Le 31 mars dernier, Bayer a exposé sa politique de Talent Management à un parterre de spécialistes RH. L’occasion pour le groupe chimico-pharmaceutique de revenir sur sa pratique de Development Center (DC) menée en partenariat avec Cubiks. Débrief de cette matinée avec Markus Baltzer, CEO, Bayer Healthcare France et Michel Hertrich, Head of Talent Management, Bayer.
- Tout d’abord, pourquoi avoir structuré il y a trois ans maintenant, une politique de Talent Management ?
Markus Baltzer : le slogan de Bayer est « Science for a better life ». Une ambition complexe qui nécessite d’atteindre l’excellence dans la performance. Nous avons besoin de managers et de collaborateurs excellents. Notre défi est de les identifier dans un environnement déjà en place mais en perpétuelle évolution. Les critères de sélection valables il y a dix ans ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Nous devons donc les affiner afin d’identifier ces collaborateurs le plus tôt possible. Ils représentent pour nous un avantage concurrentiel évident.
- Quelle différence faites-vous entre un talent et un haut potentiel ?
Michel Hertrich : tous les collaborateurs de Bayer possèdent un ou plusieurs talents. Les hauts potentiels sont ceux qui présentent la capacité à franchir deux niveaux au-dessus de leur poste actuel. Par exemple, un ouvrier capable de devenir agent de maîtrise ou un cadre junior présentant le potentiel pour évoluer vers un niveau de middle management.
- A quel stade cette détection des HP intervient-elle ?
Michel Hertrich : les managers mènent chaque année des entretiens de développement avec leur équipe à l’issue desquels ils définissent différents niveaux de potentiel (Haut Potentiel, Potentiel, Valued Performer…). Ces informations sont ensuite remontées aux RH qui les utilisent lors de la revue de population annuelle. En 2014, nous avons passé en revue 800 collaborateurs français sur 3200. Aujourd’hui, nous avons un vivier d’environ 8% de hauts potentiels.
- Pour les cadres juniors présentant le potentiel pour devenir cadre middle management, vous organisez donc 3 fois par an, un Future Leader Development Center (FLDC). De quoi s’agit-il ?
Markus Baltzer : Il s’agit d’un programme de 2,5 jours qui regroupe 9 participants, 6 managers seniors de Bayer (au moins 2 niveaux hiérarchiques au-dessus de celui des participants, mais sans lien hiérarchique direct) et 3 consultants Cubiks, notre partenaire pour ces FLDC. La première demi-journée est dédiée à la formation des observateurs Bayer pour assurer une évaluation objective des participants pendant la session. Les participants sont ensuite invités à se joindre à un dîner organisé en compagnie de toute l’équipe le soir du premier jour pour permettre des échanges informels. Les deux jours suivants sont dédiés au Development Center et plus précisément aux exercices de mise en situation et à la conduite d’entretiens, avec également des temps dédiés à la réflexion personnelle. Chaque étape est observée et évaluée par un trio d’observateurs différents (deux évaluateurs Bayer et un consultant Cubiks). Les participants ne sont donc jamais évalués par le même trio deux fois de suite. La dernière partie de la session est dédiée à la restitution individuelle des résultats à chaque participant sur la base d’un rapport final qui lui est ensuite remis.
- Quels objectifs poursuivez-vous avec le FLDC ?
Markus Baltzer : nous souhaitons donner du sens : par rapport à la stratégie du business, mais aussi en accordant du temps à nos collaborateurs. Pendant 2,5 jours, nous leur disons « Oubliez vos tâches en cours. Déconnectez-vous et réfléchissez au sens que vous voulez donner à votre projet professionnel ».
- Ces candidats sont-ils obligés d’accepter de suivre le FLDC ?
Michel Hertrich : Non, ils peuvent tout à fait refuser mais ils doivent alors être conscients de l’impact sur la gestion de leur futur développement de carrière. Pour l’heure, tout le monde a accepté. Six semaines avant le début du FLDC, les participants sont reçus en entretien par les RH afin de leur présenter la démarche et ses implications. On leur demande par exemple comment ils réagiraient si, à l’issue du FLDC, il s’avérait que 50% de leurs compétences actuelles sont à renforcer.
Markus Baltzer : on leur explique également que le FLDC est une preuve d’engagement de l’entreprise mais on ne leur promet rien. Ni augmentation de salaire, ni promotion automatique. Le FLDC est la construction du chemin. A eux par la suite d’être acteurs de leur développement.
- Quel est le suivi des HP après le FLDC ?
Michel Hertrich : nous procédons en deux temps. D’abord, 3-4 semaines après le FLDC, le collaborateur est reçu conjointement par l’observateur principal, son manager direct et un responsable RH. Nous sommes là dans une phase de projection par rapport aux besoins de l’entreprise et aux souhaits du salarié. Nous réfléchissons aux actions à mettre en place pour réduire le gap qui le sépare de l’étape d’après. Il peut s’agir de mentoring, de coaching, de 360°, d’une formation, d’un passage en gestion de projet transverse. Tout est envisageable. Nous sommes dans une démarche de co-développement. Six mois plus tard, le responsable RH doit faire un point avec le collaborateur pour apprécier le chemin parcouru. A ce jour, les deux tiers des participants aux FLDC ont changé de poste.
- Que pensent les participants du FLDC ?
Michel Hertrich : nous mesurons évidemment leur taux de satisfaction. Il est aujourd’hui de 4,8/5. Ils trouvent cela valorisant et apprécient, entre autres, le côté networking. Pendant deux jours et demi, ils échangent de manière informelle avec 8 autres salariés issus du groupe Bayer. Cette mixité est bénéfique. Ils sont également exposés à des niveaux de management N+2 pendant la durée du FLDC. Et puis ils apprécient de participer à leur propre plan de développement.
Markus Baltzer : pour les managers observateurs, le FLDC est également très enrichissant. Ils ont l’occasion de se concentrer sur des collaborateurs à potentiel pendant 2,5 jours. Ils peuvent benchmarker avec les autres managers présents. Et surtout, ils doivent s’écouter les uns les autres afin d’arriver à un alignement en vue du rapport final. Pour ma part, j’en suis sorti gagnant car j’y ai appris à affiner mes jugements.
- Comment les managers directs des participants au FLDC perçoivent-ils cet outil au service du Talent Management ? Ne sont-ils pas trop réticents à les laisser partir ?
Markus Baltzer : les managers de proximité n’ont pas toujours envie de les voir s’éloigner car ils préféreraient toujours conserver leurs meilleurs éléments. Il faut effectivement opérer un vrai changement culturel en leur montrant où se situe leur propre intérêt. Un manager qui participe actuellement au développement de ses collaborateurs verra son image davantage valorisée. On doit également leur expliquer que les talents détectés lors du FLDC sont un jour susceptibles d’intégrer leur équipe. C’est pourquoi nous sommes très transparents sur le « pool » de talents libres.
- Pourquoi passer par un prestataire extérieur, en l’occurrence Cubiks, pour mener ce FLDC ?
Michel Hertrich : le FLDC est un outil puissant s’il est bien mené. A l’inverse, il peut aussi être destructeur s’il est mal mené. Nous préférons donc investir dans la qualité en faisant appel à un prestataire extérieur expert du sujet. De plus, Cubiks, de par son expérience, nous apporte un benchmark sur ce qui se fait de mieux sur le marché. Ils nous aiguillent sur les bons niveaux d’exigence. C’est primordial.
- Quels sont les facteurs de succès pour ce type de projet ?
Markus Baltzer : D’abord l’engagement des dirigeants. Ils doivent être exemplaires et pleinement investis dans cette démarche. La bienveillance et la motivation de toutes les parties prenantes sont aussi capitales. Ensuite les critères à évaluer doivent être clairement définis afin d’objectiver l’évaluation. La démarche repose sur une approche multi-outils, multi-observateurs qui renforce la qualité des observations et la pertinence des recommandations de développement. Comme pour tout projet de ce type, la qualité de la communication conditionne le succès du FLDC. Les intervenants, les étapes, les objectifs doivent être clairement communiqués à l’ensemble des parties prenantes en réponse à une volonté de transparence.
- Quel retour sur investissement pour Bayer ?
Markus Baltzer : l’an passé, la croissance de Bayer a été de 9%. Alors certes, cela s’explique par l’innovation produits mais aussi par le développement du capital humain.
Michel Hertrich : le FLDC est l’un des outils de notre politique de Talent Management, donc difficile d’en isoler les retombées économiques. En tout cas, une chose est sûre, c’est un réel outil de fidélisation des talents mais aussi de motivation interne. Cela nous permet de travailler l’employabilité de nos collaborateurs et également d’anticiper les compétences dont Bayer aura besoin demain.
Photos : De gauche à droite : Markus Baltzer (Bayer), Tatévik Ozararat (Cubiks), Michel Hertrich (Bayer), François Fère (Cubiks)