La Bienveillance, le sujet à la mode. Un bon sujet même, qui attire d’emblée la sympathie. Le mot à lui seul laisse entendre l’empathie et la bonhommie. On entend l’ouverture sur l’autre, l’écoute, la prise en compte de ses attentes. Le « Vouloir du Bien à autrui » de Thomas d’Aquin. Enfin un mot du vocabulaire gros de promesses généreuses après tant d’années de sigles rébarbatifs et de programmes abscons. Qui ne voudrait pas être Bienveillant ?
Le dictionnaire parle de « disposition d’esprit incitant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui ». Le manager Bienveillant est il enclin à une indulgente et paternelle compréhension ? Le Care pointe derrière la Bienveillance en l’écho du slogan de la campagne victorieuse du candidat Obama. Yes we Can, Yes we Care, demain le Bonheur en entreprise. Une posture morale et politique. La Bienveillance a à voir avec la Morale. Echo d’un temps où les relations sociales avaient plus de sérénité, d’harmonie et de respect dans des entreprises qui veillaient au bien être de leurs collaborateurs. Ce modèle social d’une autre époque s’appelait le Paternalisme.
La Bienveillance de ce XXIe siècle commençant est elle un avatar du Paternalisme du XIXe ? La question peut prêter à sourire. A y regarder de plus près il y a une leçon à trouver. Adapté à son temps et son environnement et bien loin du notre, le Paternalisme reflétait d’abord un Pacte social. Aujourd’hui notre invocation de la Bienveillance ne cache t’elle pas l’aspiration à un nouveau Pacte Social ? A la revisite des règles communément acceptées du Vivre ensemble ?
Notre parti-pris est que désormais les salariés attendent autre chose que la course à la performance et le management par objectifs. La carotte financière ne les fait plus courir. La caractéristique de l’époque est un immense besoin de reconnaissance de l’individu. Non du salarié qui se satisferait de ce que ses résultats individuels soient récompensés. Mais de l’individu qui veut être reconnu et identifié comme une personne, pour ce qu’il est, espère et attend. Avec une part d’émotion, de subjectivité, pour ses faiblesses comme pour ses enthousiasmes. Fin du leadership de l’entreprise basée sur la proclamation de Valeurs au service des objectifs de l’actionnaire. Le besoin est d’abord et avant tout de Respect.
C’est une tendance générale qu’il est vain d’espérer freiner par des efforts de Communication. Fin aussi des Communicants. Leurs réponses aux attentes d’aujourd’hui avec les recettes d’hier ne marchent plus. C’est une autre façon de vivre ensemble dans l’entreprise, de nouvelles relations entre les personnes, d’autres comportements pour un autre regard qu’il faut inventer. C’est bien un nouveau Pacte social qui est attendu.
Bien des réponses sont empiriques. De nombreux programmes RH vont à la rencontre des salariés. Ce ne sont pas forcément des grands plans à fort contenu Corporate. Des micro-mesures bien ciblées rencontrent parfois aussi bien leur public. Ce qui compte c’est de justifier de la promesse employeur. Vous m’avez promis, vous l’avez fait, vous donnez à le voir. Mieux encore vous donnez l’occasion d’en parler, d’en débattre. Le deal Gagnant / Gagnant aujourd’hui n’est pas celui où chacun y gagne. Mais celui où des promesses claires et réciproques sont tenues avec loyauté et transparence. Le respect de soi et d’autrui fonde et justifie les contreparties qui sont attendues du collaborateur. C’est un comportement, une attitude qui sont attendus de l’employeur autant qu’un contenu.
La réalité aujourd’hui ce sont de nouvelles sociabilités. D’autres façons de vivre et communiquer ensemble. Comme sur les réseaux sociaux. Ce sont des espaces informels, des espaces de Liberté. Et avant tout des espaces choisis. S’y retrouvent à un moment donné des gens donnés qui ont envie de parler ensemble d’un sujet donné. L’instant d’après chacun d’entre eux sera ailleurs avec d’autres sur autre chose. Cette fluidité caractérise une relation ou chacun est unique et seul décideur de ce qui le concerne. Non seulement une attitude. Mais aussi une réalité tangible et organisée. Les communautés d’internautes existent bel et bien. Les outils qui leur donnent des accès illimités aussi. C’est un monde bouillonnant et sans fin. Et c’est là que chacun des salariés, chacun d’entre nous, se forge de nouvelles habitudes, de nouvelles attentes, de nouvelles pratiques. Il ne les oublie pas ou ne s’en défait pas quand il est dans la relation avec son employeur.
L’exemple des réseaux sociaux d’entreprise est édifiant à cet égard. Quoi de plus tendance ? L’entreprise va donner accès à un réseau ou ses salariés pourront créer des communautés. Ils vont pouvoir communiquer, échanger. Avec une grande liberté de se parler, de se regrouper par affinités. N’est ce pas là la Bienveillance évoquée plus haut ? Toutes ces connexions spontanées et sympathiques ne seront-elles pas autant de Lien social ? Au final le Mieux Vivre ensemble dans l’entreprise qui ne manquera pas d’en résulter ne restaurera t’il pas peu ou prou un nouveau Pacte social ?
Autant le dire quel que puisse être le succès apparent d’un site interne les salariés de l’entreprise n’en sont pas dupes. Ce n’est pas là qu’ils trouvent la liberté de relations nouvelles à laquelle ils aspirent. Ils sont déjà sur tous les sites sociaux, Facebook, Twitter, Viadeo et tous les autres. Ils ont tâté de la liberté et zappent de l’un à l’autre. Ils n’ont tout simplement pas besoin du réseau de leur employeur, rigide, contrôlé et fermé. Et ils vont ailleurs.
Les DRH ont compris que les salariés ont des attentes nouvelles. Pour cela ils revisitent des éléments de gouvernance, de management, de sociabilité. La Bienveillance est un des aménagements par lesquels ils espèrent recréer du Lien social. Ils sentent bien néanmoins que la situation leur échappe partiellement. Parce que leurs réponses nouvelles ne sont pas forcément toujours celles attendues ni souhaitées par les salariés. La Bienveillance, la Bonne Volonté, la recherche d’un nouveau Lien social peuvent ne pas rencontrer leur public. Ne pas être attendues. Et finalement n’avoir aucun effet là où un nouveau Pacte social fait bien besoin.
A qui profite la Bienveillance ? Aux salariés sans doute quand ils en sont les bénéficiaires. A l’entreprise sûrement si elle lui permet par de nouveaux moyens de restaurer le contrôle social qui lui a échappé. Avec le risque de faire oublier la question fondamentale du Lien social au profit d’une sorte de Marketing social dont la customisation du paternalisme ne serait pas l’avanie la plus surprenante.
Pourtant le concept de Bienveillance n’en reste pas moins redoutable. Le Bien, le Bonheur seraient ils des fins alternatives à la recherche de la Performance ? Il interpelle les pratiques des managers sur le respect des personnes, sur plus de Justice ? N’est ce pas le choix de l’Humain dans la confrontation entre les finalités économiques et humaines de l’entreprise ?
La Bienveillance engage des individus dont la nature propre réside dans leur Conscience et leur Volonté. Ce n’est pas rien. N’annonce t’elle pas le retour de la Morale ?
Philippe Canonne