Alors que 95% des dirigeants* estiment le niveau de qualité de vie au travail de leur entreprise bon, voire très bon, seuls 70% des salariés partagent cette opinion. En cause, les espaces de travail, la transformation digitale des entreprises engendrant souvent une intensification du travail et donc, un risque en terme de qualité du travail et de qualité de vie au travail. Or, bien préparée et bien anticipée, cette mutation numérique devrait au contraire améliorer les conditions de travail. Voici quelques pistes à explorer.
Un droit à la déconnexion voté : c’est fait, la loi travail entérine le droit à la déconnexion pour les salariés français. Dès 2017, ce sujet devra être porté lors de la négociation annuelle sur la qualité de vie au travail. Concrètement, il s’agira de mettre en place des dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques afin d’assurer le respect des temps de repos et de congés des salariés. On peut par exemple imaginer des journées « zéro mail », des blocages de messagerie à partir d’une certaine heure… Une fois effectif, ce droit permettra aux salariés de couper leurs téléphones professionnels ou leurs messageries pro sans que leurs employeurs ne puissent leur reprocher. Heureusement, certaines entreprises n’ont pas attendu la loi pour permettre à leurs collaborateurs de débrancher. Price Minister a annoncé fin février 2015 la mise en place d’une demi-journée sans mail, un vendredi matin par mois. Le but est de privilégier la communication orale ou tout autre moyen d’échange plus direct. Toutefois, pas de blocage de serveur en vue. L’entreprise mise d’abord sur un changement comportemental de ses collaborateurs dans leurs usages du numérique. Chez Atos, la contrainte est en revanche plus forte. L’entreprise de services et conseil informatique a lancé le programme « Zéro e-mail » en développant une plateforme de collaboration interne plus directe. Résultat, en deux ans, 60% de mails en moins. Pour soutenir cette initiative, Atos a priorisé l’objectif au sein du top management qui y a consacré 15% du temps des comités exécutifs. Par ailleurs, 10% des bonus attribués aux cadres sont basés sur leur performance dans cet effort de réduction de mails.
Reconsidérer la notion de charge de travail : la transformation numérique invite également à reconsidérer, pour certains métiers et secteurs, le lien entre charge de travail et mesure du temps de travail. « En effet, si pour un grand nombre de secteurs et de métiers ou de fonctions, la référence horaire était à l’origine une mesure de la charge de travail destinée à protéger le salarié, la transformation numérique peut être l’opportunité de chercher une mesure plus fidèle de la charge de travail , dès lors que l’activité mais aussi les salariés sont de nature à remettre en question la pertinence du temps de travail comme indicateur de la charge de travail », observe le rapport Mettling. En effet, la charge de travail s’entend à la fois par une charge physique, mais aussi, et de plus en plus, par une charge mentale et psychologique, parfois complètement passée sous silence par les employeurs. Or, il suffit de voir l’explosion du nombre de burn out pour comprendre que la dimension psychologique du travail est encore trop peu prise en considération. Encore un énorme chantier à mener pour les responsables des dossiers qualité de vie au travail des entreprises.
- Pour aller plus loin : le burn-out comme maladie professionnelle ?
Des espaces de travail à repenser : si l’espace de travail a vite été perçu par les entreprises de l’économie numérique comme un facteur de bien-être et de performance au travail, voire d’attractivité des talents, pour les sociétés de « l’ancienne économie », tout ou presque reste à faire. « L’open space m’a tuer » titraient Alexandre Des Isnards et Thomas Zubert en 2008 dans leur ouvrage. Près de dix années plus tard, les salariés français souffrent encore et toujours du bruit et de la promiscuité de ces environnements de travail ouverts. Une réflexion sur l’ergonomie des espaces de travail s’impose. Réfléchir par exemple à des espaces de silence pour les travaux nécessitant une grande concentration participerait de toute évidence à l’amélioration de la qualité de vie au travail. La mission Mettling a constaté que, dès lors qu’ils sont menés dans une démarche de co-innovation avec les salariés et qu’ils s’inscrivent dans un projet d’entreprise, les projets d’aménagement d’espace sont un facteur réel de réussite de la transformation numérique, de bien-être et de qualité de vie au travail.
Des salariés à protéger : la rapidité du changement, l’effacement entre vie pro et vie perso mais aussi la virtualisation des rapports humains dans le milieu professionnel induits par la digitalisation de l’entreprise sont des facteurs déclencheurs de maladies professionnelles comme le burn out (en voie de reconnaissance) ou encore le « fear of missing out », une forme d’anxiété sociale entraînant un rapport obsessionnel aux outils professionnels de communication. Et dégradant donc la qualité de vie au travail. Pour y remédier, plusieurs voies sont envisageables comme le droit à la déconnexion et une logique de mesure de la charge de travail, mais pas seulement. Les managers de proximité sont la clé de voute de la prévention des risques psycho-sociaux. Les employeurs ont également intérêt à remettre le dialogue social au centre des discussions de santé au travail. Enfin, la qualité de vie au travail devrait se trouver renforcer par un retour sur scène du collectif au sein de l’entreprise. Enfin, on commence également à voir apparaître des directions dédiées à cette question de la QVT. Ainsi, Manpower a créé une direction des services coordonnés pour la qualité de vie au travail. Rattachée à la DRH du groupe, ces missions consistent à faciliter la mise en œuvre des politiques de QVT par l’élaboration des politiques santé, prévention sécurité mais également des politiques handicap de l’entreprise.
Sylvie Laidet
* Source : étude Malakoff Médéric sur la santé et la qualité de vie au travail, juin 2016.