Depuis le lancement du CPF, nombreux sont les acteurs de la formation qui s’indigent contre le dispositif. Le 27 avril dernier, les contestataires se sont rassemblés en lançant le mouvement des Hiboux. Quelle est la genèse de ce mouvement et quelles sont ses revendications ? Rencontre avec Luc Teyssier d'Orfeuil, coach en communication, management et comportement en entreprise, fondateur de Pygmalion Communication.
Pouvez-vous nous présenter le mouvement des Hiboux, ce qui a suscité sa création ainsi que ses acteurs ?
Guillaume le Dieu de Ville et Arnaud Portanelli, les fondateurs de l’organisme de formation Lingueo, sont les initiateurs du mouvement des Hiboux. Peu avant la mise en place du CPF, ils ont eu l’idée de créer le site www.cpformation.com, dont la vocation est d’informer tout un chacun sur ce dispositif. Dès son lancement, ce portail a rencontré un vif succès et suscité de nombreuses réactions auprès des acteurs de la formation. Il s’est alors très vite avéré que chacun faisait face à un grand cafouillage. Ils ont pu constater les contestations des entreprises et des personnels qui souhaitent se former, les craintes des organismes de formation et des OPCA… Des revendications émanant de tous les professionnels du secteur qui les ont conduits à lancer le mouvement des Hiboux ainsi qu’une pétition afin de faire évoluer le CPF. Son leitmotiv : remettre le système en ordre de marche pour sauver la formation professionnelle, les organismes de formation et leurs emplois.
En quoi le CPF met-il en difficulté les acteurs de la formation professionnelle ?
Le DIF n’était certes pas parfait mais il avait le mérite d’être utilisé ! De janvier à avril 2014, le DIF a permis 60 000 entrées en formation par mois. Or, sur la période équivalente en 2015, seuls 1 000 CPF ont été validés ! L’intention de la loi est louable : focaliser la formation professionnelle sur les personnes peu qualifiées, pour renforcer leur employabilité. Mais cela se fait au détriment de tous les autres bénéficiaires potentiels de formations. Dans les faits seules trois types de formations sont éligibles au CPF : les formations « métier » avec certifications inscrites au RNCP, les formations qui délivrent des Certificats de Qualification Professionnelle et les formations permettant d’acquérir le "socle commun de connaissances et de compétences". A savoir, des connaissances de base pour se faire comprendre en français, savoir compter, envoyer un mail ou se servir d’un traitement de texte… Ces choix excluent de facto du CPF une très large gamme de formations, comme l’apprentissage des langues étrangères mais aussi celles liées au développement personnel et au savoir-être dans le monde du travail. Les organismes spécialisés dans les formations en management et communication ne peuvent pas délivrer de qualification sur ces sujets. En conséquence, les Hiboux estiment que d’ici la fin d’année 2015, 25000 organismes de formation vont fermer leurs portes. La défaillance de ces organismes et de ces entrepreneurs indépendants, tous créateurs de richesse et de sens, va générer 75 000 nouveaux chômeurs.
Quelles sont, de ce fait, les répercussions du CPF sur les cadres et les salariés ?
La réforme a réussi à bloquer la formation en France ! Les formations éligibles au CPF sont extrêmement rares et la procédure pour effectuer une demande est complexe. De plus les cadres et salariés n’ont pas été vraiment informés sur la nécessité de s’inscrire sur le nouveau site internet pour transformer leurs heures de DIF en CPF. Après, ceux qui l’ont fait découvrent que les formations autour du savoir-être en entreprise (prise de parole en public, gestion du temps, management d’équipe…) ne sont pas prises en charge…
Quelles seraient, selon vous, les meilleures mesures à envisager concernant le CPF ?
Toutes les mesures qui permettraient de profiter des avantages du CPF sans perdre ceux du DIF seraient bonnes. Les entrepreneurs et responsables RH savent pourquoi ils envoient un collaborateur en formation. Les cadres, salariés et chômeurs savent ce dont ils ont besoin pour conserver ou retrouver leur employabilité. Accompagnons-les, mais ne décidons pas pour eux. Et cessons de croire que seuls les diplômes et les certifications vont résoudre le problème du chômage ! A ce jour, les Hiboux proposent 10 mesures. Parmi elles : élargir les listes aux formations transverses (bureautique, langues étrangères, communication, management, développement personnel…), consulter les différents acteurs du secteur, les organismes de formation pour améliorer et débloquer le système, abandonner le passage obligatoire des examens diplômants et des tests certifiants… A ce jour, dans les organismes de formation comme chez les OPCA, les licenciements et les fermetures ont déjà commencé. Les dégâts seront considérables si rien n’est fait pour assouplir la loi ou revenir dessus. Il y a urgence !