En septembre dernier, le Centre d’Analyse Stratégique publiait une Note d’analyse* portant sur les entretiens individuels d’évaluation en France. Surprenant ? Pas tellement, quand on sait que cette pratique qui s’institue comme un des piliers des politiques RH des entreprises, est entouré d’un flou juridique et constitue par conséquent, un risque potentiel pour l’entreprise. Explications.
Les entreprises ne sont pas tenues juridiquement de procéder à une évaluation annuelle, sauf si la convention collective en vigueur le prévoit ou si elles y sont engagées par un accord collectif négocié avec les syndicats. Néanmoins les orgaisations se doivent d’évaluer le personnel, du fait des diverses obligations vis-à-vis du salarié comme la formation continue ou l’adaptation au poste de travail. L’entretien d’évaluation participerait donc à la régulation de la vie de l’organisation. A noter que 77 % des entreprises privées et 54 % des salariés sont concernés par cet entretien d’évaluation, selon le Centre d’Analyse Stratégique.
« Cette pratique RH, largement répandue en France, s’est pourtant développée quasi-indépendamment du droit », indique Nadine Regnier-Rouet, Avocat à la Cour spécialisé en droit social.
En effet, seul l’Article L. 1222-3 du Code du Travail précise les Techniques d’évaluation professionnelles : « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
Outre cet Article, l’entretien annuel est entouré d’un flou juridique. Résultat, cette pratique RH fait l’objet de critiques notamment sur la manière dont sont conduit les entretiens ou encore sur son impact en matière de stress et de santé au travail. « Le risque majeur étant de voir l’évaluation faite contestée par les représentants du personnel ou le salarié lui-même », précise Nadine Regnier-Rouet.
Quelle est donc la finalité poursuivie lors d’un entretien d’évaluation ?
En tant que managers ou responsable RH, ai-je le droit de m’intéresser aux comportements du salarié autant qu’aux résultats du travail qu’il produit ?
En septembre dernier, la cour d’Appel de Toulouse a répondu « non » en suspendant le système d’évaluation des quelques 5 000 cadres d’Airbus en France pour cause de « critères comportementaux non conformes aux exigences légales ». Car, « évaluer le salarié dans son travail implique d’utiliser des critères d’évaluation directement en lien avec l’activité professionnelle du collaborateur », insiste Nadine Regnier-Rouet.
C’est pourquoi dans sa Note d’analyse publiée consécutivement à cette décision de la Cour de Cassation, le Centre d’Analyse Stratégique préconise notamment de « consolider l’entretien d’évaluation en tant que pratique de ressources humaines essentielle, en limitant les risques et les contentieux » mais aussi de créer une certification des entretiens d’évaluation. Les temps semblent donc annoncer un assainissement de cette pratique désormais considérée comme « à risque » pour l’entreprise.
En attendant, les entreprises et les salariés avancent à tâtons dans un tunnel que le Juge s’emploie à éclairer.
Emilie Vidaud
*Note d’analyse 239 – Pratiques de gestion des ressources humaines et bien-être au travail : le cas des entretiens individuels d’évaluation en France