Meta, Google, Target… Ces géants américains, qui avaient hissé les politiques DEI (Diversité, Équité, Inclusion) comme étendards, semblent désormais faire machine arrière. Licenciements dans les équipes dédiées, disparition des intitulés « diversity » dans les organigrammes, budgets en baisse… Les signaux s’accumulent. Que révèle ce revirement ? Et la France en est-elle vraiment protégée ?
États-Unis : les politiques Diversité et Inclusion sous tension
Depuis 2023, plusieurs entreprises américaines ont réduit, voire supprimé, leurs initiatives DEI. Un recul qui s’est accéléré en 2024, notamment dans la tech et la distribution. Meta, par exemple, a supprimé ses équipes diversité et inclusion. Dans un mémo interne, sa DRH Janelle Gale déclare que :
Le terme DEI est devenu controversé, en particulier parce qu’il est perçu par certains comme une pratique qui suggère un traitement préférentiel de certains groupes par rapport à d’autres.
Plusieurs facteurs expliquent ce revirement.
Un backlash idéologique
Aux États-Unis, les politiques DEI sont de plus en plus prises dans la tourmente politique. Depuis l’ère Trump, et plus récemment dans des États comme la Floride ou le Texas, on observe une volonté assumée de démanteler certaines initiatives, notamment dans l’enseignement supérieur. Ce climat idéologique tendu pousse certaines entreprises à adopter une posture de repli, par crainte d’une polémique avec leur clientèle ou leurs actionnaires. Résultat : la diversité devient moins un engagement stratégique qu’un risque réputationnel à gérer.
Une pression économique
Dans un contexte d’optimisation des coûts, certaines directions revoient leurs priorités budgétaires. Et faute d’un ROI objectivable à court terme, les initiatives DEI sont alors reléguées au second plan. Quitte à fragiliser la cohésion interne ou la marque employeur à long terme.
Un engagement parfois opportuniste
Le désengagement de plusieurs grandes entreprises interroge la solidité de leurs engagements passés. Pour certaines, les politiques DEI ont émergé en réponse à des mouvements sociétaux forts (#MeToo, #BlackLivesMatter), avec un fort accent sur la communication externe. Mais en l’absence d’un ancrage dans la stratégie globale, ces engagements se sont révélés conjoncturels.
France : une autre approche, mais des fragilités
À première vue, le contexte français semble plus protecteur. Contrairement aux États-Unis, les politiques d’inclusion et de diversité en France reposent en partie sur des obligations légales. La loi sur l’égalité femmes-hommes a, par exemple, valeur constitutionnelle. D’autres textes sont venus renforcer ce socle : la loi Copé-Zimmerman (2011) pour les conseils d’administration, la loi Rixain (2021) pour les comités de direction, ou encore l’obligation de publier l’index égalité professionnelle.
Autre différence : en France, la DEI a d’abord été abordée sous l’angle juridique, plutôt qu’idéologique. Depuis 1979 et la création du bilan social, le gouvernement a progressivement renforcé l’obligation pour les entreprises de rendre compte de leurs engagements. Le rapport RSE, puis plus récemment, la DPEF protègent encore davantage ces politiques.
À cela s’ajoute le rôle structurant des partenaires sociaux, aussi spécifique à la France. Les syndicats, souvent présents dans les comités de dialogue social, participent activement à la définition et au suivi des politiques de diversité et d’inclusion.
Pourtant, le risque d’un alignement à l’américaine n’est pas totalement écarté. Nous l’avons vu : baisse des budgets, réduction des fonctions DEI dans certaines entreprises, et injonctions implicites venues de maisons-mères américaines à « revoir leurs arbitrages »… Ces signaux faibles invitent à la vigilance.
Repenser la DEI : vers des politiques plus robustes
Dans ce contexte mouvant, sensibiliser ne suffit plus.
Une première piste consiste à faire évoluer les indicateurs. À côté des traditionnels taux de féminisation ou d’écart salarial, il est désormais temps de s’intéresser à l’impact réel des politiques DEI sur le terrain. L’intégration d’indicateurs qualitatifs — centrés sur la perception des collaborateurs — permet de capter la réalité vécue dans l’organisation. C’est le choix d’Atos, qui interroge régulièrement ses équipes sur le sentiment d’équité ressenti au quotidien. Une fois consolidées dans le reporting DPEF, ces données offrent une vision plus opérationnelle de l’inclusion.
Deuxième piste : renforcer l’outillage managérial. Sur le terrain, au quotidien, ce sont eux qui impulsent les valeurs d’équité et de respect. Pour cela, la formation ne doit pas se limiter aux bonnes pratiques : elle doit aussi donner du sens. Au-delà du « comment », pour susciter l’adhésion, il s’agit de comprendre le « pourquoi ». Une fois l’impact mesuré, les actions mais surtout les résultats, sont à valoriser, en interne comme en externe. Ce n’est qu’à cette condition que l’inclusion passe d’un enjeu périphérique à un canal stratégique.
Troisième piste ? Intégrer les politiques DEI à la raison d’être de l’entreprise. Loin d’être un simple supplément d’âme, cette intégration permet d’aligner les engagements en matière de diversité avec les valeurs et les choix stratégiques. Elle favorise la cohérence entre discours et actions, et améliore la marque employeur.
Certaines entreprises vont même plus loin, en inscrivant la DEI dans leur gouvernance avec des comités dédiés. En intégrant ces enjeux au cœur de leur mission, les organisations ne se contentent plus de « faire de l’inclusion » : elles « deviennent » véritablement inclusives.
La DEI, un enjeu à défendre pour aujourd’hui …et pour demain
Les politiques DEI sont aujourd’hui à la croisée des chemins : fragilisées par des tensions économiques et idéologiques, elles n’en demeurent pas moins attendues par les collaborateurs. D’après une étude publiée en 2024, 51% des candidats considèrent les engagements inclusifs comme un critère décisif dans le choix d’un employeur – un chiffre qui atteint 69 % chez les 18-24 ans. Une raison supplémentaire de ne pas reléguer ces sujets, mais de les inscrire durablement dans la stratégie RH.
Source(s) documentaire(s) :
- Baromètre « Les Français et l’inclusion, vague 5 » — opinionway
- La présentation des politiques « diversité et inclusion » des entreprises à travers leurs déclarations de performance extra-financière (DPEF), Jean-Marie Peretti (Management & Sciences Sociales, Les nouveaux défis de la diversité et de l’inclusion au travail)
- Les législateurs du Texas parviennent à un consensus sur un projet de loi interdisant les bureaux de diversité, d’équité et d’inclusion dans les universités publiques, The Texas Tribune