Le gouvernement espagnol a proposé une réduction légale du temps de travail hebdomadaire de 40 à 37,5 heures sans baisse de salaire. Ce projet vise à améliorer la qualité de vie (QVCT) et la productivité, mais reste très controversé et n’est toujours pas voté. Si les travailleurs approuvent majoritairement l’approche, le projet rencontre une vive hostilité de la part du monde des entreprises et d’une partie de la classe politique. Avec des arguments largement inspirés des constats faits de notre côté des Pyrénées depuis le passage aux 35h.
Quelles sont les principales dispositions de la semaine de 37h30 heures en Espagne ?
- Durée légale : 37h30 hebdomadaires à temps plein, sans perte de rémunération pour environ 12,5 millions de travailleurs du privé.
- Entrée en vigueur prévue : 31 décembre 2025 au plus tard, selon le projet de loi.
- Contrats à temps partiel : requalifiés en temps plein si la durée atteint 37h30/semaine.
- Contrôle du temps de travail : généralisation d’un système numérique de pointage, consultable par les syndicats et l’inspection du travail. Des amendes allant jusqu’à 10 000 € par salarié sont prévues en cas d’infraction.
- Heures supplémentaires : toujours limitées à 80 h/an, avec renforcement des contrôles.
- Droit à la déconnexion : élargi et renforcé.
Où en est le projet de loi ?
Le texte a été approuvé comme projet de loi par le Conseil des ministres le 6 mai 2025. Actuellement, il est en cours de discussion au Congrès des Députés (Parlement espagnol). Plusieurs partis ont déposé des amendements à la totalité du texte, menaçant son adoption. Le vote parlementaire n’a pas encore eu lieu, mais est attendu durant l’été. Si le texte est adopté, il sera publié au BOE (Bulletin Officiel de l’État) et son application généralisée se fera fin 2025.
Quelles sont les réactions sur le marché du travail espagnol ?
D’après plusieurs sondages, 7 travailleurs espagnols sur 10 seraient favorables à cette réforme, qui est perçue comme un progrès social et une avancée pour la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Leurs syndicats (ugt, cg.oo…) sont alignés aussi sur cette position. Il n’en reste pas moins que 3 travailleurs sur 10 redoutent que les charges soient transférées sur les clients ou les employés restants.
De leur côté, les organisations patronales s’opposent fermement à la réforme. Elles y voient une menace pour la viabilité économique des PME et une attaque contre le dialogue social. Elles anticipent une hausse des coûts salariaux de 6 à 10 % difficilement absorbable, en particulier par les petites entreprises.
Une approche qui présente de vraies similitudes avec les 35h françaises
L’issue de ce projet reste incertaine, car le texte pourrait être largement modifié ou repoussé si les partis indépendantistes catalans ou basques ne le soutiennent pas. Il est probable aussi que des compromis sectoriels ou des mesures compensatoires soient introduits pour garantir son adoption.
De fait, l’approche espagnole présente de nombreuses similitudes avec ce qui a été fait en France lors de l’introduction des 35 heures en 2000, similitudes qui induisent des risques identiques selon les opposants au projet :
- Comme en France à la fin des années 90, il s’agit avant tout d’une réforme imposée par le monde politique. Mise en œuvre sans réelle concertation avec les décideurs économiques, ils sont nombreux à y voir une atteinte grave à la négociation sociale et un risque économique, alors même que l’Espagne connaît une embellie avec une croissance attendue à 2,4 % pour 2025 (prévision Banque d’Espagne).
- Un risque d’impact négatif sur le marché du travail : La population active espagnole a atteint un pic historique en 2024 avec plus de 24 millions de personnes en emploi. L’augmentation attendue du coût du travail pourrait entraîner les mêmes conséquences que celles mesurées en France en matière de pertes de compétitivité et des délocalisations.
- Un risque d’intensification du travail pour les salariés pour « produire » autant en 37h30 qu’en 40h00, un phénomène qui a été documenté en France depuis le passage aux 35h00 et est par ailleurs souvent associé au développement des RPS.
Il est facile de comprendre que des travailleurs à qui l’on propose de travailler moins pour le même salaire adhèrent à ce projet, comment pourrait-il en être autrement ? Mais pour les décideurs espagnols, l’exemple français d’une réduction autoritaire des temps de travail est très loin d’apporter des éléments probants pour les convaincre du bien-fondé de cette approche.