Selon la définition officielle la production de la paie correspond « au contrôle de la bonne valorisation en paie des évènements touchant la situation des salariés et l’ensemble des activités post-paie (déclarations, cotisations,…) ». Aujourd’hui même si cette fonction reste un des éléments indispensables à la bonne marche de l’entreprise, elle n’en demeure pas moins une des tâches à faible valeur ajoutée. D’où la montée en puissance au cours des dix dernières années, de la tendance à l’externalisation de la gestion de la paie qui permet en théorie, à l’entreprise d’augmenter ses gains de productivité en s’exonérant des contraintes chronophages liées à l’administration de cette fonction.
Mais quels sont dans la réalité les véritables enjeux liés à l’externalisation de la paie ? Quels bénéfices l’entreprise est-elle en droit d’espérer en externalisant cette fonction ? Doit-on externaliser envers et contre tout ou parfois, vaut-il mieux conserver en interne la maîtrise et le pilotage de cette fonction administrative ? Décider de déléguer tout ou partie d’une application, d’un processus ou d’une activité de la fonction RH est une décision à ne pas prendre à la légère. Voici quelques éclairages sur comment arbitrer ce choix.
Fin 2009, l’Observatoire Cegos publiait la sixième édition de l’étude Fonction Ressources Humaines qui rendait compte de l’évolution de la Fonction RH dans les entreprises. A cette occasion, 135 DRH gérant 712 000 salariés ont été interrogés. Les résultats montrent que 36 % des entreprises externalisent tout ou partie de la fonction paie. Si l’on regarde de plus près en prenant en compte le critère de taille des organisations, il apparaît que parmi celles de 1 000 à 5 000 salariés, elles sont plus de la moitié à externaliser tout comme un tiers des PME de 200 à 1 000 collaborateurs. Plus l’effectif diminue, plus les entreprises conserve la maîtrise de la fonction paie en interne. Seulement 20 % des PME de moins de 200 salariés externalisent.
Enfin aussi étonnant que cela puisse paraître, parmi les entreprises de plus de 5 000 salariés, elles sont à peine 24 % à faire le choix de recourir à un prestataire extérieur. Olivier Sorel, Consultant études Cegos, explique ce phénomène par « la complexité organisationnelle de certaines structures qui couvrent plusieurs métiers rendant délicat l’externalisation. Plus la fonction paie est complexe, plus il sera avantageux pour l’entreprise de conserver la maîtrise en interne, notamment pour des raisons inhérentes aux coûts ».
A noter, néanmoins que l’idée d’une future externalisation de la gestion de la paie continue de séduire. En 2010, près des deux tiers des décideurs RH interrogés par Markess International envisageaient, à plus ou moins court terme, de recourir à des services d’externalisation dans le cadre de la fonction ressources humaines, notamment pour la gestion administrative des RH (paie, administration du personnel). Pour Pascale Boyaval, directrice marketing au sein du groupe Cegid, « il n’y pas eu de véritable mouvement de fond comme nous aurions pu l’imaginer. Il y a des entreprises qui continuent d’externaliser quand d’autres choisissent de ré-internaliser ».
Pourquoi doit-on externaliser ?
Quelles sont les raisons liées à cette relative atonie sur le marché de l’externalisation de la paye ? Selon la directrice marketing du groupe Cegid, « les entreprises qui ré-internalisent veulent réduire leurs coûts et cela concerne aussi bien les organisations de petite taille que les PME plus conséquentes. Mais ce que l’on peut dire de manière certaine c’est que le marché s’est structuré au cours des dernières années et affiche aujourd’hui une réelle maturité ».
Olivier Rouas, Directeur commercial Cegedim SRH, attribue la tendance à l’externalisation de la paie à plusieurs raisons. Tout d’abord, la nécessité pour l’entreprise de s’assurer qu’elle est en conformité avec tous les aspects légaux ayant trait à la gestion de la paie. Autrement dit, il semblerait que les organisations aient aujourd’hui des difficultés à maintenir un haut niveau de compétences sociales et juridiques qui soit en permanence mis à jour. En externalisant, la gestion de la paie à des experts, constamment informés des évolutions en la matière de droit social, l’entreprise diminue les risques de conflits voire d’erreurs. « Les entreprises qui externaliser aujourd’hui la gestion de leur paie, poursuivent des objectifs de qualité de service plus que d’optimisation des coûts », surenchérit l’expert de Cegedim SRH.
« La gestion de la paie en France n’est pas une tache simple et un des intérêts de l’externalisation de la paie est de bénéficier d’experts paie au fait des dernières évolutions. La prévisibilité des couts et leur linéarité sont des éléments importants du dispositif de l’externalisation en mettant notamment l’entreprise à l’abri d’éventuels effets de seuil. Il est assez fréquent que l’externalisation génère une économie de 10 à 20 %. Toutefois, même en l’absence de réduction de coût, l’entreprise gagne en flexibilité et en sécurité et participe à la transformation de la fonction RH » précise Marie Garaix, responsable marketing chez Meta 4.
A écouter les acteurs du marché, c’est donc la recherche de la qualité de la prestation qui amène les entreprises à externaliser. Pas étonnant, car orchestrer la gestion de la paie, particulièrement en France, relève parfois du casse-tête chinois comme le confirme Pascale Boyaval : « gérer la paie, c’est complexe. Bien souvent, les organisations possèdent des ressources internes dotées des compétences nécessaires pour orchestrer l’ensemble du processus paie. Jusqu’au jour où ces ressources s’en vont, à la retraite par exemple. Faute de candidats, l’entreprise peut alors envisager de confier la fonction paie à un prestataire externe. La perte de la ressource interne est sans aucun doute, un des catalyseurs pour la mise en place d’un projet d’externalisation de la paie ». D’ailleurs, les experts RH rappellent bien volontiers que n’importe qui, ne peut pas s’improviser sur la gestion de la paye, notamment pour des raisons de confidentialité.
Parmi les arguments qui poussent en faveur de l’externalisation figure également la volonté d’homogénéiser la gestion de la paie en créant une règle commune à toutes les entités de l’entreprise. « Les entreprises ont un vrai besoin de centralisation et de gestion homogénéiser de cette fonction », souligne le directeur commercial de Cegedim SRH. Enfin externaliser la fonction paie, permet aux RH de se recentrer sur leur cœur de métier. Et il serait temps car comme le montre François Godreau, directeur du pôle consulting ADP spécialiste des services autour de la paie et des RH : « aujourd’hui 70 % de l’activité d’un DRH est consacrée à la gestion des tâches administratives. L’externalisation de la paie permet de concentrer le potentiel RH vers des tâches à plus forte valeur ajoutée comme la gestion des hommes et des compétences ».
Les raisons de l’externalisation sont donc multiples et tiennent autant à des questions de rareté des profils sur le marché de l’emploi qu’à des enjeux financiers ou encore à des problématiques de taille de l’entreprise.
« Externaliser mais pas à n’importe quel prix »
Que ce soit pour le choix d’un prestataire ou d’un logiciel de paie, la question du coût doit être posée et il s’agit de la considérer à un niveau plus global comme l’explique le directeur du pôle consulting ADP, « il faut déterminer le coût complet (TCO) de la fonction paie mais aussi l’administration du personnel et la gestion des temps qui y sont nécessairement chevillées ». Il n’y aurait donc pas de bonnes ou de mauvaises raisons pour externaliser. « Il est seulement question de bien analyser le fonctionnement de son entreprise pour répondre au mieux à ses besoins », insiste Christophe Patte, dirigeant fondateur du cabinet de conseil Human Start Consulting.
Plus concrètement, une TPE ou une petite PME va préférer externaliser la gestion de ses bulletins de paie auprès d’un cabinet comptable. Car en général en dessous de 150 à 200 bulletins de paie, le recours à un prestataire d’externalisation n’est pas rentable. En revanche, au-delà de 200 salariés, l’entreprise peut envisager d’externaliser la production de sa paie auprès d’une société de service spécialisée. « Les entreprises qui s’inscrivent dans des logiques de croissance externe sont particulièrement enclines à externaliser la gestion de la paie », indique Olivier Rouas.
Pour Olivier Sorel, Consultant études Cegos, la question du coût est un faux débat. Car internaliser la gestion de la paie génère également des coûts qui ne sont pas nécessairement valorisés en interne. Il faut, en effet, acquérir une licence, implémenter la solution sans oublier la maintenance annuelle de l’outil et les coûts inhérents à la formation des utilisateurs. Pour François Godreau, « externaliser c’est variabiliser le coût de la gestion de la paie en fonction des effectifs présents dans l’entreprise. Dans un contexte de crise, c’est évidemment un argument fort surtout quand on sait que les gains avoisinent en moyenne les 20 % et que le retour sur investissement se fait déjà au bout d’une année ».
Le spectre de la perte de contrôle
Mais qu’est-ce qui se cache en vérité derrière un acte de paie ? Pour Pascale Boyaval, « l’acte de paie donne à voir l’organisation même de l’entreprise dans ses sillons les plus profonds : les arrêts maladie, les RTT ou encore les heures supplémentaires. En externalisant, les entreprises ont le sentiment de moins maitriser l’administration de leur propre personnel. Cela pose évidemment la question du pilotage et de l’optimisation des processus de gestion des RH ».
Le choix de l’externalisation reste donc une étape importante pour l’entreprise, qui se doit alors de définir précisément la relation qu’elle compte établir avec son prestataire. « La problématique autour d’une éventuelle perte de contrôle est largement retombée au cours des dernières années. L’externalisation de la paie est aujourd’hui pilotée par des indicateurs de suivi qui rendent compte de la qualité de service rendu aux salariés des entreprises.
Au sein des projets, il y a un véritable lien de partenariat et le pilotage global est assuré conjointement par le client et le prestataire », précise François Godreau. A noter que l’externalisation peut ainsi se limiter à plusieurs niveaux, allant de l’externalisation complète à une relation plus partielle, laissant à l’entreprise le soin de la saisie de certaines données. « Il est alors essentiel de définir très précisément les termes du contrat et de délimiter les obligations et les rôles de chacune des parties afin d’éviter les conflits liés à cette répartition des rôles et des compétences », met en garde Christophe Patte avant d’ajouter que le point de vigilance majeur concerne la gestion du changement au sein des organisations, « un projet d’externalisation doit être mis en place dans un climat social serein sous peine de mettre en péril les grands équilibres RH sur lesquels reposent la pérennité de la performance des organisations ».
Emilie Vidaud
* MARKESS International est un cabinet d’études et de conseil qui analyse la modernisation et la transformation des organisations privées et publiques avec les technologies de l’information.