4 ans après le passage en force du télétravail en 2020 pour enrayer la crise sanitaire, la tendance s’inverse dans les entreprises !
En 2023, Apple, Zoom, Google, Open AI, Meta ont demandé à leurs collaborateurs de revenir plus fréquemment au bureau. En septembre 2024, Amazon va encore plus en loin en demandant le retour intégral de ses collaborateurs au bureau dès janvier 2025 au motif que, selon Andy Jassy, PDG d’Amazon, « en observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants » .
Bien que ces géants de la Tech affichent une volonté marquée de limiter, voire de supprimer, le télétravail, cette transition ne peut s’opérer sans une anticipation approfondie des conséquences et des risques juridiques associés à ce changement.
En effet, dès que le sujet de la réversibilité du télétravail au travail au bureau est mis sur la table, l’employeur doit se saisir de l’acte interne qui instaure le télétravail : est-ce un accord collectif, une charte ou le contrat de travail ?
La réversibilité en cas d’accord collectif ou de charte sur le télétravail
L’article L1222-9, II du Code du travail dispose que :
Lorsque l’accord collectif ou, à défaut, la charte élaborée par l’employeur mettant en place le télétravail précise les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail.
Ainsi, lorsque le télétravail a été mis en place par accord collectif ou par charte, l’employeur devra se référer aux motifs ou aux circonstances permettant d’actionner la réversibilité à son initiative, la procédure à suivre et les délais à respecter.
En application de l’article L2312-8 II. 3° du Code du travail, l’information-consultation du CSE devra être également envisagée, la réversibilité du télétravail entraînant nécessairement une modification des conditions de travail.
La réversibilité du télétravail sera plus délicate si celle-ci n’a pas été prévue dans l’accord collectif ou dans la charte.
Dans ce cas, une révision de l’accord collectif ou de la charte devra être envisagée avec les partenaires sociaux ou, à défaut de révision, une dénonciation. Avec les contraintes associées à cette dernière : délai de préavis de trois mois et survie de l’accord pendant 12 mois en l’absence de conclusion d’un accord de substitution, délai de prévenance suffisant pour dénoncer la charte.
La réversibilité lorsque le télétravail est prévu par le contrat de travail
Si le Code du travail est muet sur la question de la réversibilité du télétravail en l’absence d’accord collectif ou de charte sur le télétravail, l’employeur et le salarié ont pu organiser le télétravail et sa réversibilité aux termes du contrat de travail.
Si la réversibilité est bien prévue au contrat de travail, il convient de s’y référer.
La Cour d’appel de Versailles a jugé que la décision de mettre fin au télétravail selon les conditions de la clause de réversibilité prévues au contrat de travail ne caractérise pas une exécution abusive ou déloyale du contrat de travail. La décision de l’employeur est valable et ne saurait être invoquée par un salarié à l’appui d’une demande de résiliation judiciaire (Cour d’appel de Versailles, 1er février 2024, no 21/03122).
Lorsque le télétravail est prévu contractuellement et que la réversibilité n’est pas prévue, l’employeur devra nécessairement recueillir l’accord du salarié pour mettre fin au télétravail*.
Par ailleurs, même si le télétravail n’a pas été formalisé contractuellement, l’accord du salarié semble devoir être recueilli par l’employeur si le télétravail s’est instauré comme une pratique habituelle. L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 (art. 2. 3. 5) précise, à ce titre, que :
Si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise, dans l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail. Les modalités de cette réversibilité sont établies par accord individuel et/ou collectif.
La Cour d’appel de Toulouse a d’ailleurs jugé que lorsque les parties sont convenues d’une exécution en télétravail partiel ou total, l’employeur ne peut modifier cette organisation contractuelle sans l’accord du salarié. Et ce, peu important que le recours au télétravail n’ait jamais été formalisé, dès lors que le salarié démontre qu’il exerçait habituellement sa prestation en télétravail. Le licenciement prononcé du fait du refus du salarié d’une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cour d’appel de Toulouse, 2 févr. 2024, no 22/01361).
Toutefois, la Cour d’appel de Toulouse a aussi jugé qu’en l’absence de formalisation officielle du recours au télétravail, ou de démonstration d’une pratique habituelle, le salarié ne peut prétendre avoir droit d’être placé totalement en télétravail et de refuser l’avenant lui proposant trois jours de télétravail par semaine alors qu’il s’agit d’une disposition plus favorable que la charte en vigueur dans l’entreprise, le refus du salarié justifie son licenciement(Cour d’appel de Toulouse, 29 mars 2024, no 22/03439).
Enfin, un dernier cas de figure pourrait se présenter : lorsque le télétravail est prévu tant aux termes du contrat de travail que dans un accord d’entreprise ou une charte.
Dans ce cas de figure, l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 (article 40) précise que les accords collectifs et les chartes télétravail se substituent aux clauses antérieures contraires des contrats de travail conclus avant le 22 septembre 2017, sauf refus explicite des salariés. Ainsi, en cas de contradiction entre le contrat de travail (conclu avant le 22 septembre 2027) et l’accord collectif ou la charte postérieure au sujet de la réversibilité du télétravail, c’est l’accord ou la charte qui prime.
Le retour au bureau et la diminution des jours télétravaillés ou la fin du télétravail doivent donc être anticipés par les équipes RH avec les parties prenantes (membres du CSE, organisations syndicales, collaborateurs) pour éviter une fronde des salariés, d’éventuels contentieux, sans oublier une potentielle demande d’expertise au titre de potentiels risques psychosociaux (RPS) et une dégradation de l’ambiance à la machine à café ! Ce serait dommage pour un retour au bureau !
Source(s) documentaire(s) :
- * Cass. soc. 31 mai 2006, 04-43.592 Cour d’appel de Lyon, 10 septembre 2021, no 18/08845 ; Cour d’appel de Grenoble, 30 septembre 2021, n°19/01556