Chacun le sait, en cas de réalisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la victime a droit à une indemnisation. A cet effet, la loi du 9 avril 1898 a mis en œuvre un système de réparation forfaitaire, compensant la perte de revenus professionnels. Le caractère forfaitaire de cette réparation étant la contrepartie de son automaticité.
Dès lors, en vertu de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, ce n’est qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur que la victime peut prétendre à une indemnisation complémentaire.
A l’heure où je vous parle, la définition de la faute inexcusable de l’employeur à l’origine d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail est le fait de la jurisprudence et non de la loi.
Ainsi, la Cour de cassation décide qu’« en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».
Et cette obligation de sécurité de résultat de l’employeur est impérative, quand bien même le salarié serait affecté au service d’une autre entreprise. C’est en effet à l’employeur de s’assurer que son salarié n’est pas exposé à un risque, ou si tel est le cas, de mettre en œuvre, en coopération avec l’entreprise utilisatrice, les moyens nécessaires pour prévenir ce risque.
L’évolution jurisprudentielle postérieure « aux arrêts amiante » est celle d’une expansion continue de l’obligation de sécurité de résultat associée naturellement à un élargissement des possibilités de reconnaissance de la faute inexcusable.
Aussi, la Cour de cassation cesse d’exiger que la faute commise par l’employeur soit la cause déterminante de l’accident dommageable ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire.
Dans un arrêt du 10 novembre 2009 (Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n°08-20.580 P+B), sous le visa des articles 1147 du Code civil, L. 411-1 et L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, la Cour de cassation rappelle « qu’il résulte de ces textes qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ; qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié mais qu’il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage ».
Seule subsiste désormais la notion de conscience du danger que devait ou aurait dû avoir l’auteur de la faute, étant entendu que l’appréciation en est faite par les juges du fond en référence à ce qu’aurait dû connaître un professionnel avisé, c’est-à-dire « in abstracto ». Seule l’imprévisibilité, élément de la force majeure, pourrait donc délier l’employeur de son obligation de résultat
Par conséquent, la responsabilité de l’employeur en matière d’accident du travail-maladie professionnelle peut donc être engagée sans qu’il soit besoin pour la victime d’apporter la preuve d’une faute d’une exceptionnelle gravité de l’employeur ou que sa faute a été la cause déterminante de l’accident.
En clair, la simple constatation du manquement à l’obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l’employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l’existence de deux éléments :
– la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés ;
– l’absence de mesures de prévention et de protection.
Etant précisé que la charge de cette preuve pèse sur le salarié victime ou sur ses ayants droit, le cas échéant.
L’actualité récente nous fait voir des illustrations, toujours plus poussées, de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
C’est ainsi que le 10 mai 2010, la société Eurovia a été reconnue coupable dans « le procès du bitume ». Dans cette affaire, la société en question était poursuivie pour faute inexcusable par la famille d’un ouvrier du bitume décédé en 2008 d’un cancer de la peau.
Le TASS (tribunal des affaires de la sécurité sociale) « a pu trouver que la conjonction de projections, voire d’inhalations, du bitume avec les UV favorisait, soit le risque né des UV, soit le risque né du bitume« . Selon le tribunal, « il y a possibilité de catalysation de l’une sur l’autre« : il y a donc une « faute inexcusable de la part d’Eurovia« .
En l’espèce, c’est la première fois qu’un tribunal en France reconnaît qu’il existe un lien entre la maladie professionnelle de ce salarié, sa mort atroce, et les fumées cancérigènes toxiques dans le bitume étendu à 150 degrés sur les routes.
Cependant, le TASS ne peut être considéré comme ayant établi une jurisprudence mais, comme ayant proposé un début de jurisprudence car, ce dossier ne peut s’arrêter à un tribunal de premier degré.
Affaire à suivre…
Nadia Rakib