Le groupe IGS a lancé L’atelier des savoirs. Le deuxième événement a eu pour thème : Pour un pacte social autour de l’entreprise ». Après un constat alarmant sur les relations entre les salariés et l’entreprise, les différents spécialistes invités ont essayé d’apporter des solutions.
Organisé sous la forme d’une émission de plateau de télévision, le débat « Pour un pacte social autour de l’entreprise », organisé par le groupe IGS a rassemblé divers spécialistes, est dans l’air du temps. Autour de la table : Marc Bressant, diplomate, ancien PDG de la chaine de télévision publique TV5 Monde et écrivain, François Dupuy, sociologue professeur à l’INSEAD, Michel Capron, professeur des Universités, président du réseau international de recherche sur les organisations et le développement durable (RIODD) et vice-président du Conseil scientifique de l’association pour le développement de l’enseignement et de la recherche sur la responsabilité sociale des entreprises (ADERSE), et Serge Perez, ancien co-président de Publicis Consultants et créateur et dirigeant de l’agence de communication « Les Ateliers Corporate ». Près de 80 personnes, dont les étudiants des campus, étaient présentes pour poser des questions et enrichir les débats. Le journaliste Jean Lebrun , de France Culture, a animé les débats.
Quel pacte unit l’entreprise à ses salariés de nos jours ? Question très complexe qui a été abordée de façon holistique. Pour commencer, les différents acteurs ont resituée l’entreprise dans son environnement et énuméré les acteurs qui gravitent autour d’elle comme les actionnaires, les dirigeants, les salariés et les consommateurs. La forme juridique des organisations a été soulevée également : à la SA, récente dans notre droit, les pouvoirs publics pourraient préférer des structures permettant plus facilement la redistribution des profits. Ils ont soulevé le fait que des modifications législatives seraient envisageables pour aider l’entreprise à assumer ses responsabilité si son rôle social quand ce dernier s’éloigne trop des besoins des citoyens qui sont aussi ses propres salariés.
Un constat accablant
Mais existe-t-il encore en France une place pour de vrais « capitaines d’industrie » susceptibles d’intégrer l’entreprise dans une dynamique sociale plus vaste ? Les stratèges ont remplacé les gestionnaires. Nous sortons d’une ère financière où les investisseurs ont privilégié la rente à l’entreprenariat. Quel sera le modèle de demain ? Quel va être l’aboutissement de la profonde mutation à laquelle nous assistons ? Dans ce contexte peu dynamique, aux changements rapides et anxiogènes, ce sont les économies qui sont privilégiées, et notamment celles afférentes aux ressources humaines par les compressions et les délocalisations, au détriment du développement ou de l’innovation, pourtant facteurs de croissance et d’adhésion.
Constat : une rupture profonde s’est installée entre les salariés, les ouvriers, les cadres et plus récemment les cadres supérieurs, et l’entreprise. Les logiques sont différents et les incompréhensions s’intensifient. Les salariés ont une approche sur le long terme pour organiser leur vie et se stabiliser. Les entreprises, elles, recherchent le profit sur le court terme. La vision court-termiste pressurise d’autant les collaborateurs, déjà en souffrance de ne pas avoir de visibilité sur la stratégie d’entreprise. Ainsi, il arrive parfois que des efforts importants leur soient demandés pour optimiser les résultats, et souvent pour une cession ou une fermeture et non pas dans des perspectives d’évolution professionnelle ! Les logiques économiques devenant mondiales alors que les équilibres sociaux sont nationaux et souvent locaux, l’écart se creuse. La crise a accentué ce phénomène auquel les salariés semblent maintenant se résigner avec amertume, avec des dégâts physiques ou psychologies importants, et ce parfois même avant une première expérience professionnelle puisqu’il existe pour les étudiants l’exemple désenchanté des parents.
Doit-on considérer que ces constats ne concernent que la France ? Des expériences suédoises, moins pyramidales, plus délégataires, et par conséquent plus respectueuses, et mieux intégrées dans les tissus sociaux ont été détaillés tandis que des exemples français ou américains ont servi aussi d’illustration de mariages réussis entre performance économique et respect social. L’histoire économique se compose de cycles et des évolutions peuvent subvenir. Rien n’est figé.
Solutions avancées
Que faire face à la situation actuelle en France ? Deux modèles ont été présentés et longuement commentés : l’un serait de donner tout son sens (et rien d’autre que son sens) au contrat de travail en limitant l’apport salarial à un strict échange : travail contre salaire avec l’acceptation d’une mobilité importante. Le salarié détournerait son investissement au bénéfice de structures plus stables et porteuses de sens (famille, vie associative, etc.) ; dans cette hypothèse, l’entreprise n’est plus qu’une usine qui transforme de l’énergie humaine en produits. Il n’y a plus alors d’investissement personnel ; il n’y a plus de pacte.
Une autre piste a été avancée : celle de mettre en place un échange gagnant pour tous. Le salarié serait un développeur de projets, intégrés dans une dynamique vertueuse de conquête des marchés, tandis que l’entreprise mettrait à sa disposition les moyens nécessaires à l’accomplissement des missions. Dynamique, vertueux, plus proche de la « nouvelle économie », ce modèle séduisant et porteur de richesses est-il importable partout ?
Les participants ont tous été d’accords sur un constat : il est nécessaire de procéder à un diagnostic profond et loyal des maux dont souffrent l’économie française et ses différents acteurs. Seule cette étude permettra aux pouvoirs publics de décider des moyens permettant, soit de corriger ces dysfonctionnements, soit de les compenser. Le déficit de l’assurance maladie et les suicides au travail démontrent qu’il y a urgence à prendre des décisions. Ces décisions dicteront un choix de société. Ne pas les prendre aussi.
Frank de Nebehay, Secrétaire général du Groupe IGS, et Christel Lambolez
A propos des intervenants :
Marc Bressant : Romancier, diplomate et homme de télévision, Marc Bressant a notamment reçu le Grand Prix du Roman de l’Académie française pour La dernière conférence (Editions de Fallois 2008), roman qui imagine un ultime ballet entre Est / Ouest peu de temps avant la chute du mur de Berlin, et le Prix Jean-Giono pour L’anniversaire (Editions de Fallois 1993). Il a été également responsable du Service Culturel au Quai d’Orsay, ambassadeur de France en Suède de 1999 à 2003 et a dirigé TV5-Monde de 1990 à 1998. Son dernier roman, La citerne, vient de paraître aux Éditions de Fallois.
Serge Perez : Ancien co-président de Publicis Consultant, Serge Perez a fondé en 2009 Les Ateliers Corporate, agence de communication qui invite les entreprises à co-créer « les conditions d’une communication plus horizontale et plus participative, une communication 2.0 ». Il a écrit en 2003, avec Eric Pietrac, DRH du Groupe Mazars, Entreprises-Salariés : une autre idée de la relation (Éditions Jacques-Marie Laffont).
François Dupuy : Sociologue, ancien Président de Mercer Delta Consulting France, cabinet spécialisé dans le conseil aux dirigeants pour la conduite du changement, et ancien conseiller scientifique de l’ensemble des compagnies du Groupe Mercer en France, François Dupuy est aujourd’hui consultant indépendant et Adjunct Professor à l’INSEAD. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment La fatigue des élites : le capitalisme et ses cadres (Éditions du Seuil 2005) et de Sociologie du changement : Pourquoi et comment changer les organisations (Éditions Dunod 2004).
Michel Capron : Professeur des Universités, expert auprès de l’UNESCO, Michel Capron est également membre de la délégation française aux négociations des lignes directrices ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations, en qualité de représentant des milieux de la recherche, et membre de conseils scientifiques de plusieurs revues académiques et de colloques. Auteur aux Editions de la Découverte de La responsabilité sociale d’entreprise (2007) et de Mythes et réalités de l’entreprise responsable (2004).