Depuis quelques années, et notamment depuis la crise du Covid19, de nombreuses entreprises ont engagé des politiques RH intégrant plus de flexibilité : sur les horaires, la durée du travail, les congés ou encore le télétravail. En faisant confiance et en misant sur l’autonomie de leurs équipes, ces employeurs ont voulu donner aux salariés de meilleures conditions d’épanouissement et de performance, avec un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle (QVCT).
En 2024, on constate qu’une partie de ces entreprises continue de proposer ces hauts niveaux de flexibilité. Alors que d’autres reviennent en arrière. Et c’est notamment le cas dans un domaine pourtant très encadré par le droit du travail : la durée du travail.
Durée du travail, horaires et flexibilité en entreprise
La majorité des salariés — hors forfaits jours — sont tenus de travailler une certaine durée de travail, généralement 35 heures par semaine. Pourtant, malgré les impératifs du droit du travail, un certain nombre de TPE-PME n’exige plus un volume précis d’heures travaillées chaque semaine. Tant que les salariés travaillent « à peu près » 35 h hebdomadaires en moyenne, peu importe s’ils en font 30 ou 40 selon les semaines. Je l’ai observé notamment dans le secteur des start-up et scale-up où 75% d’entre elles permettent déjà aux salariés de démarrer/terminer leur journée de travail à l’heure de leur choix. Une liberté sur les horaires qui s’accompagne souvent d’une liberté sur la durée du travail.
L’objectif pour les entreprises est de donner de la souplesse aux équipes, tout en étant vigilant à ce que cette flexibilité ne laisse pas certains salariés travailler beaucoup trop, ou trop peu. Dans les faits, cela permet à l’employeur de demander de travailler un peu plus dans les périodes chargées, et de lever le pied dans les périodes moins chargées. Mais cela permet aussi à chaque salarié à titre individuel d’ajuster ses horaires et sa durée du travail selon ses envies (ou contraintes) personnelles.
Emmanuelle Masingarbe, ex Talent & Culture Manager, témoigne sur le fonctionnement de la flexibilité horaire chez 365Talents :
Nous n’avons pas d’horaire de début ni de fin de journée, l’important c’est que le travail soit fait. C’est un système basé sur la confiance. Cependant, nous faisons particulièrement attention à ce que les collaborateurs déconnectent bien. Pour cela, nous adressons un questionnaire mensuel à chaque collaborateur pour vérifier qu’il a fait des horaires « normaux » et qu’il respecte les temps de pause prévus par le droit du travail. De plus, nous insistons beaucoup sur le droit à la déconnexion (sensibilisation des équipes, formation des managers, interdiction des réunions après 18 h, coupure des notifications en dehors du temps de travail, etc.).
L’articulation avec le télétravail
Dans une ère où le télétravail est plus fréquent — pour les métiers pour lesquels c’est possible — cette flexibilité semble d’autant plus appropriée.
D’une part, le télétravail augmente la part de travail asynchrone, il est donc moins pertinent de démarrer et terminer ses journées en même temps que ses collègues. D’autre part, ajuster sa durée du travail selon les semaines fait encore plus sens quand on peut télétravailler. Prenons deux exemples :
- les salariés qui télétravaillent une semaine sur deux pourront préférer travailler moins d’heures quand ils viennent au bureau, notamment pour compenser le temps déjà passé dans les transports ;
- les salariés qui partent télétravailler quelques jours à la campagne ou en bord de mer préféreront ici aussi moins travailler pendant cette période pour mieux profiter du lieu où ils sont.
À condition, dans ces deux exemples, de travailler un peu plus le reste du temps, pour rester sur une moyenne de travail correspondant aux attentes de leur employeur.
La difficile conciliation avec le droit du travail
Beaucoup d’entreprises se refusent à proposer cette flexibilité sur la durée du travail, et certaines sont même revenues en arrière depuis. Notamment les TPE-PME qui ont bien grandi et qui atteignent des échelles d’effectifs où le risque juridique devient trop important.
En effet, cette flexibilité ne permet pas de respecter à la lettre le droit de la durée du travail. Rappelons que, hors forfaits jours, l’employeur est tenu de contrôler et de faire respecter la durée légale du travail. L’inspection du travail y veille régulièrement. Quand les heures effectuées sont supérieures à celles prévues dans le contrat de travail, ce sont des heures supplémentaires qui devraient être payées comme telles et qui peuvent être rappelées en cas de contentieux, sans oublier les durées maximales de travail et les durées minimales de repos.
Plusieurs centaines d’entreprises, et notamment dans le secteur de la Tech que j’étudie beaucoup, continuent aujourd’hui de proposer cette double flexibilité (horaires de travail et durée du travail), tant l’avantage est grand pour leurs équipes. Elles ne l’affichent pas forcément en public (vu le risque juridique qu’elles prennent), mais considèrent que la valeur créée est supérieure au risque encouru.
Ce décalage entre les pratiques réelles de certaines entreprises et le droit du travail montre que la loi n’a visiblement pas évolué aussi vite que les usages, et qu’il y aurait peut-être des évolutions souhaitables pour permettre plus de flexibilité. À condition de proposer des mécanismes simples, et de continuer à préserver de bonnes conditions (et durées) de travail. Notons au passage que certaines entreprises refusent d’aller vers les forfaits jours tant les contentieux sont abondants dans ce domaine.
Source :
Quand les start-up, scale-up et licornes réinventent les RH (éd. Dunod, 2023)