Les entreprises sont confrontées à des risques nouveaux en matière de gestion du personnel dont la plupart relèvent d’une mauvaise maîtrise des règles juridiques ou du détournement de certaines d’entre elles, ainsi :
On a progressivement perdu de vue la finalité du droit qui vise principalement à favoriser l’harmonisation des relations sociales.
Or, on est loin de l’invocation de Lacordaire (avocat /prédicateur 1802/1861) pour qui « entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit » alors qu’une accumulation débordante et une complexification incessante de la législation semblent désormais profiter surtout à ceux qui ont les moyens de recourir aux « meilleurs » juristes pour réaliser leurs objectifs et optimiser leurs profits.
- De telle sorte que l’on peut s’inquiéter d’une inversion de cette finalité dans de nombreux domaines, dès lors que l’on constate que désormais « le droit de la force, l’emporte sur la force du droit ».
- C’est pour cela qu’il faut davantage savoir passer du concept du respect de la règle à celui du respect de sa finalité. C’est d’ailleurs à cette approche que nous invite la CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) en faisant une analyse téléologique des textes contrairement à la tradition française de l’interprétation littérale, qui réduit trop souvent le juriste au rôle « d’obsédé textuel » dénoncé par le professeur J.E. Ray.
Parmi « les risques en voie de développement » une priorité revient sans aucun doute aux risques psychosociaux.
- Nul ne peut plus ignorer, en effet, la réalité et l’aggravation des pathologies liées à une dégradation, perçue ou vécue, des conditions de travail : stress, souffrance au travail, burn-out et même suicide, sont trop souvent le résultat d’un «management agressif » et de mesures (quasi permanentes) de réorganisation de l’entreprise en vue d’améliorer sa rentabilité, de mises en place de nouvelles technologies destinées en principe à faciliter le travail mais entraînant un sentiment de précarité ou d’incapacité à suivre le mouvement :
- cf. l’avis du CESE du 14/05/2013 sur la prévention des risques psychosociaux et l’Observatoire national du suicide mis en place par Madame le ministre Marisol Touraine le 10 septembre 2013 (décret du 09/09/2013)
- la loi REBSAMEN du 17/8/2015 a ainsi apporté de multiples réformes en vue de favoriser le DIALOGUE SOCIAL qu’il va falloir assimiler…(au rythme erratique des décrets d’application) et parmi ces réformes :
- un début de reconnaissance du BURNOUT comme maladie professionnelle par le biais de commissions régionales dont les modalités doivent être fixées par décret
- la simplification du compte pénibilité qui n’implique plus une fiche individuelle, mais une déclaration annuelle a adresser aux CARSAT (caisses d’assurance retraite) par le biais de la DSN déclaration sociale nominative
- l’introduction de la notion « d’agissements sexistes » dans le code du travail ne risque t elle pas de se superposer a celle d’harcèlement sexuel, et entrainer de nouveaux contentieux ? A suivre !
Les causes de dysfonctionnements sociaux semblent par ailleurs se multiplier, avec des débats d’un type nouveau tels que l’interprétation de la notion de laïcité…selon que l’on soit dans le secteur public ou privé.
La position prise par la Cour de Cassation dans l’affaire de la crèche Baby loup (Cass. Soc. du 19/03/2013) avait laissé peser une grande incertitude quant à la conduite à tenir dans l’entreprise pour concilier ce principe de laïcité avec celui de la non-discrimination ou de la liberté de conscience…..en considérant que le licenciement d’une salariée d’une crèche , qui avait refusé de retirer son voile (malgré un Règlement intérieur visant expressément cette interdiction) était injustifié
Mais la résistance de la cour d’appel de Versailles, le 27/11/2011 puis de la cour d’appel de Paris le 27/11/2013 ont entrainé , après 4 ans de procédure, une prise de position plus claire de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation le 25/6/2014 estimant que le principe de laïcité justifie cette interdiction de porter un signe religieux, y compris dans un établissement ne gérant pas un service religieux
Reste que ce type de débats risque de ressurgir, sauf a adopter une position plus nette a ce sujet dans les règlements intérieurs et/ou dans un préambule que je préconise d’ajouter dans les contrats de travail, rappelant les finalité et valeurs et précisant que « le salarié s’engage a n’avoir aucun comportement contraire »
De même concernant la notion de « catégories objectives » permettant de justifier des avantages catégoriels … notamment en faveur des cadres !
C’est ainsi que dans un arrêt du 13/03/2013 la cour de cassation estime qu’un régime de prévoyance plus favorable aux cadres est justifié « en fonction des spécificités de chaque catégorie ». Ce qui attenue le coup de tonnerre porté par l’arrêt du 20/02/2008 par lequel la Cour a posé le principe que « une différence ce catégories professionnelles ne justifie pas, en soi, une différence de traitement ». Mais, là aussi, le débat reste ouvert et on peut aisément prévoir d’autres contentieux concernant l’interprétation du principe d’égalité de traitement.
À ce sujet il va falloir savoir mieux distinguer la différence entre «inégalité de traitement» et «discrimination».
- En effet une pratique discriminatoire ne nécessite aucune comparaison. Un salarié pouvant s’estimer discriminé au regard des dix-neuf cas listés à l’article L 1132-1 du code du travail faisant l’objet d’une sanction pénale lourde (trois ans de prison et 45.000,- Euros d’amende) et de la nullité du licenciement. Avec un régime de la preuve très favorable à la victime puisque c’est à l’employeur de « prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination »
- Par contre l’inégalité de traitement implique une comparaison. Depuis un arrêt du 29/10/1996 la cour de cassation a crée une « règle de l’égalité de rémunération non seulement entre un homme et une femme, mais aussi entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique ». Là encore, c’est à l’employeur de justifier ces raisons objectives – Cass. Soc. 17/02/2010.
- Comme l’indique le professeur J.E. Ray dans une chronique du Monde du 15/10/2013 « ce flou entre les deux notions de discrimination et d’égalité de traitement, provoque une avalanche de contentieux dans un pays où les citoyens sont animés de deux passions : le désir du privilège et le goût de l’égalité, comme le disait Charles de Gaulle ».
- Mais il est vrai que tant pour l’appréciation d’une pratique discriminatoire que pour celle d’inégalité de traitement ,la perception qu’en a la personne concernée n’est pas forcement objective , et en tout cas pas celle de son manager…d’autant qu’il est rare qu’on puisse considérer que deux personnes « placées dans une situation identique « fournissent une prestation identique d’ou le difficile traitement du principe « a travail égal , salaire égal ».
On ne peut que relever, par ailleurs, le risque accru de la mise en cause de la responsabilité (civile et pénale) du dirigeant et/ou des managers (sans oublier la responsabilité pénale de la personne morale !)
- Or la loi PERBEN II du 9/3/2004 a mis fin (sans que les dirigeants ne s en soient bien aperçus )au principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales, en supprimant de l’art 121-2 du code pénal les termes « dans les cas prévus par la loi ou les règlements De telle sorte que depuis janvier 2006 ( date d’entrée en vigueur de cette loi ) les infractions au code du travail peuvent engager la responsabilité penale de la personne morale , même si le code du travail ne les qualifie pas d’infraction pénales. De telle sorte que les infractions ( qui peuvent donner lieu a autant d’amendes qu’il y a de personnes concernées ) peuvent entrainer une sanction multipliée par 5.
- Par ailleurs le concept de « Faute Inexcusable » est désormais fréquemment évoqué, en s’appuyant sur celui de l’ «obligation de sécurité de résultat ».
- D’autant que l’indemnisation des préjudices augmente singulièrement en cas de faute inexcusable et s’enrichit (si on ose le dire) des notions récemment dégagées par la jurisprudence, relatives au « préjudice d’angoisse » (affaire de l’amiante, Cass. Soc. 11/05/2010, N° 09.42.241) ou au « préjudice d’attente » (affaire SNCF et Car Scolaire, Tribunal Correctionnel de Thonon les Bains, 26/06/2013) sans oublier la réparation du préjudice fonctionnel et sexuel dégagée par trois arrêts du 04/04/2012.
- « l’intérêt « si on ose le dire, pour un salarié d’engager la procédure de reconnaissance du caractère inexcusable de la faute, est de prétendre ( pour lui et ses ayants droits ) a la réparation intégrale de son préjudice…au delà des barèmes forfaitaires fixés pour un AT ou Maladie professionnelle
- Le risque , pour l’employeur, est de voir, non seulement son taux de cotisation AT majoré pour les 3 ans suivants, mais jusqu’à 50% de la contribution normale et ce pendant 20 ans
- enfin la notion « d’obligation de sécurité de résultat » crée par la jurisprudence en 2002 suite a des contentieux relatifs a l’amiante , fait peser un risque de sanction très important sur l’entreprise
- en substance les tribunaux ont , depuis cette date , considéré que le seul fait qu’un accident était survenu, prouvait que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’éviter et que par conséquent sa responsabilité était engagée . Cette forme de présomption de culpabilité a entrainé de nombreux contentieux, dans lesquels l’employeur a bien du mal a établir sa bonne foi
- un récent arrêt (Air France)du 25/11/2015 semble opérer un certain virage plus rassurant et surtout plus « pédagogique » vers une notion «d’obligation de sécurité de moyens renforcés » tout en réaffirmant que l’employeur a une obligation d’assurer la securit é et la santé de ses salariés , selon les prescriptions de l’art L 4121-1 du code du travail, elle souligne que celui ci peut s’exonérer de cette responsabilité, s’il apporte la preuve qu’il a pris les mesures de prévention, prévues a l’article L 4121-2 du code du travail en 9 points précisés (dont l’évaluation périodique des risques).
Autant dire que l’employeur est fortement invité a mettre en place ces mesures de préventions, pour pouvoir en justifier en temps utile.
Cela ne peut qu’inciter à porter une plus grande attention au rôle croissant et aux moyens importants du CHSCT pour engager des procédures judiciaires et/ou faire intervenir des experts.
- En tout cas il convient d’observer cette nouvelle répartition (et compétition) des pouvoirs entre le CE et le CHSCT d’une part mais aussi entre les syndicats et les élus d’autre part, sans oublier celle entre la diffusion des « tracts syndicaux » et l’usage de plus en plus fréquent des réseaux sociaux. Les risques liés à la diffamation de personnes (dirigeants ou collègues) ou la réputation de l’entreprise sont devenus une réalité contrôlée et sanctionnée. La cour de cassation souligne que « si les personnes morales, et donc les syndicats, ne peuvent être poursuivis pour diffamation, le délégué syndical peut être mis en cause à titre personnel », Cass. crim., 10/09/2013, N° 12.83.672).
- Une loi du 03/04/2013 ouvre un nouveau « droit d’alerte » en matière environnemental et social au CHSCT et … à chaque salarié. Cela « risque » de déclencher quelques contentieux !
Un risque nouveau résulte de la « rupture intergénérationnelle », avec son expression conflictuelle dans l’entreprise par le sentiment de précarisation des juniors et celui d’exclusion des seniors.
Et il n’est pas sûr que le « contrat de génération » suffise à enrayer cette opposition tout comme les multiples lois sur l’égalité homme-femme n’ont guère changé la réalité.
Le concept de « Volontariat » semble par ailleurs une source nouvelle de conflits.
- Qu’il s’agisse du développement inquiétant des plans de départs volontaires ou de celui du recours à la procédure de la rupture conventionnelle, on ne peut s’empêcher de s ‘interroger sur le caractère réellement volontaire de la plupart de ces consentements…… !
- Il en est de même du recours au volontariat pour le travail de nuit ou du dimanche ainsi que pour le télétravail.
- Et on peut s’inquiéter du nombre de salariés devenant auto-entrepreneurs pour poursuivre leur activité avec leurs anciens employeurs … !
- Autant de situations pour lesquelles la notion de « volontariat-contraint » semblerait plus appropriée.
La remise en cause du statut de salarié et/ou celui de l’employeur est un autre domaine sur lequel il convient de se pencher :
- Il s’agit d’une part du recours des entreprises à une pratique qui semble être devenue un sport national (et international) et qui est très souvent un détournement de la loi et de sa finalité, entraînant un risque de requalification en contrat de travail à temps plein et/ou à la sanction pénale pour travail dissimulé (qu’un arrêt de la cour de cassation du 15/05/2013 considère comme pouvant entrainer une indemnité forfaitaire (six mois) s’ajoutant aux indemnités de licenciement).
- Sont ainsi dans le collimateur :
- Les CDD ou l’intérim souvent utilisés comme fausse période d’essai.
- De même pour les contrats « de stage » à durée limitée pour éviter le seuil de rémunération obligatoire.
- De même pour les « embauches » en qualité de free-lance ou dans le cadre d’un (faux) contrat de prestation de services avec une activité exclusive et à temps plein pour un seul mandant.
- Les contrats de sous-traitance qui ne sont en réalité trop souvent que des contrats de prêt de main d’œuvre etc…
- D’autre part, et alors qu’il n’est pas rare de constater aujourd’hui que des salariés ignorent finalement quel est leur véritable employeur dans l’entrelacs de divers contrats, la jurisprudence s’attache de plus en plus à déclarer une situation de « co-employeur » entre une filiale et sa société mère, ce qui permet de condamner les deux entreprises In Solidum. (Affaire des Conti, Conseil des Prud’hommes Compiègne, 30/08/2013, N° 11.00.319)
En bref, toutes ces observations ne peuvent qu’inviter à contrôler davantage la mauvaise maitrise de droit et/ou son détournement (intentionnel ou non)!
Il convient plus que jamais de considérer le droit comme un outil de gestion et non comme un carcan en s’attachant au respect de sa finalité.
Ne faudrait-il pas commencer par réinventer et revaloriser le contrat de travail, en lui redonnant son caractère synallagmatique et un contenu plus explicite, permettant une coopération transparente et équilibrée … la source première d’une harmonisation des relations sociales de plus en plus menacée ?
Quand saura-t-on renoncer aux lettres d’embauche creuses, et/ou aux contrats de travail types pour conclure un véritable « contrat de confiance » avec un salarié enfin considéré comme un « sujet » de droit et non pas comme un simple « objet » de droit collectif ?
par Jacques BROUILLET
[email protected]
Avocat au barreau de Paris
Cabinet ACD
Formateur à l’ESSEC Master spécialisés en Ressources Humaines