Cet après-midi-là, je reçois Julie pour une première consultation sur les conseils de son médecin traitant car elle est en arrêt de travail depuis deux semaines.
Âgée d’une quarantaine d’années, après une première vie professionnelle passée en tant que comptable dans une entreprise privée d’envergure nationale, Julie travaille depuis trois ans dans un établissement qui accueille des enfants en situation de handicap.
Elle me dit que dès le départ, elle ne se sentait pas bien dans son travail mais elle a tenu bon, seulement depuis quelques semaines, c’est de plus en plus difficile : elle perd l’appétit, elle rêve de son travail la nuit perturbant ainsi son sommeil et elle est devenue très irritable au travail et surtout à la maison.
Comme à chaque première consultation avec mes patients, je leur demande de me décrire leur travail actuel afin que nous puissions identifier et analyser les causes et les facteurs de ce mal-être au travail.
Une charge mentale importante au travail…
Officiellement, l’intitulé de son poste actuel est « assistante administrative et financière », et dans la réalité, selon elle, son périmètre d’intervention est plus large car elle s’occupe de l’accueil, du standard téléphonique, de l’intendance générale, de la logistique, de l’administration du personnel et du secrétariat de l’établissement.
Mon poste n’est pas un poste à responsabilité et pourtant, j’ai beaucoup de responsabilités car j’assure à mon niveau le bon fonctionnement de l’établissement. Je dois être en capacité d’être réactive pour répondre aux besoins urgents et pour cela il faut mémoriser beaucoup…
Dans son travail, Julie doit effectuer une multitude de tâches de manière simultanée, et cela crée une surcharge mentale car au travail elle doit gérer un nombre important d’informations et réaliser des tâches de nature très diverse sollicitant ainsi fortement ses capacités cérébrales et cognitives d’où son usure mentale.
Une activité empêchée…
Les tâches de Julie sont en effet « émiettées », elles sont brèves et très diverses et in fine, elle ne peut pas réellement se consacrer à une tâche plus de dix minutes sans être interrompue par un coup de fil, une visite ou une sollicitation. Et il est très rare, à la fin de sa journée, qu’elle termine les tâches et les dossiers qu’elle a commencés à traiter.
Je dois gérer beaucoup de petites choses, je n’arrête pas de la journée. Je prends à peine vingt minutes de pause le midi et pourtant le soir quand je repars, j’ai l’impression de n’avoir rien fait de ma journée .
Dans son travail, Julie doit donc faire face à une « activité empêchée », un travail qu’elle doit faire et qu’elle n’arrive pas à faire car elle est sans cesse interrompue et sollicitée. Et cela crée en elle un sentiment de frustration, de culpabilité et d’insatisfaction. Et même une fois chez elle, elle pense très souvent à ces tâches non exécutées, elle rêve de son travail. Sa vie professionnelle contamine symboliquement sa vie hors travail et les temps de repos ne permettent plus la décompression d’où sa fatigue chronique.
Un sentiment de faire un travail bâclé…
Pas de qualité de vie au travail sans travail de qualité
A force faire de plusieurs tâches à la fois, Julie estime que son travail n’est pas toujours de qualité, et il lui arrive de faire des erreurs notamment ces derniers temps et son manager le lui reproche assez souvent, ce qui peut expliquer son stress et son anxiété.
En effet, le zapping permanent entre différentes tâches entraîne une perte de temps et de concentration, une consommation d’énergie et forcément une dégradation de la qualité du travail. Et pourtant dans le travail, se reconnaître dans ce que l’on fait et en être fier est important pour la préservation de sa santé mentale et son estime de soi.
Le mythe vertueux de la polyvalence est à nuancer fortement…
Dans les années 1970, Henry Mintzberg évoquait déjà dans ses travaux, le « syndrome de la dispersion » qui atteint les salariés qui font plusieurs tâches à la fois et qui in fine, se sentent fatigués, démoralisés et déboussolés.
Et c’est encore d’actualité aujourd’hui ! Dans beaucoup d’entreprises, un salarié qui a la capacité d’être multitâche est une qualité valorisée et recherchée. Le cas de Julie démontre pourtant que le « multitasking » a des impacts sur la qualité du travail et sur la santé mentale du salarié qui doit solliciter fortement ses capacités cérébrales, intellectuelles et émotionnelles.
🫵 Managers, RH, l’exigence de polyvalence peut être alléchante, mais sachez que ça peut être un des facteurs de risques psychosociaux pour vos collaborateurs…
Diane Rakotonanahary
Psychologue du travail & Coach professionnelle