Le prix du livre RH a été créé en 2000 par Syntec Recrutement en partenariat avec Le Monde et Sciences Po. Il a pour vocation de distinguer chaque année un ouvrage français (essai, manuel, enquête, témoignage) sur le monde du travail.
Six critères sont retenus pour sélectionner les nommés et le lauréat parmi une centaine d’ouvrages : l’actualité et la nouveauté du sujet, la qualité de l’argumentation, le fondement scientifique, la lisibilité, l’apport à la réflexion, et enfin la pertinence pour l’action, à laquelle les DRH sont particulièrement attentifs.
En 2020, le prix du livre RH avait été attribué à Johann Chapoutot pour son essai “Libres d’obéir” consacré à l’histoire du management, du nazisme à aujourd’hui.
Mercredi 6 octobre, le prix du livre RH 2021 a été remis à Sophie Bernard pour « Le nouvel esprit du salariat » édité chez Puf. L’essai a également reçu le prix du meilleur ouvrage du monde du travail par l’association Toit Citoyen.
Une analyse des mutations significatives du salariat : primes sur résultats et autonomisation
Sur une période de plus de vingt années Sophie Bernard met en lumière le “nouvel esprit du salariat” et ses conséquences concrètes sur les salariés. L’ouvrage primé par le prix du livre RH s’appuie sur des recherches menées dans plusieurs secteurs (la grande distribution, la banque et le commerce) auprès d’une population allant des employés aux cadres.
L’auteure aborde les dispositifs managériaux conçus pour améliorer l’implication des salariés. Parmi ces dispositifs se trouvent notamment la complexification des politiques salariales, et en particulier l’augmentation de la part variable des salaires (primes sur objectifs, partage des bénéfices, etc.), ainsi que le développement d’un management par objectifs et projets. C’est ainsi que la lauréate analyse “les mutations les plus significatives qui s’opèrent, non dans les marges, mais au cœur du salariat stable« .
Ces dispositifs, en plus d’impliquer davantage les salariés, vont dans le sens d’un accroissement de l’autonomie au travail. Mais cette autonomisation qui responsabilise les salariés va de pair avec une augmentation du contrôle, intériorisé, mis au service de la performance de l’entreprise. La culture du résultat emporte avec elle un “nouveau faisceau de contraintes”, prenant la forme d’une multiplicité d’indicateurs de performance, dont l’auteure met en lumière l’évolution ainsi que les implications pour le salarié.
Il en ressort que ce qui est présenté comme un dépassement du salariat par les employeurs participe d’un déni du lien de subordination en faveur des performances de l’entreprise, et que le pendant du partage des bénéfices est aussi l partage des risques. Sous couvert de “mérite” en établissant des inégalités “justes”, le développement des primes variables génère ainsi de profondes injustices. Et sous couvert d’autonomie, le salarié est fragilisé.
“Le nouvel esprit du salariat » : prix du livre RH 2021
“Nous assistons depuis les années 1970 à une déstabilisation du salariat en France, mis en péril par la multiplication des formes d’emplois précaires et l’expansion du travail indépendant. Dans un tel contexte, l’évolution des formes de rémunération et de mobilisation de la main-d’œuvre contribue à fragiliser les salariés. Ce nouvel esprit du salariat, foyer central de diffusion des valeurs individualistes et méritocratiques qui irriguent la société, promeut l’avènement d’un travailleur autonome et responsable. Mais faut-il l’envisager comme un progrès, tel que le présentent les employeurs, ou comme une nouvelle forme de sujétion des travailleurs ? »
L’enquête de Sophie Bernard, menée durant près de vingt ans auprès de populations variées dans un panel d’entreprises, analyse les mutations qui s’opèrent au cœur du salariat stable. Elle met au jour le développement de profondes injustices mais aussi le déni du lien de subordination, potentiellement risqué pour les salariés, mis au profit des performances de l’entreprise. Ces recherches ont fini par être récompensé par le prix du livre RH 2021.
Sophie Bernard est professeure de sociologie à l’université Paris Dauphine et chercheuse à l’Irisso. Elle est également membre junior de l’Institut universitaire de France. Elle est notamment l’auteure de “Travail et automatisation des services” (Octarès, 2012).
Olivier de Vitton