? Étymologiquement, le mérite vient de récompenses ou de salaire, autrement dit, la méritocratie serait le fait de donner à ceux qui reçoivent. Cette circularité linguistique nous montre que la définition n’est pas si facile. On parle souvent d’efforts. Le mérite reviendrait à celui qui fait le plus d’efforts pour obtenir ce qu’il désire. Si on extrapole dans la formation, cela pourrait vouloir dire que le plus mauvais avec le plus de volonté serait le plus méritant, alors que la personne dotée d’une capacité géniale vivant sur ses acquis naturels ne serait pas méritant, faute d’avoir suffisamment souffert pour obtenir l’objet de ses désirs. Que dire d’un Picasso se confiant à Cocteau avec malice que grâce à son talent, il lui suffisait de mettre sa signature sur un galet pour qu’ils prennent une valeur inestimable… Et ce n’est pas faux. Alors Picasso n’en est-il pas moins méritant ? Sans reprendre la théorie des exceptions de Philippe Sollers, comment gérer les génies face aux besogneux sans talent ? Comment éviter que la méritocratie se transforme en médiocratie ?
La méritocratie serait-elle alors davantage un horizon, une ambition sociale ? Il s’agirait alors de donner un espoir à chacun. Dans ce sens la méritocratie serait une démarche égalitaire où chacun peut avoir l’espoir d’une intégration sociale en fonction de son implication personnelle. A y regarder de plus près, la méritocratie égalitaire n’est pas encore une réalité. Les inégalités sont là. Dans les années 70, l’écart des salaires entre les basses qualifications et les dirigeants était en moyenne de 40 et aujourd’hui, elle est de 400. Et rien n’est moins vrai en terme de parcours personnel, l’ascenseur social est en panne, le système social se reproduit à l’identique globalement. Où est donc le mérite ? Etre bien né deviendrait-il le gage du méritant ?
La méritocratie est-elle un leurre ? Dans un monde de symboles et signaux, il s’agit d’un signal fort envoyé à la société, une bonne action de corporate branding. Les entreprises qui s’engagent dans une démarche au mérite le font savoir pour faire sens et ainsi gagner en valeur. Quelle est la cible ? Le consommateur pour lui dire que ce qu’il achète mérite dans une démarche militante, « parce qu’il le vaut bien » ou le collaborateur pour lui donner une nouvelle reliance pour stimuler son engagement ? La méritocratie est une réponse à un espoir, soit cette réponse est marketing en faisant appel au spectacle qui amuse, soit organisationnelle en l’incarnant dans le management au quotidien. Mais là, cela nécessite du temps et de la volonté… comme quoi il n’est pas toujours facile de mériter sa réussite.
Stéphane DIEBOLD