La Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris vient de publier un rapport[1] qui présente le télétravail comme un réel moteur de croissance et d’emploi. La France, dont le cadre règlementaire est mal adapté à ce mode d’organisation du travail et la culture managériale trop hiérarchique, accuse un retard vis-à-vis de ses voisins européens. Pour encourager les entreprises d’Île-de-France à proposer le télétravail à leurs salariés, la CCIP propose plusieurs mesures de modification du cadre juridique.
Interview avec le rapporteur, Dominique Denis, membre de la Commission de l’Emploi et des Affaires Sociales.
Quel atout représente le télétravail pour un territoire ?
Compte tenu du contexte économique et du remplacement des générations, le télétravail représente une opportunité de croissance et d’emploi, notamment en Île-de-France, où le coût du m² et du poste de travail en entreprise est important. Le télétravail pourrait également favoriser le désenclavement de certaines régions.
C’est pourquoi, à la CCIP, nous avons souhaité prendre position sur ce sujet d’actualité. Nous nous sommes demandé pourquoi la France est en retard par rapport à ses voisins européens, pourquoi le télétravail ne prend pas plus d’ampleur.
En Île-de-France, nous sommes en concurrence avec les grandes capitales économiques. L’entreprise, aujourd’hui, est souvent mondiale et peut s’installer partout. Pour inciter les entreprises à rester en Île-de-France, à y créer de l’emploi, nous devons être attractifs. Pour cela, elles doivent trouver une certaine flexibilité réglementaire. Il ne s’agit pas de passer par-dessus bord toute la législation du travail, mais de proposer quelques évolutions juridiques pour encadrer le télétravail.
Quelles modifications du cadre légal proposez-vous ?
Nous proposons d’abord une mise à l’écart de la présomption d’imputabilité de l’accident du travail. Un accident qui intervient à domicile est-il un accident du travail ? Il ne s’agit pas de dire que l’accident de travail à domicile n’existe pas mais d’inverser la charge de la preuve. En revanche, lorsqu’il s’agira d’un salarié en télé-centre, la règlementation restera inchangée.
Ensuite, il règne un flou autour des sujétions du salarié en télétravail à son domicile qu’il convient d’éclaircir. Le poste de travail et les connexions sont financés par l’employeur. Mais quid d’autres sujétions, comme les 3m² de son domicile que le salarié utilise à des fins professionnelles ?
Au-delà du cadre juridique, vous évoquez un autre frein au développement du télétravail en France : la culture managériale. En quoi est-elle un obstacle ?
La culture managériale française, très axée sur la hiérarchie et la notion de présentéisme, constitue en effet un frein. Mais le temps va amener une évolution profonde de la culture managériale. Quand vous n’êtes pas présent à votre poste de travail, on se demande si vous travaillez effectivement. Aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne, les cadres, même ceux et surtout ceux qui ont des responsabilités élevées, quittent leur bureau à 17h, pour aller faire du sport par exemple, sans que cela ne choque personne. En France, on travaille dans l’entreprise et nulle part ailleurs.
Notre retard par rapport à nos voisins du Nord de l’Europe est-il lié à notre culture managériale ou davantage à notre cadre législatif ?
Les deux peuvent expliquer le retard de la France. Nos voisins du Nord de l’Europe ont appréhendé certaines choses que nous n’avons pas encore prises en compte. Par exemple, en France, un poste de travail est occupé à moins de 50% du temps de travail. Le reste du temps, la personne est en réunion, devant la machine à café, en pause cigarette, etc. Chez nos voisins, tous les salariés n’ont pas un poste de travail affecté. Ce n’est pas encore du télétravail mais un premier pas : en arrivant le matin, le salarié s’installe sur l’un des postes libres. Il n’est pas automatiquement auprès de son chef hiérarchique. Il commence à s’en éloigner. Nous tendons vers ce type d’organisation. La génération Y – je veux parler des 15-20 ans – qui s’apprête à remplacer la génération des baby-boomers, n’a pas les mêmes aspirations en matière de poste et d’horaires de travail que les générations précédentes.
Quelle distinction faites-vous entre le nomadisme et le télétravail ?
Les salariés et les chefs d’entreprise ne sont pas assez informés. S’il y a eu beaucoup d’expérimentations, cela concerne encore peu de monde. Il n’existe pas encore d’industrialisation du télétravail. C’est pourquoi la CCIP propose d’élaborer un guide du télétravail pour informer les quelques 410 000 entreprises de l’Île-de-France et les encourager à se poser la question du télétravail.
D’abord, en termes de définition, il faut faire la distinction entre vrai télétravail et nomadisme. Aujourd’hui, les cadres dirigeants sont équipés des nouvelles technologies qui leur permettent de travailler partout dans le monde. À l’instant, nous parlions de poste occupé à 50% ; lorsqu’il s’agit des cadres dirigeants, leur poste de travail n’est occupé qu’à 20%. Ils ne sont pas en situation de télétravail, mais de nomadisme. Les collaborateurs de cabinets de conseil ou les commerciaux sont des travailleurs nomades. Ils passent plus de temps chez leur client que dans l’entreprise.
Le télétravail est bien plus précis : il implique des tâches effectuées à distance par une personne grâce à un poste de travail installé par l’entreprise. L’entreprise met à sa disposition tous les documents, le plus souvent dématérialisés, qui lui permettent de réaliser les tâches qui lui sont confiées.
Le nomadisme existe et continue d’évoluer. Le télétravail, lui, n’avancera pas si on ne continue pas d’en parler.
Télétravail à domicile ou en télé-centre, lequel a le plus d’intérêt selon vous ?
Il faut que les deux existent. J’ai moi-même expérimenté le télétravail à domicile. Dans tous les cas, il doit être basé sur un double volontariat, de l’entreprise et du salarié. Le télétravail ne s’adapte ni à tout le monde ni à toutes les tâches. Il faut une capacité d’autonomie forte. Si le télé-centre est plus rassurant pour l’entreprise, commençons par là.