La troisième édition de la « non conférence » RH innovante #TruParis, qui a eu lieu le 16 octobre 2013 au Cnam, a mis le jeu sur le tapis. Ou plutôt, pour parler comme les pros du domaine : la gamification, la ludification. Questions multiples, arguments, contre-arguments, illustrations : une session animée, on n’en attendait pas moins sur un tel sujet !
« Engageant et puissant », c’est en ces termes que Thomas Eymond-Daru, directeur de Cubiks France, un des animateurs de la session #TruParis consacrée à la « gamification », évoque le principe de la « ludification ». Et le nombre de participants, le nombre de leurs questions ne le contredisent pas. Avec force anglicismes, néologismes, barbarismes, de quoi parle-t-on ? De l’application des principes du jeu à l’univers du recrutement, parce que, pour le dire sans chichi, « postuler n’est pas forcément une franche poilade ».
Le concept de la guerre des talents ayant imposé aux recruteurs de se démarquer, le phénomène touche également la formation avec l’utilisation par les grands groupes de serious games. Il touche aussi d’autres processus internes comme l’évaluation dans l’optique d’y apporter un touche de fun plus ou moins importante, avec plus ou moins d’interactivité selon les cibles. Le jeu est également utilisé en communication sur les réseaux sociaux, avec en toile de fond une logique d’attraction. Ou encore, en conduite du changement sur le sujet du handicap. On peut aussi réconcilier les générations autour d’un concept ludique ou s’en servir comme moyen d’inclusion dans l’entreprise. C’est le cas de Bouygues Bâtiment qui mise gros sur le ludique avec des jeux de plateau et un serious game pour intégrer ses nouveaux collaborateurs.
Un arbre de décision différent
Comme l’indique une des participantes, le concept prend bien dans le secteur IT : « L’accueil est bon de la part des profils informatiques car la technicité du jeu leur plaît. Cela permet en outre d’attirer des profils non visibles sur le marché, qui aiment s’amuser au travail. » Mais est-il aussi efficace dans d’autres secteurs, avec d’autres types de profils ? Cela semble être le cas. Dans le retail par exemple le jeu a été utilisé avec succès pour des recrutements très ouverts à la diversité. « Cela marche avec tous les profils car si l’on peut mettre du fun dans un jeu on peut y mettre aussi des valeurs, pointe Vincent Rostaing, fondateur de Le Cairn 4 IT. Cela donne un arbre de décision qui n’est pas le même que dans un recrutement classique ». L’entreprise communique ainsi sur sa réalité, le candidat peut se rendre compte que celle-ci, le poste ne sont pas faits pour lui et se désélectionner lui-même. C’est également pour le candidat un moyen de montrer son potentiel, pas seulement son parcours.
Un concept pour grands groupes ?
Des réactions se manifestent dans la salle : serious games, business games, le coût de ces jeux-là est exorbitant, ils ne concernent que les grands groupes ! Ils sont en effet conçus pour de gros graduate programs, pour le recrutement d’équipes mais il est aussi possible de « gamifier ailleurs qu’en ligne » (ndlr : c’est dit), en organisant un événement bien animé dans la vie réelle. Notons que les petits jeux qui existent sur Facebook ou dans les écoles, qui ont pour vocation de valoriser la marque employeur, sont des solutions peu onéreuses.
Le jeu ne fait pas oublier l’enjeu
En question à un moment de la session, le caractère de ce type d’outil qui paraît plus orienté communication que recrutement. La dimension communication, buzz, virale est en effet marquée dans la gamification – mais, pour rappel, la communication contribue au recrutement. L’expérience d’Accenture illustre une application directe en recrutement : « Nous avons intégré un serious game dans le processus de recrutement, avec des critères de mesure intégrés, cela sert à l’évaluation des candidats. Certains sont moins à l’aise que d’autres avec la technologie, cela peut donc être source de stress pour eux, mais il y a un entretien après. » « Formidable outil pour faire changer les comportements », aux dires d’un participant, le jeu ne fait pas pour autant oublier l’enjeu comme l’indique une candidate présente dans la salle : « C’est ludique, c’est vrai, mais on n’oublie pas l’enjeu recrutement, cela ne se passe pas comme un jeu entre amis. De plus, on s’y prépare dans ce contexte. »
« Mieux vaut un bon jeu qu’un mauvais recruteur »
Quitte à parler de jeu, autant s’amuser en mettant les pieds dans le plat : y-a-t-il, à terme, une volonté de mettre à l’écart, de « squeezer » les professionnels du recrutement ? « Les squeezer, non, mais leur faire gagner du temps, oui, certainement », répond Thomas Eymond-Daru. « Mieux vaut un bon jeu qu’un mauvais recruteur », avance quant à lui un participant goguenard. Un BON jeu donc. Évaluer sa dimension prédictive passe par beaucoup de statistiques, de pilotes avec des mini simulations. « Le test inclus dans le jeu doit révéler des situations critiques que rencontrent les candidats. Il y a une composante d’assessment, un assessment ludique », explique Thomas Eymond-Daru.
Quelle que soit son issue, le jeu permet une découverte de l’entreprise
Par ailleurs, jouer, c’est s’amuser mais c’est aussi gagner ou perdre. Un candidat qui s’investit bien peut se voir proposer de sauter une étape du processus de recrutement ou de recevoir les résultats d’un assessment, des conseils d’orientation. Mais un candidat exclu du jeu va-t-il en sortir avec une image dégradée de l’entreprise ? Le jeu permet quoi qu’il arrive une découverte de l’entreprise. Accenture témoigne de peu de commentaires négatifs après une exclusion, « il s’agit plus de personnes qui regrettent de ne pas s’être inscrites à temps ».
Enfin, ce type de dispositif n’engage-t-il pas l’entreprise sur « le coup d’après » ? Le candidat retenu ne va-t-il pas ensuite attendre du ludique dans son quotidien de travail ? Il y a peu ou pas de risque car il sait faire la part des choses entre ce qui fait partie d’un processus de recrutement et le quotidien ; si désillusion il y a, elle ne situera pas à ce niveau.
Sophie Girardeau