Le mot « addiction » appelle en premier lieu les termes drogues, tabac, ou encore alcool. Mais la liste est bien plus longue. L’INRS évoque également les addictions sans dépendance à un produit. Si certains comportements sont détectables en milieu professionnel, les causes ne sont pas uniquement à chercher dans le vécu de l’entreprise. La psychologue du travail Lydia Levant-Bol propose de prendre en compte l’ensemble de ces facteurs, par des actions internes et externes à l’entreprise.
Addictions : vie privée ou vie professionnelle ?
L’INRS distingue plusieurs familles d’addictions. Il y a d’abord la dépendance à des produits autorisés : alcool, tabac, médicaments. Dès le départ, la psychologue insiste sur l’innéficacité de ces « médicaments que l’on prend pour être plus efficace, pour tenir le coup. Ils n’ont pas l’effet désiré. Au contraire, la qualité de travail n’est plus là, la créativité et l’efficacité, non plus ; les relations professionnelles s’étiolent et la personne peut rencontrer des difficultés à travailler en équipe ». Puis, il y a la dépendance à des substances non autorisés (cannabis, cocaïne…), mais aussi des addictions « sans produit » : le workaholisme, une véritable « boulimie du travail » selon Lydia Levant-Bol, la technodépendance (Internet, mobile…) et la dépendance affective. Toutes ces addictions listées par l’INRS auraient un point commun : on ne pourrait restreindre la sphère de leurs causes ni au privé ni au professionnel. C’est justement, selon la psychologue, ce qui fait leur complexité. « L’addiction est souvent une réaction à plusieurs facteurs qui viennent troubler l’équilibre d’une personne, qu’ils soient d’ordre profesionnels ou personnels », ajoute-t-elle.
C’est pourquoi, en plus du tabou qu’elles représentent, les addictions peuvent difficilement être « traitées » dans l’entreprise. La prise en charge médicale s’effectue à l’extérieur, c’est un fait. Quant à la prévention psychologique, elle peut s’amorcer dans les murs de la société, mais sera plus efficace dans un cadre privé. « Faire intervenir un professionnel externe à l’entreprise permettra d’aborder des sujets personnels », précise la psychologue. A la demande d’un dirigeant, elle a récemment suivi un salarié victime d’un burn-out. « Je suis intervenue après un traitement médical, pour l’aider à revenir dans l’emploi », explique-t-elle. Mais leurs rencontres avaient lieu en dehors des murs de l’entreprise.
Selon elle, l’entreprise devrait proposer « des possibilités de soutien », après traitement médical, mais aussi en prévention. « L’entreprise peut passer un partenariat avec un psycholoque pour apporter un suivi individuel et aménager des horaires de travail sans pénalité pour des rendez-vous, en extérieur, avec ce professionnel », poursuit-elle. Chez Lisi Aerospace par exemple, les collaborateurs ont la possibilité de joindre un psychothérapeute par téléphone. « Nous avons mis en place un numéro vert, qui permet à chacun d’exprimer ses difficultés. Suite à cet appel et si nécessaire, ils peuvent bénéficier de rendez-vous en face-à-face avec le psychothérapeute », explique Rémy Delabays, DRH du Groupe.
Des profils à risque ?
Les visites médicales à l’embauche et périodiques ont « un caractère exclusivement préventif », stipule le code du travail (Art. R7214-9). Ces examens ont pour finalité « de s’assurer que l’emploi n’est pas incompatible avec l’état de santé du salarié et que celui-ci n’est pas atteint d’une affection contagieuse », établit l’article R7214-11. La médecine du travail émet un diagnostic mais n’assure pas de suivi. Lydia Levant-Bol se dit favorable à un examen psychologique à l’embauche : « Les DRH ou les N+1 doivent cerner les « personnalités à risque» chez les collaborateurs : ceux qui s’impliquent affectivement au travail, qui sont extrêmement passionnés, développent naturellement un souci pour l’excellence, recherchent frénétiquement la performance ou la productivité. Le problème, c’est que ce sont souvent des « qualités professionnelles positives », mais qui à l’excès peuvent s’avérer très dangereuses ». Elle fait ici particulièrement référence à l’addiction à des produits dopants.
L’INRS recommande également « un repérage et une prise en charge des situations individuelles ». Dans son document pour la Médecine du Travail de 2008, l’institut cite un enquête inter-entreprise réalisée en 1995 : 22% des prélèvements urinaires présentaient au moins une substance psychoactive (cannabis, opiacés, amphétamines, cocaïne, barbituriques, benzodiazépines et alcool). L’INRS remarque que les consommateurs de ces substances sont plus nombreux aux postes de sûreté/sécurité (40% des prélèvements étaient positifs).
La psychologue confirme : « il faut veiller aux personnes qui occupent des postes à risques, nécessitant une grande vigilance, mais aussi aux postes à fortes responsabilités, aux personnes qui travaillent dans l’urgence ».
L’institut cité également une étude de l’INSERM de 2003 qui met en exergue une consommation plus fréquente d’alcool dans les professions pénibles et pour les postes en contact avec le public.
Remettre en question son management
La psycholoque évoque la nécessité d’instaurer un climat de confiance « qui permet aux employés en difficultés d’avoir l’assurance d’être dans une entreprise à l’écoute de leur santé ». Pour aborder le sujet de l’addiction sans bousculer le collaborateur, elle recommande une approche collective : un message interne sur le thème de la prévention, une conférence, une formation de sensibilisation. Mais surtout, « il ne faut viser personne en particulier, insiste-t-elle, faire taire les rumeurs, ne pas porter de regard accusateur, multiplier les entretiens d’évaluation et être en capacité de se remettre en question sur la charge de travail donnée aux collaborateurs ou sur son type de management ».
Elle suggère que les cadres consultent régulièrement un professionnel, psychologue ou conseiller, pour des « séances de supervision de leurs pratiques professionnelles ». Les participants accordent « le droit » à ce professionnel de « tirer la sonnette d’alarme, explique-t-elle. L’entreprise doit adopter un système de management qui ne favorise pas les situations de stress, qui ne demande pas aux salariés de dépasser leurs limites à outrance ».
Typhanie Bouju