Les deux tiers des cadres, qu’ils soient sportifs ou non, jugent la comparaison pertinente, nous enseigne l’étude de l’APEC sur les cadres et le sport, publiée en juillet dernier. Les résultats de cette enquête renforcent l’idée déjà bien ancrée selon laquelle valeurs sportives et valeurs de l’entreprise sont très proches. Mais l’enquête met également en avant des contradictions et les limites de ce partage de valeurs. Les notions de performance, de dépassement de soi et d’esprit d’équipe peuvent-elles être transposées dans le monde de l’entreprise sans paradoxe ? Le manager est-il vraiment comparable à un entraîneur sportif ?
Individualisme ou esprit d’équipe ?
Performance, compétition et dépassement de soi : telles sont les valeurs que 76% des cadres attachent au sport. « Des valeurs qui apparaissent comme de véritables valeurs travail », analyse l’Apec. C’est là que réside un premier paradoxe entre la représentation associée au sport et sa pratique. « Les principales activités sportives pratiquées par les cadres sont des activités de loisirs, plutôt individuelles, dans un cadre non-compétitif », observe l’Apec. Les hommes citent principalement la course à pied, les femmes la gym/fitness : des loisirs, plus que des sports, associés aux notions « de détente et de plaisir (…) à l’opposé du dépassement de soi et de la performance promus dans le monde de l’entreprise », toujours selon la même enquête.
Deuxième contradiction : la notion d’esprit d’équipe, une valeur largement promue lorsque l’entreprise fait appel aux valeurs sportives. Là encore, si l’on met en parallèle cette représentation avec la réalité de la pratique, apparaît un décalage. Les cadres affectionnent les sports a priori individuels : course à pied et gym, comme nous venons de l’évoquer, mais aussi randonnée, natation, vélo, yoga… « Seuls 10% des cadres indiquent un sport collectif comme activité principale », enseigne l’étude. Mais la conclusion selon laquelle le sport est synonyme d’individualisme serait hâtive. « Le sport, qu’il soit individuel ou collectif, véhicule la valeur d’esprit d’équipe. Derrière un sportif, il y a toujours une équipe », commente Gilles Lorin de Reure, Président de Bibaïsport, agence de conseil en communication interne et RH par le sport. Il s’occupe également des Relations Presse de Guillaume Néry, champion du monde d’apnée, et prend son exemple : « Il plonge seul, mais il a toute une équipe derrière lui pour le préparer ».
Le sport : facteur de discrimination ?
Les notions de performance et de compétition, si elles sont citées par les sportifs et les non-sportifs comme valeurs-clés, le sont parfois de façon négative. Le dépassement de soi n’est pas toujours un moteur d’ambition, mais parfois un vecteur de stress. « Ce culte de la performance suscite de nombreuses critiques quant aux pressions qu’il suscite et encourage, à l’origine de difficultés sociales, individuelles et collectives », lit-on dans l’étude. « Tout le monde n’est pas dans le dépassement de soi, dans l’exploit », répond le spécialiste de la communication RH par le sport, promoteur « d’une nouvelle forme de dialogue ». Selon lui, on peut faire apparaître la valeur expérience collective, susciter l’intérêt même des anti-foots et des allergiques du jogging, pour un événement sportif, à but caritatif par exemple. « Tout le monde n’est pas sportif, tout le monde n’aime pas le sport, mais chacun peut jouer un rôle », poursuit-il. Autour de l’organisation d’une régate – il prend un autre exemple encore -, « certains collaborateurs peuvent s’occuper de préparer le bateau, de l’entraînement du sportif, de la tactique ».
4% des cadres interrogés par l’Apec n’accorde aucun intérêt au sport, et 29% aucun intérêt particulier. Organiser un événement sportif ou mobiliser les valeurs, le discours sportif dans l’entreprise reviendrait alors à mettre de côté une partie des collaborateurs.
Outre la volonté, la capacité à pratiquer une activité sportive entre dans les potentiels risques discriminatoires de l’intégration du sport dans l’entreprise. L’âge et le handicap peuvent empêcher certains collaborateurs de participer à un événement sportif, voire créer un mal-être vis-à-vis du reste du groupe. La représentation du cadre « (plutôt un homme, plutôt jeune et surtout en bonne santé parce qu’adepte régulier d’un port) reste en elle-même le symptôme d’une perception sélective du groupe des cadres », observe l’étude Apec. Dans l’événementiel ou le discours, le sport est associé à la Génération Y, perçu comme un moyen de les motiver, de les retenir dans l’entreprise. « Les jeunes de moins de 30 ans ont des attentes différentes des générations précédentes. Ils sont plus volatiles, plus à l’écoute de ce qui se passent dans les autres entreprises, plus curieux. Pour les retenir, il faut leur faire vivre une expérience », établit Gilles Lorin de Reure. Le sport peut être à l’origine de cette expérience. Dans une entreprise où se côtoient Génération Y et seniors, le sport peut-il alors être une solution de rapprochement ? « On parle en effet de la Génération Y, répond le Président de Bibaïsport, mais on peut intégrer les seniors par le sport. Il faut choisir le bon sport et les bonnes règles du jeu ».
Typhanie Bouju