Bienvenue dans le deuxième épisode de la saison 1 de T’as raté le coche, intitulé : « Quand les femmes quittent la Tech ».
Dans cet épisode, nous allons explorer un sujet crucial et actuel : le départ des femmes du secteur technologique. Pourquoi se produisent ces départs et quelles en sont les conséquences ?
Pour répondre à ces questions, nous avons invité deux expertes du domaine : Colombe Mandula de Simudia et Hélène Lucien de 50inTech. Suivez-nous dans cette conversation éclairante qui dévoile les défis et les réalités auxquels sont confrontées les femmes dans l’univers de la Tech.
S01 E02 : Quand les femmes quittent la Tech
Christophe : Bonjour, je suis Christophe Patte, le fondateur du média myRHline.com dédié aux professionnels des RH.
Bienvenue dans T’as raté le coche, le podcast qui décrypte les tendances et l’actualité du monde du travail. Dans cet épisode, on va se demander ce qui se passe quand les femmes quittent la Tech et surtout pourquoi elles quittent la Tech. Pour y répondre, j’ai demandé à deux expertes de m’accompagner : Colombe Mandula de Simudia et Hélène Lucien de 50inTech. Venez, je vous emmène les rencontrer.
Christophe : Bonjour Hélène, bonjour Colombe. Bienvenue dans ce nouvel épisode, tout d’abord je vais vous laisser vous présenter.
Hélène : Je suis Hélène Lucien, CPO et CMO chez 50inTech, c’est une solution Saas pour les entreprises. On les aide à mesurer et traquer toutes les actions favorables à mettre en place des politiques DNI. Collectes de données, identification des billets dans les entreprises du recrutement au management, et ensuite on push des solutions adaptées à leurs problématiques. On les teste pour mesurer leur impact avant de les intégrer à notre portfolio.
Christophe : Ça marche, et Colombe ?
Colombe : Donc moi, je suis Colombe Mandula, CEO de Simundia, et pour parler de mon entreprise, je vais un peu parler de mon parcours. Moi, je suis d’une petite formation, donc je me suis toujours passionnée pour le développement personnel et professionnel, et j’ai travaillé en tant que RH au BCG, et je m’occupais de consultants qui étaient tous hyper forts en Excel et en PowerPoint. Mais ça ne fait pas tout pour réussir sa carrière. Et on proposait du coaching que aux personnes en situation d’échec. Donc une fois qu’ils quittaient le BCG, on leur proposait un coaching, ce que je trouvais hyper dommage. Et donc, on a développé Simundia pour démocratiser le coaching à grande échelle dans les entreprises. Donc ce qu’on fait aujourd’hui avec un format court, disponible en visio. Et donc, on a accompagné plus de 10 000 coachés dans le monde entier.
Christophe : Super! Aujourd’hui, le sujet tourne autour de la Tech et on l’a intitulé : Pourquoi les femmes quittent la Tech ? Alors, c’est quoi le constat aujourd’hui? Hélène, Colombe, par rapport à ça?
Hélène : Alors, premier constat déjà : il y a seulement 22 % des postes Tech qui sont occupés par des femmes en Europe. Deuxième constat, ça c’est un chiffre qui est un peu effroyable et qui ne bouge pas, c’est qu’aux alentours de 35 ans, c’est-à-dire à peu près autour de huit ans d’expérience professionnelle, une femme sur deux quitte la Tech pour plusieurs raisons. Alors déjà parce que les entreprises ne sont pas suffisamment inclusives parce qu’il y a de plus en plus (…) plus on monte dans les expériences plus la différence de salaire s’accroît. Donc ça c’est aussi une raison majeure et également par manque de rôles modèles et d’évolutions professionnelles pour les femmes. Donc il faut agir sur ces trois éléments notamment essayer de fixer le système. C’est-à-dire que les organisations doivent vraiment se remettre en question et changer leurs politiques internes et de promotion de mobilité interne déjà pour inclure être plus inclusives auprès de cette population là d’une part. D’autre part faire énormément d’efforts sur le gender pay gap. Donc essayer de faire en sorte que les femmes aient le même salaire à l’entrée et à la sortie. Et ensuite il y a évidemment ne pas l’oublier mais il y a énormément de micro agressions sans parler du harcèlement qui arrive souvent puisqu’on est dans des milieux extrêmement masculins ce qui fait que c’est une industrie qui est plus favorable à ce type de comportements déviants. Ce qui fait que les femmes plutôt que de gueuler se barrent.
Christophe : Comme on l’a vu dans la série là (…)
Hélène : Exactement. Ouais moi je sais plus comment elle s’appelle mais c’est frappant.
Christophe : Ouais c’est assez violent. Et pas que cette série hein (…) les startups en général dans la Tech montrent les mêmes biais.
Hélène : C’est ça. Exactement. Et quand on discute avec les femmes. Donc nous on a plus de 30 000 femmes sur notre plateforme auprès desquelles on lance pas mal d’enquêtes assez fines. Et c’est vrai que les micro agressions qui peuvent paraître drôles c’est-à-dire : on est la seule femme dans la pièce et des blagues sexistes qui sont posées lancées sur le ton de la blague… ça va une fois ça va deux fois mais au bout de cinq ans c’est juste insupportable.
Christophe : Ça veut dire que ce qu’on voit dans la série qui se passe aux Etats-Unis en fait ça se passe pas qu’aux Etats-Unis (…)
Colombe : Et pas que dans la Tech. Nous on a choisi le secteur de la Tech parce que c’est vraiment emblématique en termes de problématiques sur la rétention et l’attractivité des talents féminins. Mais évidemment tout ce qu’on a pu comprendre pendant l’étude qu’on a faite s’applique aussi à d’autres secteurs qui sont particulièrement masculins donc par exemple le BTP, la finance, le secteur de la R&D. Tout ça c’est important de l’avoir en tête et il y a cette problématique aussi très pyramidale où plus on va haut moins il y a de femmes qui occupent des postes à responsabilité, il n’y a que 12 % des postes (…) sont occupés par des femmes et les femmes démissionnent plus que les hommes. Donc il y a beaucoup de turn over à ces postes là. Et donc voilà les résultats de l’enquête c’est à partir de la Tech parce que c’est emblématique mais ça ne se limite pas qu’à la Tech c’est malheureusement des problématiques partout.
Christophe : Ce qui est assez dingue aussi je trouve quand on regarde les exemples des boîtes qui ont fait la une des journaux sur ces sujets-là c’est qu’on pourrait se dire : ben ouais mais c’est des mecs qui ont créé les boîtes. Or quand on regarde on constate que souvent elles sont cofondé hommes/femmes ou femme et que même quand c’est un couple ou une femme qui a créé l’entreprise ben on arrive au même résultat en fait.
Hélène : Oui alors il faudrait aller voir un petit peu plus finement sur les parts que ces cofondatrices ont. Souvent elles ont des parts qui sont très loin d’être majoritaires donc leur voix n’a pas tellement vocation à faire bouger les lignes. Et souvent… alors effectivement on identifie qu’il y a de plus en plus de startups dans la Tech cofondées par des femmes mais très régulièrement elles sont à moins de 10 % et elles sont en face de cofondateurs qui parlent plus fort et qui représentent plus la politique. Qui sont un peu les sponsors de l’ADN de la startup.
Christophe : Donc c’est vraiment une culture en fait.
Colombe : Après moi pour nuancer je parle un peu pour moi mais moi je suis cofondatrice d’une boîte dans la Tech et nos premiers salariés ça a été des femmes. Avant on avait plutôt des managers femmes. Et dès lors qu’on a mis des femmes managers en place on a eu beaucoup plus de candidatures féminines. Parce que le fait d’avoir des femmes dont moi à des postes à responsabilités ça rassure quand même les femmes sur la culture de l’entreprise et elles se sentent plus légitimes de postuler. Et dans un environnement a priori qui est plus comment dire… inclusif pour qu’elles puissent s’épanouir.
Christophe : Mais tu l’as voulu ? T’as volontairement recruté des femmes à ces postes ou c’est le hasard qui a fait les choses en fait ?
Colombe : Alors nous de façon hyper empirique ce qu’on a remarqué et qui est vraiment hyper fort et qu’on veut absolument respecter c’est… Donc mon associé et moi on est un homme une femme et on a vu dans des équipes que la mixité générait beaucoup plus de performance. On a par exemple dans notre équipe Tech une femme qui est manager et dans des postes des équipes que féminines on va sciemment se dire qu’on veut recruter un homme pour qu’il y ait toujours une part de mixité. Donc ça c’est vraiment quelque chose qu’on fait proactivement, systématiquement.
Christophe : Parce qu’il y a des gens qui vont opposer le fait que tu vois, par exemple, quand on se retrouve à avoir 80 % d’hommes et 20 % de femmes, il y a des gens qui vont te dire : mais enfin, en France, on n’a pas le droit de faire de la discrimination positive ? Donc comment on va équilibrer ? Parce que si on s’en tient à la loi, comment est-ce qu’on fait? Parce que finalement, d’un côté, t’es pas dans les clous, et de l’autre, logiquement t’as pas le droit de le faire, t’as pas le droit de dire : je vais recruter un manager, ça sera une femme. Tu vois, il y a quand même un truc (…) ça tourne un peu en rond quand même.
Hélène : Alors ça tourne en rond, non. Parce que la discrimination, il faut pas qu’elle se positionne sur un background social ou sur un parcours éducatif particulier. En revanche, si une entreprise fait le constat qu’elle est déséquilibrée… et donc il n’y a pas de discrimination si volontairement, on se dit que ça serait quand même bien pour les équipes, pour le bien être des équipes, pour le bien de l’entreprise — parce qu’effectivement le MIT a fait depuis plus de 20 ans des études sur les la diversité et la productivité des entreprises qui sont extrêmement diverses, eh bien elles surperforment —, donc là il n’y a pas vraiment de discrimination. Et il s’agit juste de se dire : ok, j’ai besoin d’une femme pour ce poste, donc je m’interdis de regarder les CV qui viennent des garçons, c’est pas grave, le tour prochain, tu fais l’inverse.
Colombe : Ou de la promotion interne. (…) En interne, on a détecté des talents, hommes comme femmes (…)
Christophe : Ce qui est la meilleure solution pour justement faire en sorte que cette culture prenne et soit durable.
Hélène : Et surtout avoir des rôles modèles féminins clés. Et parce que (…) les femmes quittent la Tech à partir de huit ans d’expérience, mais elles quittent la Tech aussi avant. C’est-à-dire qu’au sortir des études, donc du lycée, il y a plus de 20 % des jeunes femmes qui décident de quitter, du moins de ne pas poursuivre ses études-là, uniquement parce qu’il y a des stéréotypes sociaux qui perdurent, qui sont encore lourds, et également parce qu’il n’y a pas de rôles modèles sur lesquels se projeter. Pour se dire : ah ben, finalement, ça peut être cool de commencer une carrière dans la Tech.
Christophe : Alors quand tu dis ça, c’est la perception qu’elles en ont, et peut-être que… est-ce qu’elles se créent des freins elles-mêmes ? Ou est ce que clairement on leur dit : ben non, de toute façon pour vous il n’y a pas d’avenir ? (…)
Hélène : (…) Il y a effectivement ces stéréotypes sociaux qui sont ancrés depuis longtemps, depuis plusieurs générations d’une part, donc, c’est de l’auto persuasion en se disant : bon ben, les maths c’est fait pour… Moi, j’ai été prof de maths au lycée et à l’université donc je peux dire très clairement qu’il y a un moment incroyable, autour de la cinquième à la quatrième, les filles qui étaient excellentes, du jour au lendemain, on ne sait pas pourquoi, décident que les mathématiques, elles sont nulles, c’est plus pour elles. Il n’y a même aucun élément tangible pour expliquer ce changement. Donc ça c’est très très lié aux stéréotypes sociaux d’éducation. Il y a aussi la congruence des stéréotypes. C’est-à-dire que même si on est bon en mathématiques ou en sciences, l’extérieur, la société, hommes comme femmes (…) va se dire : ah oui, mais elle doit être moins bonne que son homologue masculin parce que : moins de compétences logiques, moins de rationnel, etc. Donc c’est aussi de l’auto proclamation. Et puis quand les jeunes filles pendant les stages en troisième, tous les gamins vont dans les entreprises, eh bien elles doivent faire le constat qu’il n’y a pas de femmes, ou très peu en tout cas, qui sont managers à des postes techniques élevés et intéressants. Donc ça aide pas.
Colombe : Je suis complètement d’accord avec toi et je pense que ce qu’on peut aussi expliquer, c’est le fait que la société, globalement, par exemple sur un poste de management de direction, va associer des qualités très masculines au fait de manager. Donc le manager masculin va être perçu comme ambitieux, fort, tranché, qui prend des décisions, qui parle fort, etc. Et il y a beaucoup de femmes qui vont pas forcément, parce que c’est des qualités historiquement très masculines, se reconnaître dans ce type de leadership très masculin et qu’en ayant des rôles modèles qui sont des femmes leaders mais qui vont peut être pas parler hyper fort, qui seront ambitieuses, mais qui vont peut être se traduire différemment ou être plus dans le care, le fait de ne pas avoir beaucoup de rôles modèles dans ce sens là, c’est compliqué aussi pour elles de se projeter.
Christophe : Mais je vous rejoins, moi qui suis dans le monde des ressources humaines depuis 25 ans, la fonction RH, c’est 80 % de femmes en France mais le poste de directeur des ressources humaines, c’est un poste de directeur (…) Voilà. Il y a des femmes directrices des ressources humaines, mais en grande majorité, ce sont des postes qui sont donnés aux hommes. (…)
Colombe : Comme les chefs cuisiniers. C’est un peu la même analogie… les femmes cuisinent toute la journée entre guillemets, enfin c’est un stéréotype (…) malgré tout encore beaucoup le cas. Et les grands chefs cuisiniers, c’est des hommes. (…) Mais ce qui est certain, c’est qu’effectivement, Colombe le disait, quand on monte plus haut dans la hiérarchie, les femmes se raréfient. Donc ce n’est pas uniquement la Tech. La Tech, c’est dramatique. C’est une femme selevel pour 6, donc on est loin encore des 12 %. Mais c’est un constat tragique, triste, sur lequel il faut effectivement adresser les entreprises pour qu’elles prennent leurs responsabilités. Mais voilà, et je pense que (…) les selevel, les managers, les directeurs — parce que très souvent on dit les directeurs alors qu’on devrait dire directrices, directeurs —, c’est des notions qui sont perçues masculines. Quand on fait le test de Harvard — et j’invite tout le monde à le faire parce que c’est très intéressant —, c’est comment on attribue, à des termes qui soient masculin ou féminin dans la langue française, des particularités masculines. Et donc tout ce qui est management est très clairement lié à la masculinité. Donc ça aide pas. On a aussi des choses à faire dans notre langage et dans la façon dont on revoit les jobs desk, notamment.
Hélène : Mais ce qui est certain, c’est qu’effectivement, Colombe le disait, quand on monte plus haut dans la hiérarchie, les femmes se raréfient. Donc ce n’est pas uniquement la Tech. La Tech, c’est dramatique. C’est une femme selevel pour 6, donc on est loin encore des 12 %. Mais c’est un constat tragique, triste, sur lequel il faut effectivement adresser les entreprises pour qu’elles prennent leurs responsabilités. Mais voilà, et je pense que (…) les selevel, les managers, les directeurs — parce que très souvent on dit les directeurs alors qu’on devrait dire directrices, directeurs —, c’est des notions qui sont perçues masculines. Quand on fait le test de Harvard — et j’invite tout le monde à le faire parce que c’est très intéressant —, c’est comment on attribue, à des termes qui soient masculin ou féminin dans la langue française, des particularités masculines. Et donc tout ce qui est management est très clairement lié à la masculinité. Donc ça aide pas. On a aussi des choses à faire dans notre langage et dans la façon dont on revoit les jobs desk, notamment.
Colombe : Et dans les représentations (…) une femme ambitieuse va être mal perçue, en général, alors qu’un homme ambitieux va être bien perçu. Il y a beaucoup de choses qui, quand une femme incarne un certain nombre de ses qualités de leader, sont vues négativement. Donc, je pense qu’il y a aussi un travail collectivement à faire là-dessus, de prise de conscience et de revisiter, en fait, ce que c’est que d’être quelqu’un d’ambitieux, hommes ou femmes, par exemple.
Christophe : Alors, comment est-ce qu’on s’y prend pour remédier à cette situation? Je sais que vous avez fait un partenariat entre vos deux entreprises. Est-ce que vous pouvez m’en parler, peut-être que tu peux nous en parler, Colombe ?
Colombe : Nous, on était un peu mues par la même envie — Simundtech et 50inTech — d’identifier les défis, plus précisément auxquels étaient confrontées les femmes au quotidien et comment est-ce qu’on pouvait y répondre. Donc on a fait une étude en deux parties, donc dans la première, qui est plus quantitative, on s’est basé sur toutes les données qu’on a agrégées depuis 2017 chez Simundia en accompagnant des milliers de coachés. Donc nous, le profil de coachés qu’on a, c’est à 90 % des personnes basées en France, le reste dans des pays à l’étranger, majoritairement plutôt issus de grands groupes. Et dans la deuxième partie, qualitative, on a sponsorisé dix coaching pour des femmes issues du réseau 50inTech. Et à partir de ça, on a fait un reportage vidéo (…) grâce à cette étude, on a pu tirer un certain nombre d’enseignements.
Christophe : Quand tu parles des grands groupes qui font appel à toi, notamment pour des coaching, est-ce que là tu sens une discrimination ou il n’y a pas discrimination de genre pour pour ce public?
Colombe : Alors je ne dirais peut-être pas le terme discrimination, c’est plutôt des enjeux, donc (…) nous on répond aux grands enjeux d’entreprises, qui peuvent être de l’accompagnement de la transformation, de la montée en compétences, mais aussi — alors ça c’est vraiment bien parce qu’au début, moi, quand j’ai lancé Simundia, il y avait beaucoup de DRH qui nous disaient : Ah les femmes, ça peut être intéressant, mais il y avait jamais de budget qui était mis dessus (…) — depuis quelques années, c’est devenu vraiment un enjeu concret pour des grands groupes qui mettent en place des grands programmes comme on a pu le faire par exemple chez Bearing Point, où toutes les femmes ont accès à un coaching et peuvent se développer. Et ça, c’est vraiment une volonté de la direction générale de coacher des femmes pour que, sur le long terme, il puisse y avoir plus de femmes, justement qui atteignent des postes de direction. Et en fait, ce qui est marrant, c’est que toutes les femmes y ont eu accès et les hommes se sont dit : Ah mais attendez, nous aussi, on se rend compte… on a envie et besoin d’être coachés.
Christophe : Et on en revient à certains RH qui vont dire : ben oui, mais c’est une discrimination d’avoir fait un programme de coaching pour les femmes. Alors j’insiste là-dessus parce que c’est des choses qu’on nous pose régulièrement, mais sur plein de sujets, pas que celui-ci. On me l’a opposé récemment sur les boîtes qui avaient mis en place des jours tous les mois pour les règles. Tu vois, par exemple, j’ai demandé à des DRH : qu’est-ce que vous en pensez de cette initiative? Et un sur deux me répond : c’est discriminatoire. Ça s’entend d’une certaine mesure, et d’un autre côté (…)
Hélène : C’est discriminatoire pour qui, pour quoi ?
Christophe : Pour les autres populations.
Hélène : Pour les hommes donc, et les femmes qui n’ont pas de règles douloureuses.
Christophe : C’est ça le positionnement. Mais ça va plus loin, tu vois, j’ai d’autres dispositifs… Là, on est en plein octobre rose où tu as des entreprises qui ont mis en place des dispositifs de prévention, entre guillemets en libre service où chaque femme peut avoir accès à un module qui lui permet de faire de la prévention financée par l’entreprise. Tu as des DRH qui vont te dire : c’est bien, mais c’est discriminatoire. T’as déjà eu ce type de (…) ?
Colombe : Alors, moi, sur le coaching peut-être (…)
Christophe : Mais c’est important, tu vois, moi j’ai été surpris (…)
Hélène : Oui oui, j’entends. Mais alors pour moi (…) en fait, chaque avancée sociétale, quelle qu’elle soit, a fait lever énormément de boucliers contre, on l’a vu, sur tout ce qui était politique de quotas aux Etats-Unis pour des populations qui étaient faiblement représentées des deux côtés, c’est-à-dire les populations qui en ont bénéficié comme celles qui n’en bénéficiaient pas… J’ai encore eu cette discussion avec un anglais il y a pas longtemps, qui est noir et qui me disait : ben oui, moi j’ai pas envie d’être faire partie des quotas. Je dis ok, ça se défend. On va avoir des levées de boucliers parce que les entreprises vont être obligées de mettre en place et d’engager des femmes à des postes selevel, et donc j’entends déjà les discriminations : cette femme, elle est là non pas par ses compétences, mais uniquement parce que c’est une femme. J’ai envie de leur dire : ok, mais une femme, si elle arrive à un poste, elle sur performe de toute façon. (…) Oui, il va y avoir un temps où des gens vont dire : c’est de la discrimination. Et puis quand on fera des tests pour combattre les cancers de la prostate, eh bien ça ne sera plus discriminant. Voilà, c’est tout. Les filles auront pour les seins et le cancer de l’utérus et les hommes auront pour la prostate et je ne sais quoi encore (rires). C’est tout, on avance et à partir du moment où à chaque fois on avance, les barrières sont reculées, il y a un progrès pour certaines populations, il y a toujours des levées de boucliers.
Christophe : De toute façon, on ne va pas se mentir, on est en France. Tout à l’heure, au café, t’en parlais, tu parlais de la loi de la directive européenne sur la transparence des salaires. Et comme on est en France, ce qui marche, c’est la loi. Et de toute façon, ça évoluera quand la loi sera plus dure et plus stricte par rapport à ça. Donc de toute façon, ça va changer de façon plus ou moins dure (…) Alors, ces coachings que vous avez fait auprès des dix femmes, ces dix femmes elles ont été sélectionnées comment ?
Hélène : Donc on a fait une présélection, donc, dans un premier temps, sur une population qui était en France, parce que les 30 000 femmes qu’on accompagne sont dans toute l’Europe, voire jusqu’aux Etats-Unis et aussi une partie en Afrique. Donc déjà on a fait une première sélection. Ensuite, pour nous, il y a un vrai sujet qui est commun aujourd’hui, puisque le marché de l’emploi est un peu tendu. Donc c’est très important d’aider les entreprises à s’activer sur la rétention. Donc on a choisi, en accord avec Simundia, plutôt des femmes qui étaient à ce niveau-là, c’est-à-dire entre six et dix ans d’expérience professionnelle. Et après on a construit un survey pour identifier déjà quels étaient leurs objectifs, quelles étaient leurs attentes par rapport au coaching — et ça c’est très important pour l’analyse quanti’ ensuite et nous, pour la mesure d’impact à terme. Et il me semble que vous avez fait des entretiens avec une partie pour sélectionner les dix finalistes. Ça s’est pas fait au doigt mouillé, ça a été méthodologiquement construit avec nous. On a effectivement revu les dix choix finaux pour valider ou non et on a fait quelques petits ajustements au dernier moment.
Christophe : Et alors, qu’est ce qu’il en ressort?
Colombe : Plein de super choses, on peut en tirer plusieurs enseignements et notamment sur les besoins des ces femmes. Donc il y a beaucoup de sujets qui reviennent autour du manque de confiance en soi, du besoin aussi de communication. Les femmes parlent beaucoup de syndrome de l’imposteur, donc elles ne se sentent pas légitimes à leur poste. Elles ont un besoin, une quête de perfection qui est intarissable, inatteignable, qui les met un peu dans une position de chercher l’agrément des personnes autour d’elles qu’elles n’arrivent pas à avoir. Et ce qu’on voit, c’est que sur le sujet de la communication, qui est un besoin fondamental qui a été remonté par la plupart des femmes qui ont suivi un coaching, ça va toujours de pair avec un sujet de manque de confiance en soi. Et donc plus globalement, ce qu’on voit sur notre plateforme, c’est que le manque de confiance en soi, c’est le deuxième sujet qui est demandé par les femmes. Plus de 71 % des femmes veulent être coachées sur la confiance en soi, alors que quand on regarde les hommes, c’est le 10ᵉ sujet pour eux et moins d’un tiers d’entre eux ont envie de se positionner sur un sujet comme celui-là. Et eux, ils vont plus regarder la gestion du temps par exemple, ou la performance. Le résultat qu’on a là-dessus, c’est qu’il y a plus de sept femmes sur dix qui ont senti suite au coaching une progression de leur confiance en elles. Donc, on est hyper contents. Ça a été un travail vraiment transformateur qui va varier en fonction des femmes. Parce que l’idée du coaching c’est que c’est vraiment du sur mesure, c’est pas une formation, c’est pas plaqué. Et donc on va vraiment s’adresser à la personne, à la femme, en l’occurrence sur son sujet de départ, sa situation de départ. Donc pour certaines femmes, ça a été de prendre conscience de leurs forces, donc de lister leurs forces, de se dire : ben en fait, j’ai de la valeur et j’ai une certaine singularité, mais en fait, c’est une force. Pour d’autres, c’était de prendre confiance dans leurs arguments et donc d’arriver préparées. Donc je suis à une réunion, je suis entourée d’hommes qui parlent parfois plus fort que moi. C’est compliqué pour moi de trouver ma place et j’ai confiance dans mes arguments, j’ai mon point de vue et j’arrive aussi à bien m’adapter. Donc il ne faut pas que la femme se sur adapte à son entourage (…) mais quand même, qu’elle puisse un peu prendre du recul et se dire : ok, quel est mon discours, comment je m’adapte pour faire passer mon message et m’y tenir ? Et ensuite, il y a tout ce qui est autour de l’estime de soi. Donc, prendre du temps pour soi, cultiver cette estime de soi… et qui du coup, à terme, permet aux femmes d’être plus motivées, plus à leur place, de plus prendre leur place en réunion, d’ouvrir un peu leurs horizons et donc in fine de se sentir mieux au quotidien dans leur travail.
Christophe : Dans leur travail et dans la vie peut-être ? (…) Je pense qu’il y a des facteurs au travail et des facteurs qui peuvent être aussi personnels (…)
Hélène : Oui, c’est difficile de siloter les deux. Surtout pour les femmes, mais pas que. On passe quand même énormément de temps au travail, donc c’est pas étanche, on ramène ses problèmes à la maison (…)
Christophe : Je pensais aussi aux choses qu’on voit dans la vie de tous les jours (…) je pense qu’à la maison, si ton mec te donne pas aussi un peu de temps pour toi et puis il ne te dit pas : ben oui, tu peux prendre ce poste de manager, limite ça a presque plus d’impact ça, que dans l’entreprise où tes collègues vont être un peu bourrus et (…)
Hélène : Complètement d’accord. Je pense que les femmes, rôles modèles, et souvent on prend pour exemple… je citerais Michelle Obama, elle a fait et continue à faire une carrière exceptionnelle, mais c’est aussi parce qu’elle a un super mec derrière qui la soutient (…) Et moi j’ai remarqué, effectivement dans toutes les femmes que j’ai pu accompagner de façon bénévole sur du mentorat, que toutes celles qui réussissent à atteindre des ambitions fortes, elles ont un.e super partenaire qui les soutient derrière (…) Mais ce qui est intéressant dans ce coaching… il y a déjà quelque chose d’incroyable, et là on était vraiment satisfaits, c’est que parmi ces dix femmes, deux avaient fermement l’intention de quitter la tech pour les raisons évoquées précédemment. Le manque de culture inclusive dans les entreprises micro agressions, manque d’évolution professionnelle…
Christophe : Quand tu parles de micro agressions, c’est un des secteurs où il y a le plus de harcèlement sexuel…
Hélène : Ouais, je parle de micro agressions parce que je ne veux pas non plus pointer du doigt… Il y a la micro agression et le harcèlement sexuel, qui relève du pénal (…) mais avec les micro-agressions, il y a du harcèlement sexuel également déguisé (…) Et donc, il y a un moment donné, t’en peux plus, tu t’en vas, et puis les différences de salaires. Donc là, on en avait deux qui avaient pris leur décision mûrement réfléchie, et qui, grâce au coaching finalement, ont décidé, parce que c’est ce qu’elles aiment faire, la Tech, de poursuivre leur carrière dans la Tech, de poursuivre ce qu’elles aiment faire et de trouver des clés pour s’épanouir et se protéger quand besoin est. Donc ça c’est un très très beau succès, deux sur dix, c’est génial, on est ravies. Après, il y avait aussi pas mal de femmes qui ont demandé à travailler sur la communication et elles ont fait le lien assez intelligemment avec le besoin de renforcer leurs compétences en communication pour asseoir leur leadership et aller demander la promotion qu’elles souhaitaient. Et donc elles ont travaillé en fait sur deux sujets avec un scop et une réflexion quand même, une prise de recul par rapport à ce sur quoi elles devaient bosser, pour elles. Prendre confiance dans la communication, prise de parole, se mettre en avant et arrêter de mettre en avant le travail des autres au détriment du leur et ensuite trouver un peu ce qui dépendait d’elles, de leur force et ce qui dépendait du système et donc louvoyer de manière intelligente, sans changer qui elles étaient, en restant vraiment sereines et et sans se transformer, se travestir par rapport à ce qu’elles étaient profondément. Donc ça, c’était une belle leçon. Très belle leçon et je pense que c’est effectivement, comme tu le dis, ce que tu apprends pour ta carrière professionnelle, tu vas pouvoir bien évidemment l’appliquer dans ta vie personnelle et éduquer tes filles dans ce sens-là pour qu’elles ne perdent pas autant de temps.
Colombe : (…) Et peut-être une prise de conscience, comme tu le disais, d’être capable de davantage s’affirmer, de mettre ses limites, davantage prendre conscience que les femmes ont une charge mentale hyper élevée et qu’elles peuvent aussi se dire bah moi, pour être bien, j’ai besoin de temps pour moi, j’ai besoin d’avoir un partage des tâches plus équitable pour pouvoir grandir dans ma carrière. Et c’est vrai que beaucoup de femmes ont peut-être intégré le fait que c’était normal et attendu d’elles de multiplier les casquettes au quotidien. Et en fait, ben non, on peut pas toutes être des superwomen et enchaîner du matin au soir. Et en fait ça donne lieu à des burn-out, ce qu’on voit régulièrement, et donc, ben ça passe par mettre ses limites et dans sa vie personnelle et professionnelle.
Hélène : Pour moi, l’impact, on l’a mesuré grâce à Simundia. Ça nous semble une solution très pertinente à certains moments clés. C’est-à-dire que c’est pas magique, le coaching, c’est pas ça qui va changer les organisations. Il ne faut pas perdre de vue que les organisations ont un job à faire et il ne suffit pas juste d’offrir des coachings à leur population féminine, mais il faut qu’elles bossent elles aussi sur leurs sujets.
Christophe : C’est ce que je disais tout à l’heure, un peu de façon cash : en fait, mais le coaching là, c’est un pansement. Parce qu’en fait, si la direction générale utilise le coaching en se disant : ah c’est bon, je vais leur filer du coaching, elles vont nous foutre la paix pendant ce temps-là… Parce que ça peut aussi être, sous couvert de marque employeur, “J’ai mis en place du coaching pour les femmes”, mais en fait, si la direction n’enclenche pas une politique d’équité totale, ça ne fonctionnera pas. Je suis complètement d’accord avec toi. En fait, nous ça s’inscrit dans un dispositif plus global, le coaching. Donc c’est pas juste : je distribue des petits pansements aux malades et puis je continue par ailleurs à les faire souffrir, ça, ça ne fonctionne pas. Donc comme je parlais de BearingPoint, c’est vraiment une initiative portée par la DG, intégrée dans un dispositif plus large, avec une communication hyper claire sur une volonté ferme et vraiment stratégique de la direction de se dire : en fait, pour nous, c’est un asset clé d’avoir des femmes à des postes de management et de direction, parce qu’il y a une pyramide des talents qui fait que c’est clé d’avoir ces talents à des postes à responsabilité. Pour ça, on fait des programmes de coaching et nous on monitore tous les trimestres : quels sont les résultats du coaching? Quelles sont les actions qui ont été mises en place? Quels sont les besoins au niveau plus général dans l’entreprise qui doivent être pris? Donc si les femmes — par exemple les femmes, parce qu’on peut avoir d’autres populations — remontent qu’il y a trop de réunions tardives, qu’elles ne se sentent pas outillées, qu’elles ont l’impression d’être dans un milieu macho, etc., eh bien, à ce moment-là, c’est remonté à la RH et à la direction qui prend des mesures. Voilà. Sinon c’est un peu “vent” (…)
Hélène : Effectivement, pareil. Nous, chez 50inTech, on a quand même énormément de solutions pour adresser les organisations et changer. Si on parle vraiment de la rétention des talents, le coaching me semble pertinent. Mais s’il est vraiment intégré aussi dans une palette d’autres outils à un moment clé, et c’est vers six ans d’expérience professionnelle, parce que les femmes, elles décident pas du jour au lendemain, elles arrivent bientôt aux huit ans d’expérience (…), donc elles peuvent switcher et quitter la Tech, en l’occurrence. Donc il faut anticiper et leur donner des armes pour elles-mêmes, pour décider de quitter ou de rester, avec les bons outils, ça me semble pertinent. Également, on n’en a pas parlé mais, au moment d’un retour de maternité, c’est pas toujours simple pour une femme, donc il faut mettre en place des accompagnements pour le moment où elles reviennent (…) dans une optique de ré-onboarding, absolument. Et également, étant donné que là, se pose la question cruciale équilibre vie pro vie perso, il faut tenir compte des politiques à mettre en place dans les entreprises, mais également du coaching pour trouver un équilibre entre la douleur de quitter son enfant et sa carrière ; ça me semble éminemment important de leur apporter cette aide-là. Et il y a d’autres éléments du coaching. C’est-à-dire que je pense que, effectivement, quand on souhaite faire de la mobilité interne, prendre un nouveau poste, là, le coaching pour asseoir sa légitimité, aider à prendre confiance en soi, c’est important. Et j’ajouterais même, parce qu’on l’a pas vu : je pense qu’un coaching au moment où on doit aller demander une revalorisation salariale, je pense que ça, moi, ça me paraît très intéressant. Mais ça marchera d’autant mieux si l’entreprise a mis en place une grille de salaire transparente… enfin, voilà des éléments et des actions qui touchent tout le monde.
Colombe : Et je pense aussi, pour rejoindre un peu ce que tu disais sur le côté discrimination homme-femme et tout, je pense qu’il ne faut pas forcément l’axer comme ça. Il y a des enjeux différents dans les entreprises qui doivent tous être adressés et je pense qu’il y a un enjeu assez majeur qui répond aussi à toutes ces problématiques, c’est le fait de développer un management plus inclusif et donc de proposer du coaching aussi aux managers qui, globalement, hommes comme femmes —parce qu’il n’y a pas que ce clivage homme femme — pourront, au sein de leurs équipes, aider les personnes, accepter les personnes comme elles le sont et les aider à se développer dans leur singularité. Et donc un manager qui dans son équipe a des personnes qui peuvent aussi par exemple souffrir de handicap, comment faire pour que chaque personne ait son rôle dans l’entreprise. Et moi en tant que manager, comment est-ce que je fais pour faire émerger le meilleur chez ces personnes ?
Christophe : Merci. Merci beaucoup d’avoir répondu à toutes ces questions.
Hélène : Merci à toi.
Colombe : Merci beaucoup.