De nombreuses études en France et dans certains pays occidentaux convergent pour mettre à jour une augmentation choquante des troubles physiques et mentaux en relation avec le travail.
Au choc des suicides au travail s’ajoute par exemple le choc de l’augmentation récente et spectaculaire des cas de TMS (Troubles Musculo Squelettiques). Selon les données de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, un total de 8,4 millions de journées de travail sont perdues chaque année à cause des TMS [1].
Parallèlement, les chercheurs démontrent progressivement que certains de ces troubles sont en lien avec les conditions du travail et l’organisation du travail en entreprise. Ainsi par exemple, des travaux nous indiquent que les personnes qui souffrent de « non reconnaissance » ont une probabilité environ six fois plus élevée de souffrir de manifestations de détresse mentale [2].
Les conséquences individuelles du stress étant connues (et pour certaines désormais reconnues par les pouvoirs publics) il est intéressant de pousser plus loin l’inventaire et étudier si des dommages collatéraux existent également dans la sphère collective. Puisque le stress nuit aux personnes physiques dans une proportion et intensité croissantes, comment ne pourrait-il pas nuire aux personnes morales, les entreprises ? Dans un contexte de guerre économique où innovation et enthousiasme sont de rigueur, la probabilité que les entreprises puissent ne pas être pénalisées par les conséquences du stress au travail est très faible, sinon nulle. La question subsidiaire est donc, quel est le poids économique du stress pour l’entreprise ? Etrangement, cette question reste souvent sans réponse. Tel est le paradoxe de la souffrance au travail dans un monde structurellement obnubilé par la performance du capital : le capital humain qui conditionne cette performance n’est pas quantifié.
Le cas de l’absentéisme est révélateur de ce paradoxe. A la question combien coûte-t-il dans votre entreprise, les DRH me répondent souvent un chiffre entre 5 et 10%. Mais 5% n’est pas une unité reconnue par les systèmes comptables et entre les propositions « notre taux d’absentéisme est de 5% » et « l’absentéisme nous coûte 650.000 euros par an » et il y a bien plus qu’une différence de sémantique ! Si votre absentéisme est faible vous pourriez bien ne pas être tirés d’affaire pour autant. Combien coûtent le roulement du personnel, la démotivation, les accidents du travail et la dégradation de l’image de marque dans votre entreprise dont le stress est en partie responsable? Si ces coûts sont souvent cachés et en partie indirects, ils n’en demeurent pas moins pénalisants. Car caché ne se traduit pas par insignifiant et indirect ne présuppose pas de l’impact du paramètre considéré. Il est donc devenu urgent pour les entreprises de mesurer ces coûts pour mieux les prévenir car ils ne manqueront pas de pénaliser leur performance finale.
Nous sommes désormais devenus familiers avec le concept d’empreinte écologique. Le temps est désormais venu de mesurer l’empreinte économique du stress en entreprise. En effet l’économie (ainsi que les économies potentielles associées) demeurent de puissants leviers pour encourager les initiatives vers des programmes de prévention et d’amélioration des conditions de travail.
Guillaume Pertinant
Consultant en management social – Société Havasu Consulting
Consultant et formateur, Guillaume Pertinant est passionné par la problématique de l’audit et du management social en entreprise. Son sujet de prédilection est l’accompagnement de projets d’amélioration des conditions de travail. Il s’intéresse en particulier à la prévention du stress, de l’absentéisme et de la démotivation ainsi qu’au chiffrage de leur coût économique pour l’entreprise.
Guillaume Pertinant est ingénieur Télécom, titulaire d’un MBA (EDHEC), coach certifié (IDC Genève) et formé à l’accompagnement de projets d’amélioration des conditions de travail à l’ANACT.
[1] Les maladies professionnelles indemnisées au titre des tableaux 57, 69, 79, 97 et 98 de la Sécurité sociale connaissent une croissance d’environ 17 % par an depuis 10 ans.
[2] D’après les travaux de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail dans les organisations, Université de Laval, Québec.