Quatre lettres questionnent depuis plusieurs mois le monde de l’enseignement supérieur et de la formation continue en France : MOOC (pour Massive Open Online Course). Ce qu’elles véhiculent d’accessibilité modifiera-t-il à terme et en profondeur la formation professionnelle et plus particulièrement le e-learning ? Beaucoup de questions, autant de possibles à envisager. Profitons-en tant que le modèle n’est pas figé.
« Il a fallu convaincre le corps professoral de l’intérêt qu’il y avait à s’investir dans cette aventure », se souvient Frank Pacard, directeur général à l’enseignement de Polytechnique (école d’ingénieur). L’aventure ? Celle des MOOCs (Massive open online courses), ces plateformes gratuites de e-Learning d’excellence que Dave Cormier, l’inventeur du terme, définit plus largement : « Un MOOC n’est pas seulement un cours en ligne […], c’est un événement où des personnes qui s’intéressent à un sujet se réunissent, travaillent sur le sujet en question et en parlent de manière constructive. Un MOOC est ouvert, participatif […], une manière d’échanger, de développer des compétences, ce qui revient à s’engager dans un processus d’apprentissage.»
Un corps professoral qui, à Polytechnique, a été convaincu puisque l’X est le premier établissement français à avoir rejoint la plateforme Coursera ; l’école proposera ainsi un cours de mathématiques appliquées dès la rentrée 2013. Son objectif est d’abord stratégique. « Il s’agit d’exporter la notoriété de l’école. De plus, il existe peu de cours dispensés en français, nous voudrions qu’une offre francophone se développe sur ces plateformes. Dans cette phase où le modèle des MOOCs est encore en gestation, pas stabilisé, il nous semble important de nous positionner en acteur plutôt qu’en spectateur », poursuit M. Pacard. Il est aussi d’avoir un impact plus important sur la formation continue, voire la formation à distance. En se positionnant ainsi, l’école rappelle que le rôle des établissements d’enseignement supérieur dépasse la formation initiale. Le nouveau décret de gouvernance de l’école, du 21 mars 2013, a d’ailleurs actualisé ses missions. Il indique notamment que Polytechnique « peut également dispenser des enseignements de spécialisation, de perfectionnement et de mise à jour des connaissances notamment dans le cadre de la formation continue. »
Un nouveau rapport à l’apprentissage grâce aux MOOCs ?
Pour Franck Pacard, « les MOOCs sont en train de tirer vers le haut ces formations en ligne et à distance, sous la pression des élèves. » Ce sont justement deux anciens de l’X ayant fait une formation aux États-Unis qui avaient donné l’alerte, soulignant l’intérêt de leur génération pour ce type de cours qui permettent d’apprendre d’autres choses. « Ils avaient aussi regretté de ne pas avoir pu suivre tous les cours de l’X », précise-t-il. Qui plus est, ces cours, tenant en peu d’heures à la fois, sont compatibles avec l’activité professionnelle.
Mais que devient le goût d’apprendre une fois qu’on est salarié ? Les MOOCs, s’ils gagnent l’entreprise, modifieront-ils le rapport des salariés à l’apprentissage, un rapport encore trop scolaire, hormis pour les cadres ? Le phénomène se développant à partir des utilisateurs, l’idée n’est pas saugrenue. Pour Pierre Berthou, directeur général Software de FuturSkill, « la formation en entreprise va encore rester sur de l’obligatoire mais les MOOCs pourraient permettre de combiner du coercitif – les entreprises sont régies par des règles, certaines formations sont obligatoires, celles qui délivrent des certifications en sécurité en sont un exemple – et du collaboratif. Il faut développer l’envie d’apprendre chez le collaborateur et les MOOCs peuvent jouer les accélérateurs en entreprise. »
On peut aussi imaginer qu’ils pourraient favoriser l’ascenseur social en délivrant « des formations validantes, diplômantes auxquelles auraient accès un plus grand nombre de personnes ; la VAE de demain ? », suggère-t-il. Les entreprises, vu leurs besoins de compétences – « énormes » selon M. Berthou –, vu l’importance des écarts entre les compétences acquises et les compétences requises, auraient à gagner à développer chez leurs salariés cette appétence. Elles auraient également intérêt à se départir d’une certaine défiance vis-à-vis du monde universitaire, une défiance toutefois réciproque.
Une nouvelle façon de produire du contenu et de l’améliorer ?
« On s’aperçoit, par exemple sur Coursera (Plateforme internationale de formation en ligne), qu’en tenant compte des critiques des élèves, de leurs commentaires, on peut améliorer les cours. Cet aspect devrait permettre une meilleure adéquation entre le contenu du cours et les capacités d’apprentissage des élèves », observe Frank Pacard.
Actuellement, la production de contenu pédagogique coûte plutôt cher aux entreprises. Mais la formation devenant stratégique dans la guerre des talents, celles-ci, pour en élaborer d’une autre façon, pourraient s’inspirer du principe des MOOCs : « On filme des professeurs, on les met en ligne et on ajoute des outils d’évaluation pour les apprenants », simplifie Pierre Berthou. L’acculturation au digital poussera peut-être elle aussi le phénomène. Il conviendra quoi qu’il en soit de se demander ce qui, dans cette « offre pléthorique et non encore structurée » que décrit Franck Pacard, est transférable en entreprise. Le concept, en mûrissant, devrait également se réguler. S’appuyant aujourd’hui sur la masse, on peut très bien entrevoir que le système puisse fonctionner un jour pour un public plus restreint.
Mutualiser la création des contenus pédagogiques ?
Pour des raisons d’économie, les entreprises seraient-elles prêtes à partager leurs contenus pédagogiques, et lesquels ? Difficile à ce stade d’apporter des réponses. Si la question peut se poser sur des matières transverses, elle est inconcevable sur les formations relatives à leur cœur de métier. Cependant, si des passerelles pédagogiques ne se créent pas entre les entreprises, elles pourraient se renforcer entre ces dernières et l’enseignement supérieur. « On peut imaginer que dans les chaires écoles/entreprises des MOOCs soient développés, qu’ils deviennent un lieu d’interaction entre l’enseignement, la recherche et l’entreprise ; ce serait un lieu assez naturel pour cela », projette Frank Pacard.
Ou bien, comme l’envisage Pierre Berthou, qu’apparaissent des systèmes de MOOCs transférables à l’entreprise, « des portails qui leur ressembleraient par exemple, où l’on trouverait des contenus potentiellement mutualisables, pas forcément gratuits mais moins coûteux, s’appuyant, pour des sujets transverses (la bureautique, les langues…) sur le participatif ; il y a des choses à inventer et les technologies d’aujourd’hui le permettent. »
La gratuité fait-elle le MOOC ?
Vodeclic, éditeur d’une solution de formation de bureautique en ligne, prône l’inversement du système de la formation : passer du top down au bottom up, un mouvement qui a déjà touché d’autres sphères et qui est à l’œuvre dans les MOOCs. « Les entreprises sont intéressées par cet inversement. En cas de résistance, elles n’auront pas d’autre choix que de l’intégrer car les gens se forment de plus en plus par eux-mêmes », pointe son président et cofondateur, Xavier Sillon. Plus que la gratuité, le choix et l’envie d’apprendre sont pour lui les deux marqueurs du phénomène. « Ce n’est pas parce que les MOOCs sont gratuits que le concept même l’est, le vrai sujet c’est l’accès aux cours et l’on ne peut comprendre ce qui se passe si l’on fait fi du financement », explique-t-il. Il estime que si les initiatives françaises sont pour le moment très rares, c’est non seulement du fait du corporatisme du monde de l’enseignement, mais encore, à cause du manque de financement des startups françaises. » Pendant ce temps, aux États-Unis, Bill Gates est le plus gros investisseur de Khan Academy (plateforme de formation en ligne)…
Sophie Girardeau