Le changement climatique transforme le monde, y compris celui du travail.
De la santé du personnel aux enjeux de la QVCT, en passant par l’évolution des compétences, la dimension climatique n’est plus seulement un volet de la stratégie RSE. Car les défis environnementaux viennent rebattre les cartes de la vie professionnelle. Parfois même du rapport à l’employeur. Comment ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.
Santé et sécurité, les risques induits par le changement climatique sur le travail
Aujourd’hui, il n’y a plus de doute sur les effets du dérèglement climatique sur l’environnement et la santé humaine. Par ricochets, cela inclut la santé et la sécurité des personnes dans le cadre de leur activité professionnelle.
En pratique, nous manquons encore de données détaillées sur le sujet. C’est ce qu’indique la note d’analyse publiée par France Stratégie en juin 2023. Toutefois, l’institution précise que l’Anses a permis d’identifier trois conséquences du changement climatique pouvant être à l’origine de l’augmentation des risques professionnels.
Il s’agit de la hausse des températures en premier lieu. Mais aussi de la modification en matière de fréquence et d’intensité des événements climatiques. Et, enfin, de l’évolution du risque sanitaire, biologique et chimique.
Hausse des températures, une nuisance au travail qui nous concerne tous
La hausse perpétuelle des « normales de saison » constitue le premier facteur d’augmentation des risques en entreprise liés au réchauffement du climat.
En effet, nous savons parfaitement que l’exposition à la chaleur n’est pas anodine en matière de santé au travail. D’ailleurs, elle constitue déjà un risque professionnel identifié puisqu’elle entraîne une difficulté, voire une incapacité du corps à réguler sa température. Une réaction physiologique, aussi appelée stress thermique, pouvant être à l’origine d’une fatigue, d’un épuisement et, plus largement, d’une altération des capacités physiques et cognitives en contexte professionnel.
Selon l’INRS, les dangers augmentent à partir de 28° pour les activités physiques et de 30° pour les postes sédentaires.
Or, comme nous le constatons année après année, la température moyenne ne cesse de s’élever et les vagues de chaleur deviennent la norme. Autrefois considérés comme un risque propre à certains secteurs, les impacts de la chaleur concernent donc désormais l’ensemble du marché du travail.
Il est vrai que — de peintre façadier à employé de bureau — certaines ressources humaines sont plus exposées que d’autres. Mais, en pratique, toutes peuvent être concernées par les symptômes du « mauvais coup de chaud » :
- baisse de la concentration ;
- temps de réaction plus élevé ;
- irritabilité, etc.
Entre chaleur et exposition répétée aux UV, le risque d’accident du travail et de maladie professionnelle est aujourd’hui plus important. Par conséquent, il devient une problématique RH à part entière, commune à toutes les branches professionnelles.
Les 23 métiers les plus exposés au réchauffement climatique
- Mise à jour 2024 : 11 nouvelles mesures annoncées par le gouvernement prévoient des actions spécifiques pour gérer les risques accrus liés aux vagues de chaleur et autres phénomènes climatiques. Ces initiatives visent, entre autres, à protéger les travailleurs en adaptant les conditions de travail aux défis environnementaux actuels.
Événements climatiques, nouveau talon d’Achille des organisations ?
Autre facteur lié au dérèglement climatique venant accentuer les risques professionnels, mais pas que : les catastrophes naturelles.
Pour bien comprendre, prenons l’exemple des gigantesques feux qui ont touché le département de la Gironde à l’été 2022.
S’ils sont d’origine humaine, ces derniers ont été attisés par la sécheresse ambiante. Avec, pour conséquence, un impact direct sur le travail des équipes de secours qu’il a fallu mobiliser pendant des semaines et des semaines. Un engagement constant, dans des conditions difficiles, qui a entraîné une fatigue physique et psychique comme cela n’avait été « jamais vu » selon le témoignage d’un médecin colonel du SDIS 33 (TF1).
Mais au-delà de ces travailleurs de « première ligne », c’est aussi l’ensemble du bassin d’emplois qui a été touché. Selon le SIBA (Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon), 15904 recrutements (hors intérim) avaient été réalisés dans l’hébergement et la restauration entre juin 2021 et mai 2022 sur le bassin d’Arcachon.
Autant de postes fragilisés par les incendies, les évacuations de villes entières et la baisse de fréquentation de 40 % qui a suivi.
Perte d’exploitation notable pour les employeurs de la région. Mise en activité partielle longue durée des collaborateurs, permanents et saisonniers. Outre l’industrie du tourisme durement touchée, on comprend ainsi facilement l’ampleur de l’impact sur l’écosystème économique et social à l’échelle locale.
Hélas, si ces événements se multiplient jusqu’à devenir chroniques, il est alors possible de faire le rapport entre réchauffement et risque exponentiel d’accident en activité professionnelle. Voire — si l’on pousse plus loin le scénario catastrophe — de s’interroger sur la pérennité et la sécurité de l’emploi dans certains territoires.
Répercussion sanitaire, les dangers biologiques et chimiques du travail sous surveillance
Sur ce point, la note d’analyse de France Stratégie précise que les données actuelles ne sont pas encore suffisamment parlantes pour être exploitées.
Cependant, elle souligne qu’il est probable que les travailleurs en contact avec de la matière organique ou des substances chimiques soient plus exposés qu’avant à certains risques. Dans l’agriculture, la gestion des déchets ou même la boulangerie, par exemple.
Reste à savoir dans quelle mesure et, surtout, comment les protéger.
Transition écologique, le monde professionnel et la nouvelle réalité environnementale
Outre la mise en place d’actions visant à protéger les activités professionnelles, la nouvelle réalité environnementale impose la construction de modèles stratégiques durables. Au-delà des écogestes, de la fresque du climat ou du guide des bonnes pratiques, cela conduit, entre autres, à une nécessaire évolution des compétences et, souvent, à l’adaptation des postes de travail.
Les métiers verdissants, vers la mutation des compétences
L’appellation « métiers verdissants » désigne les professions dont les compétences évoluent pour répondre aux enjeux de la transition écologique. En clair, il s’agit d’hybrider les savoir-faire des collaborateurs. Ceci afin d’intégrer la dimension environnementale dans les pratiques professionnelles. Ainsi, ces fonctions verdissantes se distinguent des métiers verts dont l’objectif est de prévenir ou corriger les dommages environnementaux.
Le rapport Les incidences économiques de l’action pour le climat, Marché du travail (France Stratégie & Dares, 2023) indique que ces métiers représentaient déjà 14 % de l’emploi en 2018. À l’époque, le verdissement concernait surtout les secteurs du bâtiment, des transports et de la conception/maintenance industrielle.
Cependant, nous assistons depuis quelques années à une prise de conscience collective vis-à-vis des changements climatiques et de leurs effets. C’est-à-dire des retombées sur la biodiversité, la société et le monde professionnel, bien entendu. Aujourd’hui, la plupart des secteurs — tourisme, achats, automobile (…) — ont donc pris le virage de « l’écologisation ».
Des orientations parfois bien aidées par les nouvelles réglementations, on vous l’accorde.
L’exemple de l’écologisation de la restauration collective
À l’occasion d’un webinar organisé par l’Anact le 18 octobre dernier, Anthony Pelleteret — chef de service restauration de la ville de Besançon — s’est exprimé sur l’évolution de la restauration collective induite par la transition écologique.
En particulier depuis la loi EGAlim, dont les 5 piliers sont :
- interdiction des contenants et ustensiles en plastique ;
- réduction du gaspillage alimentaire ;
- diversification des sources de protéines ;
- approvisionnements durables et de qualité (50 % de produits labélisés, dont 20 % issus du bio) ;
- information des convives.
Créée il y a une dizaine d’années, la cuisine de Besançon avait déjà intégré certaines pratiques écoresponsables à son fonctionnement. Comme la proposition de plats végétariens et l’absence de matériel plastique, notamment.
Cependant, pour répondre aux exigences EGAlim, la direction a tout de même dû repenser, compléter et réorganiser les procédés de manière globale. C’est-à-dire tout au long de la chaîne de production : du choix des fournisseurs (maraîchers, éleveurs…) à l’adaptation des postes de travail.
Au-delà du pôle qu’il dirige, M. Pelleteret a détaillé les impacts engendrés par EGAlim sur le secteur de la restauration collective. Parmi lesquels : la nécessaire montée en compétences des équipes d’une part, et le changement des conditions de travail d’autre part.
Pour comprendre, prenons par exemple la mise en place d’alternatives végétariennes. Elle exige d’être en mesure d’élaborer des menus garantissant l’apport en protéines. Or, le bloc de compétences « traditionnel » des cuisiniers repose beaucoup sur l’usage de la viande. C’est le propre de la cuisine française. Cela implique donc la formation du personnel.
Le changement des conditions de travail est quant à lui dû à l’interdiction du plastique. Les équipements et la vaisselle en inox ont remplacé le jetable. Ce qui nécessite davantage de stockage et plus de manipulations.
L’environnement de travail s’en trouve alors changé. Car plus de plonge veut aussi dire travail quotidien dans le bruit, la chaleur, l’humidité. Mais aussi répétition des tâches. Des postures et des gestes fréquents qui provoquent des problèmes de dos et d’épaules récurrents chez les agents.
Les emplois doivent ainsi être remodelés, voire créés, pour préserver la santé des collaborateurs. Tout comme il faut adapter les postes de travail avec des équipements comme des tables élévatrices ou des socles rouleurs, à l’image du pôle de Besançon.
Climat & travail : quelle perception des salariés ?
Lors de ses travaux sur « Le travail en transitions », l’Unédic s’est intéressé au ressenti des actifs sur l’incidence du changement climatique sur le travail. Voici, entre autres, ce qu’il ressort de cette étude.
De manière générale, les employés se disent préoccupés par la crise climatique (85 % dont 21 % pour lesquels on parle même d’éco-anxiété). Une majorité estime que l’écologisation a ou aura des impacts directs sur le travail (90 %), tout en considérant que leur secteur d’activité peut s’adapter (72 %).
Par ailleurs, ils identifient trois conséquences majeures à l’échelle de l’entreprise.
D’abord, la dégradation des conditions de travail dues aux températures extrêmes et aux catastrophes naturelles. Mais aussi la mutation des métiers. Celle-ci étant due aux nouvelles pratiques pensées pour l’environnement (posture verdissante) qui changent les process.
À cela s’ajoute la tension économique ressentie au travail. Par exemple, des frais de fonctionnement de l’entreprise plus élevés (consommation d’énergie, par exemple). Mais aussi baisse des commandes, et, de ce fait, de l’activité.
En somme, les collaborateurs ont parfaitement conscience des enjeux en matière de santé au travail et d’employabilité. Voire de santé financière comme nous l’avons vu plus haut.
L’ambition écoresponsable, source d’intérêt et de désengagement
Une autre donnée est particulièrement intéressante. Car les résultats de l’enquête montrent que la préoccupation environnementale est telle que les engagements des entreprises en matière d’écologie seraient désormais vecteurs d’attractivité et de fidélisation.
À l’inverse, l’absence de démarche développement durable pourrait être un motif de départ (44 %). Ou serait même un frein à la candidature de potentiels nouveaux employés (48 %).
Changement climatique et vie de l’organisation : quelle conclusion ?
Les défis environnementaux sont nombreux et le dérèglement climatique impacte les entreprises à plusieurs niveaux. Nous venons de le voir, il s’inscrit donc à la fois comme levier de transformation durable, d’attractivité et de compétitivité. Et ce, tout en accentuant les risques et en dégradant les conditions de travail.
Dès lors, plusieurs questions se posent. Comment préserver la santé et le bien-être des salariés dans cette nouvelle ère ? De quelle manière agir pour protéger et pérenniser l’activité face aux aléas climatiques, toujours plus fréquents et violents ?
Force est de constater que les mesures d’urgence ne suffisent plus. L’adaptation, la résilience et la prévention semblent en revanche être la clé d’une stratégie durable. Pour l’organisation. Ses salariés. Ses partenaires. Et, surtout, la planète.