Nadine REGNIER ROUET, Avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit social, nous apporte son expertise et son regard sur l’actualité du droit social.
Avis de tempête dans les entreprises avec une actualité RH toute simple mais qui peut rapporter gros aux salariés…
La Loi prévoit que l’employeur doit contrôler la charge de travail et la prise de repos par ses salariés en forfaits en jours.
Voici ce qui arrive lorsque l’employeur n’est pas capable de fournir la preuve du nombre de jours travaillés par le salarié…
Les faits
Un « chef de département » d’une entreprise alimentaire employé de 1992 à 2006, où il est licencié pour faute grave, réclame 13.200 euros pour jours travaillés au-delà du forfait en jours contractuellement convenu.
L’employeur est incapable de produire aux juges d’appel le décompte des jours travaillés par le salarié ; il est condamné à verser la somme au salarié.
L’employeur conteste la décision devant la Cour de cassation en soutenant qu’il a dû assumer la charge de la preuve alors que le salarié n’a pas été sollicité de la même façon. A la lecture de la décision, on peut comprendre que le salarié s’est contenté d’affirmer qu’il a travaillé un samedi sur deux pour remplacer son employeur, en sus de ses autres jours de travail prévus dans son forfait.
La décision de la Cour de cassation du 6 juillet 2011 (n° 10-15050)
La Cour de cassation explique comment apporter la preuve de la durée du travail accompli par le salarié en forfait en jours :
«En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d’une convention de forfait en jours, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des jours effectivement travaillés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Ainsi la preuve n’incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter une demande de paiement de jours travaillés, se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et que l’employeur est tenu de lui fournir. »
La cour dit donc que l’employeur doit fournir au juge la preuve des jours effectivement travaillés par le salarié.
La convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire était applicable à cette affaire et prévoyait que « l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ».
L’employeur ne produisait pas ce document. Mais il versait aux débats les décomptes de jours travaillés figurant sur les bulletins du salarié ainsi que deux attestations faites par des employés amenés à travailler le samedi et qui témoignaient qu’ils récupéraient les heures faites le samedi un autre jour dans la même semaine.
La Cour de cassation approuve les juges d’appel :
(1) ils ont constaté que le document de contrôle prévu par la convention collective à la charge de l’employeur n’était pas produit et en ont déduit que l’employeur ne justifiait pas les jours effectivement travaillés par le salarié. Ils ont donc rejeté les autres preuves produites par l’employeur.
(2) ils ont entendu le salarié dire qu’il avait travaillé un samedi sur deux en alternance avec l’employeur – sans être contredit par ce dernier ; ils ont donc retenu l’existence de jours travaillés au-delà de la durée annuelle prévue par la convention de forfait en jours.
Dans cette affaire, le salarié a donc bien perçu 13.200 euros supplémentaires de rappels de salaires.
Conclusion
On le sait depuis la décision de la Cour de cassation du 29 juin 2011 (n°09-71107), l’employeur doit respecter les dispositions de contrôle prévues par la convention collective applicable puisque le forfait en jours ne peut être convenu par l’employeur et son salarié que parce qu’un accord collectif ou la convention collective permet le recours au forfait en jours et organise le contrôle par l’employeur des temps de travail et de repos du salarié. La décision du 6 juillet 2011 est donc « une piqure de rappel » de cette obligation.
D’autre part, le salaire est fixé en fonction d’un nombre de jours de travail sur l’année (en principe dans la limite de 218 jours par an). L’employeur doit donc démontrer que le salaire payé correspond bien au nombre de jours de travail convenu. Il doit organiser au sein de l’entreprise un décompte des jours travaillés ; ce décompte peut être assumé par le salarié lui-même sous la responsabilité de l’employeur.
Pas de décompte conforme à l’accord collectif, pas de contrôle des jours travaillés par le salarié : l’employeur est dans l’impossibilité de convaincre le juge qu’il a correctement appliqué le forfait en jours. Face à une demande étayée (même à minima) par le salarié, il sera condamné.
Outre 13.200 euros de rappels de salaires sur cinq ans, l’employeur a dû verser les charges sociales patronales correspondantes et rembourser au salarié une partie de ses frais d’avocat… Et peut-être que d’autres salariés de l’entreprise ont suivi son exemple et formulé des demandes similaires ! Bref, une « ardoise », peut-être catastrophique pour la trésorerie de l’entreprise.
Conseil RH
Employeurs, si vous n’avez pas mis en place de contrôle des jours de travail de vos salariés en forfait en jours, relisez dès maintenant votre accord collectif ou votre convention collective et suivez ses instructions à la lettre ! Et si aucun contrôle n’est prévu… renégociez vite pour l’organiser !
Nadine REGNIER ROUET
Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit social
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