A l’heure des congés d’été, combien de salariés vont réussir à « décrocher » de leur travail… mais aussi de leur smartphone comme de leur tablette ou ordinateur ? Selon le récent sondage Securex/Ifop, ¾ des cadres continuent à consulter leurs communications professionnelles pendant les week-ends et les vacances, alors même qu’ils sont 82 % à juger cet accès simplifié et permanent négatif. Alors la déconnexion, droit ou devoir ?
Le paradoxe est grand : alors que les entreprises sont rappelées à l’ordre sur les risques, notamment psychosociaux liés au débordement des nouvelles technologies sur la vie privée de leurs salariés, les cadres continuent à se connecter durant leurs temps de repos…. Selon le récent sondage Securex/Ifop, ¾ des cadres consultent leurs communications professionnelles pendant les vacances et les week-ends, alors même que 82 % d’entre eux considèrent l’hyperconnexion comme négative. Il est vrai qu’avec la multiplication des smartphones, i-phones, devenu un 3e bras pour les générations Y et Z, il est devenu difficile de ne pas céder à la tentation d’une connexion pendant ses congés. Le travail, devenu collaboratif, impose de plus en plus de réactivité. Déconnecter revient alors à faire preuve d’un manque évident de sérieux, de consciences professionnelle. Si certains sont réellement workaddicts, pour la plupart des cadres (80 %), la raison de cette connexion sur leur temps de repos est de s’assurer qu’il n’y a pas de problème en leur absence. Puis pour 63 % des cadres, l’enjeu est organisationnel : il s’agit d’éviter d’être débordé à leur retour par le traitement des courriels : plus de 100 mails par jour pour 38 % des salariés selon l’enquête de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise.
Avec le projet de loi El Khomri, le « droit à la déconnexion » va entrer dans le code du travail, devenant un sujet obligatoire de négociation. Le rapport de Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange, sur lequel est fondé l’article de loi, précise qu’il s’agit « d’éducation au niveau individuel et de régulation au niveau de l’entreprise ». Le rapport Mettling propose l’ouverture de discussion : « Au sein de l’entreprise, différentes démarches, pas forcément juridiques mais tout aussi efficaces, doivent encourager la déconnexion : chartes, configuration par défaut des outils, actions de sensibilisation ».
Des pratiques de déconnexion dans les entreprises
Si « le temps de déconnexion » est déjà inscrit dans l’accord interprofessionnel de juin 2013 sur la qualité de vie au travail, les entreprises tâtonnent dans son application. Certaines ont déjà signé des accords, d’autres ont rédigé des chartes de bonne pratique. La solution la plus simple consiste à rappeler l’absence d’obligation de répondre à la messagerie professionnelle, le soir, le week-end et pendant les congés, ou encore indiquer par des messages déculpabilisateurs : « Mon mail n’appelle pas de réponse immédiate ». En Allemagne, le groupe Volkswagen a imposé à ses salariés non-managers le blocage de l’accès à leur boite mail entre 18h15 et 7 heures. Ce qui n’empêchait pas les salariés de communiquer par d’autres moyens et posait des soucis de décalage horaire pour les échanges à l’international. Daimler-Benz Allemagne a mis en place le « mail on Holiday », qui redirige les mails entrants durant les vacances vers un autre interlocuteur et l’invite à réexpédier son message au retour de l’intéressé. En France, l’accord de Michelin signé en mars 2016, qui porte sur la maîtrise de la charge de travail des cadres autonomes en forfait-jours, prévoit ainsi de contrôler les connexions à distance le week-end et pendant les congés, avec signalement au manager en cas d’excès.
D’autres sociétés françaises optent pour des solutions plus radicales, qui, consistent à mettre les serveurs en veille de 18h à 7h, ainsi que le week-end. Certaines comme PriceMinister Rakuten, Canon ou Sodexho ont été jusqu’à décréter une « journée sans mails » une fois par mois afin de sensibiliser les salariés sur les alternatives et renforcer la convivialité et les échanges directs. « On ne croit pas aux mesures de blocage technique », confie à Liaisons Sociales Sylvie François, DRH à La Poste qui parie plutôt sur la « responsabilité et la formation ». Un accord a été signé au sein du groupe stipulant qu’aucun salarié ne pourra être sanctionné s il n’a pas répondu à un mail en dehors de ses heures de travail.
L’exemple doit venir d’en haut
Si dans les faits, d’autres sociétés ont affiché clairement les mêmes règles sur une nécessaire « déconnexion » avant 8h30 et après 18h, les managers n’étant pas exemplaires dans l’application, cette intention est restée lettre morte. Il est donc primordial que cadres et dirigeants se montrent irréprochables et impulsent le changement. « Les pratiques de déconnexion demeurent, dans l’écrasante majorité des cas, individuelles. Or tous les employés et cadres ne sont pas égaux dans leur latitude et leur capacité à mettre ces pratiques en œuvre », explique Francis Jauréguiberry, chercheur et spécialiste de la déconnexion. Ce n’est pas tant l’évolution du travail qui empêche de déconnecter mais une difficulté à lâcher prise qui est tout sauf nouvelle. Car le flux croissant d’informations et la transparence rendus possibles par les technologies augmentent le volume de signaux et renforcent la culpabilité de celui qui attend pour les traiter ! Si les syndicats se réjouissent de la volonté gouvernementale de résoudre ce problème, pour le représentant de la CFDT Cadres, M Bouchet, « quand bien même il y aura une régulation, le travailleur mettra le curseur là où il a envie de le mettre, et parfois il ne dosera pas ». « Il faut apprendre le savoir vivre au pays des nouvelles technologies », a rappelé à Liaison Sociales Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’école de droit de Paris 1. Alors pour les vacances, essayiez de commencer à déconnecter… pour mieux vous reconnecter aux autres !
Gérald Dudouet