Le concept de « talent », aujourd’hui de plus en plus utilisé, ne l’est-il pas au risque d’une confusion avec les notions de compétence et de potentiel ? Par suite, le management des talents recouvrirait-il une réalité spécifique ou serait-il simplement la nouvelle désignation du système classique de gestion de compétence. Dès lors, la prétention de « gérer les talents » n’apparaitrait-elle pas comme un paradoxe du côté de l’entreprise et ne présenterait-elle pas un risque du côté des collaborateurs ?
Le talent, de quoi parle-t-on ?
Depuis les années 2000, le concept de talent apparaît de manière plus prononcée, à côté de celui de compétence, jusqu’à devenir le vocable le plus usité en gestion des ressources humaines.
Les expressions fleurissent autour du « management des talents », de « la guerre des talents », de « la rétention des talents »… sans pour autant être définies avec précision. Petit à petit la notion de talent vient se substituer aux notions de compétence et de potentiel.
Est-ce simplement un effet de langage, une mode, ou bien le talent traduit-il quelque chose de nouveau à prendre en compte dans nos organisations ? Vient-il souligner un enjeu crucial dans un monde de plus en plus concurrentiel, à savoir disposer des compétences distinctives -les talents- supposées mieux répondre à l’impératif de différenciation ? L’enjeu de ne serait-il pas alors de passer du management des compétences au développement des talents ?
Autant, de questions qu’en tant que professionnels RH nous devons nous poser en gardant suffisamment de distance pour en évaluer les bénéfices comme les risques.
Le talent, pour une exigence de différenciation
Aujourd’hui, cette notion de talent est mobilisée dans un contexte d’incertitude, d’instabilité et d’hyper compétitivité. Un monde économique où l’entreprise n’est plus assurée de maintenir ses avantages compétitifs dans le temps. Il ne s’agit plus, pour elle, de s’adapter mais de se différencier. Cet impératif s’applique à tous les domaines de l’entreprise et pas uniquement au niveau du commercial. Le talent dans cette perspective a toute sa place.
Le talent peut être défini comme une capacité à faire mieux… que les autres, ou tout au moins à faire différemment. Le talent renvoie donc à l’idée de faire la différence : assimilé à un don, une faculté, le talent désigne cette capacité particulière, cette habileté naturelle ou acquise, à réussir. Le talent apparait bien de ce point de vue, un enjeu de taille pour les entreprises.
Ainsi, 65% des grandes entreprises françaises interrogées par l’étude ANDRH-FEFAUR de mars 2013, indiquent avoir mis en œuvre une politique de gestion des talents dans les 5 dernières années.
Il reste à savoir ce que recouvre la gestion des talents.
Le management des talents : un système de gestion à part entière
Introduire le concept de talents dans le management de l’entreprise, ce serait reconnaitre le caractère unique de chacun, accepter qu’un collaborateur garde une part de singularité. Cela paraît-il conciliable avec un modèle de gestion hérité du modèle taylorien reposant sur des tâches prescrites, des comportements attendus, et des procédures à suivre ?
Par ailleurs, le talent ne saurait se confondre avec le potentiel ou la compétence. Contrairement au potentiel, le talent n’a pas d’âge : il permet donc un regard différent sur les séniors. Contrairement à la compétence, le talent de s’apprend pas, il est non transférable et non reproductible. Moins rationnel et plus subjectif, il est intrinsèque à un individu. Il existe ou non, même s’il peut se parfaire par l’engagement, la motivation ou se peaufiner par l’expérience. Il sera, en l’occurrence, plus facile de former des managers à des techniques de mobilisation, que de leur transmettre ce qui ferait d’eux des managers charismatiques. Nous touchons là, à la distinction entre les compétences et les talents… Si le talent ne peut se passer de compétence, en revanche ce n’est pas parce qu’on aura des compétences, que l’on aura du talent…
François Lambert, directeur associé du cabinet Hommes Capital & Développement, le traduit à sa manière : « l’ère de la gestion des ressources humaines est dépassée, il s’agit maintenant de contribuer au développement du capital humain des organisations. Dans le contexte économique actuel, si les entreprises doivent toujours exceller dans la mobilisation des compétences individuelles et collectives, elles doivent avant tout investir dans le capital de leurs collaborateurs. Elles doivent miser sur la volonté d’accomplissement et d’autonomie des collaborateurs. Autrement dit, contribuer à leur niveau à faire fructifier les talents. C’est à ce prix qu’elles pourront proposer des solutions innovantes à leurs clients, qu’elles pourront se montrer plus réactives que leurs concurrents. L’enjeu c’est bien le développement des talents ».
Ainsi, le management des talents, consisterait non seulement à rechercher et garder les meilleurs, mais aussi à faire émerger le meilleur de chacun. Un vrai bouleversement dans la ‘‘gestion des Ressources Humaines’’ : raisonner talent, c’est se concentrer sur la personne avant de raisonner en termes de fiche de poste ou de référentiel de compétences. En effet, si la compétence renvoie au savoir-faire, le talent pourrait renvoyer au ‘’plaisir de faire’’. C’est lorsqu’il laisse libre cours à son talent qu’un collaborateur éprouve le plus de plaisir à travailler. C’est en s’appuyant sur cette notion, que le dirigeant fera émerger au mieux les talents au sein de son équipe. Concrètement : au moment du recrutement, en interrogeant le candidat sur ce qu’il aime vraiment faire, et pas seulement sur ce qu’il sait bien faire ; au cours de sa carrière, en se focalisant sur ce qu’aime le collaborateur plus que sur le ou les postes à pourvoir. C’est à ce prix que les entreprises sauront capter, développer et fidéliser les talents.
Bien que détecter les talents exige un certain ‘‘flair’’, les solutions RH que proposent les ECPA[1] sont des aides fort appréciables. Amenées à détecter le talent de Dirigeant chez des managers d’une grande entreprise bancaire, nous nous sommes trouvés confrontés à la difficulté de convaincre la DRH de ne pas se limiter dans la sélection aux critères de performance actuelle ou passée, ou à celui de repérage de la hiérarchie.
L’utilisation de solutions d’évaluation permettant de repérer les valeurs et les motivations des candidats, comme le SOSIE[2] (en recrutement externe) ou le GOLDEN[3] (en mobilité interne), nous a permis de renforcer la transparence du processus de sélection. Le croisement des regards a apporté une plus grande objectivité dans le repérage des talents et par suite dans leur développement et leur fidélisation.
Milène Merienne & Claire Moreau[4]
[1] Les ECPA accompagnent les professionnels des RH en leur proposant des solutions d’évaluation et d’accompagnement des personnes fiables et validées scientifiquement.
[2] Seul inventaire à évaluer la personnalité et les valeurs, SOSIE permet de repérer la dynamique d’une personne, d’identifier la concordance ou les éventuels décalages entre les caractéristiques du poste proposé, et les motivations et comportements professionnels de la personne.
[3] GOLDEN est à la fois un inventaire de personnalité et une démarche globale dans laquelle la personne se situe au cœur de la réflexion sur ses points forts et ses axes de développement.
[4] Milène Mérienne : Psychologue du travail et économiste des RH de formation, coach et conseil, plus particulièrement dans les situations de transition professionnelle et de souffrance au travail.
Claire Moreau : Psychologue de formation, consultante en RH et coach en dynamique professionnelle (recrutement, mobilité interne, détection de potentiel, bilan de compétence, réorientation professionnelle et développement des aptitudes managériales).