Alors que les entreprises publient leurs résultats à l’index d’égalité professionnelle, une question demeure : comment évaluer plus justement les inégalités femmes-hommes au travail ? Derrière des scores parfois flatteurs, la réalité est plus complexe et même polarisée selon le Haut Conseil à l’Égalité. Temps partiel, charge mentale, segmentation des métiers, focus sur ces facteurs invisibles et les solutions pour les contrer.
Une ségrégation professionnelle à tous les niveaux
Dès l’orientation scolaire, les inégalités entre hommes et femmes commencent. Influencés par les stéréotypes, les hommes ont tendance à s’orienter vers des formations scientifiques et technologiques, tandis que les femmes sont surreprésentées dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des sciences humaines. Ces métiers, bien qu’essentiels, offrent moins de débouchés et des rémunérations plus faibles.
Une fois en poste, cette polarisation se prolonge, toujours alimentée par les stéréotypes de genre. Certaines fonctions restent perçues comme « féminines » ou « masculines » et la concentration d’un genre ou de l’autre dans des métiers différents, finit par être source d’inégalités :
- allocation moins juste de la main-d’œuvre ;
- reconnaissance et valorisation des compétences hétérogènes ;
- écart de salaires.
Les inégalités se creusent aussi verticalement. Plafond de verre, falaise de verre ou encore plancher collant, on ne compte plus les concepts qui témoignent de la difficulté des femmes à progresser professionnellement. Et si les indicateurs d’égalité tiennent compte de la représentativité des femmes dans les 10 plus hautes rémunérations, les biais structurels restent, eux, absents de l’équation.
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Une organisation du temps de travail inadaptée
Les inégalités professionnelles ne se limitent pas aux écarts de salaire ou aux difficultés d’accès aux postes à responsabilités. Elles se jouent aussi dans l’organisation du travail. Réunions en fin de journée, exigence de disponibilité totale, déplacements, horaires morcelés dans le tertiaire… Autant de pratiques qui compliquent la conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales, encore majoritairement assumées par les femmes.
Dans de nombreuses entreprises, la présence physique reste un critère implicite d’engagement collaborateur, reléguant celles qui jonglent avec des contraintes personnelles à des rôles moins visibles. Et, par conséquent, à des perspectives d’évolution plus limitées.
Les chiffres officiels ne tiennent pas compte de ces réalités.
À salaire égal, le volume d’heures travaillées est souvent différent.
L’évolution de carrière aussi.
Le temps partiel, un « choix » sous contrainte
Cette rigidité dans l’organisation du travail impacte directement les trajectoires professionnelles des femmes. Face à des exigences difficilement conciliables avec leur charge familiale, beaucoup font une pause professionnelle ou se tournent vers des formes d’emploi plus flexibles. Le temps partiel en est l’un des exemples les plus marquants. En 2023, il concerne plus d’une femme sur quatre contre moins d’un homme sur dix. Mais loin d’être volontaire, pour la majorité des femmes, ce choix est plutôt imposé :
- Les normes sociales et familiales
Lorsqu’elles expliquent leur temps partiel, 43 % des femmes évoquent la nécessité de s’occuper d’un enfant ou d’un proche. Les hommes, eux, privilégient ce mode de travail pour un second emploi ou un projet personnel. Résultat : pour les premières, ce temps est consacré aux tâches domestiques. Pour les seconds, il sert souvent à générer des revenus supplémentaires, avec les droits sociaux associés.
- Un marché du travail segmenté
Le temps partiel ne relève pas uniquement d’un choix personnel. Il s’impose souvent aux femmes, en particulier dans certains secteurs tertiaires fortement féminisés. Les emplois peu qualifiés, comme ceux du nettoyage, de la vente ou de la petite enfance, sont majoritairement proposés sous cette forme.
Ce phénomène reflète une segmentation persistante du marché du travail. D’un côté, des emplois peu qualifiés et précaires où le temps partiel est la norme. De l’autre, des postes qualifiés et stables, où le temps partiel est davantage un choix.
Invisible dans les statistiques, ce temps partiel subi fausse les indicateurs d’égalité et se répercute sur les trajectoires professionnelles, les perspectives d’évolution et bien entendu, la rémunération.
Une charge mentale pesante
Les inégalités ne se mesurent pas uniquement en chiffres. Jongler entre responsabilités professionnelles et familiales est un défi quotidien auquel s’ajoute pour certaines, le coût supplémentaire de garde d’enfants, et pour d’autres, le nécessaire frein à leur carrière. Bien souvent, les femmes ne concilient plus, elles cumulent. On parle alors d’une « double journée de travail » et d’une charge mentale pesante. Un poids invisible, mais pourtant bien réel.
Loin de refléter la réalité du terrain, les chiffres officiels donnent ainsi une image tronquée de l’égalité professionnelle. Car la segmentation des métiers, le poids du temps partiel et la charge mentale restent invisibles dans les méthodes de calcul actuelles.
Alors quelles mesures pour une évaluation plus juste des inégalités hommes-femmes au travail ? Et surtout quelles solutions pour les contrer ?
Des solutions pour lutter contre les inégalités invisibles
Repenser l’index d’égalité homme-femme
Pour une évaluation plus juste, il serait nécessaire d’intégrer des indicateurs de suivi plus représentatif de la situation actuelle. Par exemple :
- le volume d’heures travaillées : l’égalité salariale ne peut être évaluée sans tenir compte du temps partiel, qui concerne principalement les femmes et réduit mécaniquement leurs revenus.
- l’impact des interruptions de carrière : congés parentaux, temps partiel contraint, périodes de sous-emploi… Autant de facteurs qui freinent l’évolution professionnelle et creusent les écarts de rémunération sur le long terme.
- l’indice de ségrégation des métiers : les clivages professionnels contribuent à d’inégales perspectives de carrière. L’analyse de la répartition des hommes et des femmes par secteurs et par niveaux de responsabilité est à considérer pour faire progresser la mixité.
Entre avancées législatives et limites persistantes
Des mesures ont été mises en place pour réduire ces inégalités. À l’échelle nationale, des réformes visent par exemple à accélérer l’accès des femmes aux postes à responsabilité. Ces mesures permettent des progrès mais restent insuffisantes face aux inégalités invisibles. Pour les contrer, il faut agir directement sur les pratiques en entreprise :
- En recrutement, opter pour des titres de postes plus inclusifs. « Conductrice d’engins routiers », « ingénieure », « assistant », « maïeuticien » , etc : une même offre d’emploi, titrée différemment, permet d’attirer des candidatures différentes et ainsi, diminuer les associations implicites entre métier et genre.
- En RH, mener une politique de parentalité. La création récente du congé de naissance trace la voie : d’autres initiatives doivent être mises en place ou repensées pour un partage plus équitable des responsabilités familiales. Crèches d’entreprises, congés spéciaux (événements familiaux, PMA, fausse couche, etc.), horaires flexibles, campagnes de sensibilisation… La réforme du congé paternité/parental fait d’ailleurs l’objet d’une attente forte, plébiscitée par 7 Français du 10.
- En formation, poursuivre la révolution silencieuse”. La progression du niveau d’éducation féminin a participé activement à l’intégration des femmes sur le marché du travail. Encourager la montée en compétences des femmes, valoriser leur place dans des filières dites « masculines », continuent ces avancées et lutte également contre les préjugés de genre.
De nombreuses autres pratiques existent. Et pour chacune, la réussite dépend d’une mobilisation collective, depuis les institutions jusqu’aux individus. À l’heure où les modèles de travail évoluent, l’opportunité est là : bâtir une organisation plus juste, où la trajectoire professionnelle se base uniquement sur le potentiel.
Source(s) documentaire(s) :
- Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme sur le marché du travail, Anne Châteauneuf-Malclès (Cairn.Info)
- Rapport 2025 sur l’état du sexisme en France, à l’heure de la polarisation, HCE
- La mixité des métiers progresse, mais bien lentement, Observatoire des inégalités