Si savoir déléguer une tâche ou une mission à l’un de ses collaborateurs s’avère parfois pour certains managers comme un lâcher prise digne d’un saut à l’élastique, certaines méthodes permettent de pallier à ce manque de confiance, et de jouer enfin collectif. Rencontre avec Jean-Ange Lallican, professionnel RH depuis plus 25 ans, enseignant et ancien président de la commission nationale des Risques psychosociaux et du stress de l’ANDRH, auteur de "L’art de déléguer, Manager dans la confiance", aux éditions Dunod.
Pourquoi certains dirigeants ou managers rencontrent-ils des difficultés à déléguer ?
Certains managers rencontrent des difficultés dans la délégation car ils ne mentionnent pas toujours de manière explicite les moyens donnés à leurs collaborateurs, afin qu’ils deviennent autonomes. Certains d’entre eux ne construisent pas toujours cette relation d’accompagnement. C’est pourtant l’occasion de bâtir des relations de confiance avec chacun et aussi de construire de la cohésion au sein d’une équipe. En activant et en optimisant la vision de la réussite auprès de chacun de ses collaborateurs, le manager permettra la révélation des talents qui sommeillent en eux. Les difficultés tiennent principalement compte d’une délégation peu exprimée, peu soutenue, qualifiée de délégation utilitariste parfois. La délégation est un processus avant tout relationnel.
Ces dirigeants ou managers, répondent-ils à un profil spécifique, comment les identifier ?
Ces dirigeants ou managers sont décrits dans mon ouvrage sur le côté inefficace de chaque style négatif de manager. Par exemple le manager autoritaire de type minutieux qui affirme ses points de vue sans se préoccuper des divergences qui peuvent exister au niveau de ses collaborateurs, c’est son opinion qui prévaut. Il n'hésite pas à contredire et à s’opposer pour défendre ses intérêts même si cette attitude lui porte préjudice. Il pratique souvent la rétention d'informations. Il considère qu'un objectif est un ordre et ne voit pas pourquoi il faudrait le cacher. Il délègue rarement, s’il le fait c’est essentiellement avec un manque de confiance d’emblée. Il estime que décider est le domaine de responsabilité du manager et que cela ne se discute pas. Il s’occupe beaucoup plus de sanctionner les erreurs commises que de reconnaitre les efforts engagés. Autre exemple pour illustrer, le manager démissionnaire qui ne cherche pas à obtenir ou à encourager des suggestions de la part de ses collaborateurs. Il fuit les conflits dans l'espoir qu'ils se résorberont tout seul à un moment ou à un autre. Il s’oppose à tout changement susceptible d'intervenir au niveau de l’unité. Enfin, il évite de déléguer ses responsabilités considérant que pour être sûr que le travail soit bien fait, il faut le faire par soi-même. Il existe encore 3 autres types négatifs de styles de manager, comme le manager utopiste et le manager complaisant qui ne tiennent pas compte de la réalité ou se laissent dépasser dans une certaine naïveté incompréhensible. Et le dernier pas toujours très franc qui fonde l'exercice de l'autorité sur une forme de marchandage où chacun fait pression sur l'autre pour obtenir ce qu'il désire, avec aussi un manque de contrôle et de traçabilité qui lui permettent de s’en tirer en cas de conflit.
Comment peuvent-ils évoluer sur cette question, et lâcher prise afin de déléguer ?
Ils devront pour certains d’entre eux approcher de nouvelles organisations plus réactives face à la complexité. Il est peut être temps pour eux d’être novateurs, courageux, inventifs face à une réalité de plus en plus complexe. Ils devront s’adapter et donc mettre fin à des modèles d’organisation définitive qui ont pu les satisfaire jusque là. Le plus important consistera pour chacun de ces managers à rechercher de nouveaux équilibres au sein de l’équipe, à encourager et dynamiser certaines initiatives portées par leurs collaborateurs.
Il leur faudra se munir de cette volonté affichée d’associer les hommes et les femmes à l’effort prospectif de l’équipe. Autrement dit, permettre à chacun de ses collaborateurs d’être porteur d’une contribution à l’élaboration d’un projet, d’un travail, en lui laissant l’occasion de s’exprimer sur sa propre responsabilité. En les amenant à s’exprimer sur la réalité de l’entreprise ou de l’unité, ils pourront voir émerger le sens que porte chacun sur son travail. C’est une expérience que j’ai pu mainte fois confirmer grâce au concept du mapping de responsabilité et qui donne à chaque membre d’une organisation sa vraie place et sa valeur ajoutée dans les décisions partagées. Enfin le plus important, ils doivent oser la confiance en augmentant le degré de liberté de chaque collaborateur au sein de son champ de responsabilité. La confiance est mère de créativité et d’audace !
Quelle attitude adopter lorsque l'on est managé par quelqu'un qui ne sait pas déléguer ?
Il serait souhaitable de l’encourager à exposer plus clairement ses attentes afin qu’il vous accompagne et augmente votre compréhension sur les résultats attendus face aux objectifs fixés. L’inviter à plus d’écoute attentive, car des interprétations trop positives ou négatives peuvent contrarier la réussite des objectifs et fausser les résultats. Curieusement les mauvais délégants attachent parfois peu d’importance à cette réussite dans l’immédiat alors qu’elle représente une partie des clés de la performance et de la réussite individuelle. Cette prise de conscience dans l’écoute active du manager peut lui permettre de saisir les pensées, les idées de chacun de ses collaborateurs et de l’engager à oser entreprendre. Alors, face à ces constats de moindre clarté dans la vision collective, donc de la délégation, j’invite chaque collaborateur à poser des questions concrètes qui favorisent l’apparition des explications.
Gérald Dudouet