Les émotions et les intuitions peuvent-elles être un levier efficace pour décider vite et mieux dans un environnement sans cesse en mouvement ? Faut-il désormais, considérer l’intelligence émotionnelle comme une condition sine qua non à la réussite managériale ? Ces questions font de plus en plus souvent l’objet d’un débat controversé. Pourtant, il semble que l’émotion et l’intuition soient de plus en plus valorisées au sein des entreprises. La preuve avec le témoignage de ces dirigeants et experts RH qui se sont exprimés lors d’une conférence-débat organisée par le Club RH ESSEC, début avril.
« L’ancien président de Lafarge, Bertrand Collomb, vous dira que toutes les décisions qu’il a prises sont basées sur l’intuition », indique Christophe Haag, Docteur en sciences du comportement et auteur de « Génération QE » (coécrit avec Jacques Séguéla) et de la « Poulpe Attitude ». Aujourd’hui, certains PDG revendiquent haut et fort, le fait de ne prendre des décisions uniquement basées sur leurs intuitions. C’est notamment le cas du PDG de Coca Cola Entreprise, qui recrute en se basant sur son intuition comme l’explique Christophe Haag : « dans ses processus de recrutement, il va chercher a? créer une rupture pour tester la réaction spontanée de l’individu et ainsi mesurer son sens intuitif a? ce moment précis ». Autre exemple, le DRH de Vivendi, Ste?phane Roussel, qui fait monter dans ses plans de successions les individus dotés d’un profil dit « meta ». Il s’agit de la traduction psychologique de « je suis un intuitif ».
Mais quelles sont les raisons qui poussent désormais, les dirigeants et les DRH à faire l’apologie de cette intelligence émotionnelle que les experts définissent comme étant : « la capacité pour un individu a? identifier et contrôler ses émotions, celles des autres ou celles d’un groupe ». Récemment, une étude conduite auprès de 200 entreprises a d’ailleurs confirmé que la performance d’un salarié tient pour 33 % à ses compétences techniques et cognitives et pour 67 % à ses compétences émotionnelles. Il n’y aurait donc pas de bon manager sans une bonne dose d’intelligence émotionnelle ? Le groupe Pepsico, laure?at du prix « great place to work » l’a bien compris et impulse une dynamique de changement dans sa façon de considérer le facteur humain. Comment ? En invitant par exemple les collaborateurs à des conférences portant sur des thématiques comme le sommeil, le stress ou encore le sport. « Nos collaborateurs ont 50% d’objectifs business et 50% d’objectifs liés au savoir être qui prend notamment en compte des critères de qualité managériale, comportementaux et de communication. La moitie? des objectifs de tous les collaborateurs est donc basée sur cette intelligence émotionnelle », raconte Delphine Dupuis, DRH Pepsico France. Est-il désormais essentiel de communiquer sur la plus value que pourrait apporter un investissement dans le développement des compétences intuitives de certains haut-potentiels ?
L’intuition, un enjeu de performance
« L’intuition nait chez l’être humain en seulement 33 millièmes de seconde. C’est le temps qu’il faut à notre cerveau pour évaluer le capital sympathie, les compétences et la fiabilité d’une personne. D’autres chercheurs ont également montré qu’en 39 millièmes de seconde nous sommes capables de déterminer si la personne en face de nous est menaçante », Christophe Haag, Docteur en sciences du comportement avant d’ajouter que « l’intuition n’opère pas par magie. Il faut un terreau favorable. C’est une triangulation entre votre motivation (plaisir a? faire ce que vous faites), vos compétences intuitives et votre technicité ». Comment identifier les compétences intuitives que l’on porte en soi et quels sont les outils les plus efficaces pour maîtriser ses émotions et développer son intuition ? Faut-il apprendre à échouer pour ne pas échouer à apprendre ?
Pour le troisième groupe de communication TBWA, la réponse apparaît évidente comme le confirme Nicolas Bordas, son Président, « L’intuition est un enjeu pour notre cœur de business. Notre métier consiste à vendre des idées ». Pour Delphine Dupuis, « investir sur le capital humain est le meilleur moyen de développer une croissance durable ». Les chiffres sont la? pour le confirmer. En 2011, Pepsico France a connu une croissance de + 10,7 % (croissance la plus forte dans l’agroalimentaire sur un marche? qui croît de 3,1 %). Pour Joël Luzy, spécialiste des mécanismes émotionnels « un leadership puissant commence par la conscience de Soi : savoir qui vous êtes et quelles sont vos valeurs, maitriser sa gestion émotionnelle, avoir confiance en soi, être capable à l’auto-détermination et à l’adaptation, posséder une aisance relationnelle, la motivation, la créativité ou encore l’intuition. Pour cela, il faut gommer les automatismes en faisant par exemple appel à des coach ou en suivant des séminaires pour gagner en liberté ».
Les outils pour développer les compétences émotionnelles
Christophe Haag, docteur en sciences du comportement, recommande de donner de l’autonomie aux collaborateurs afin de leur permettre d’avoir des zones de liberté et d’expression publique au sein de l’entreprise. « Le PDG du Laboratoire pharmaceutique Boiron a pris le parti d’habiller les murs de son entreprise avec des toiles et des citations afin de permettre aux collaborateurs de se positionner et d’exprimer leurs avis dans l’entreprise », raconte Christophe Haag. Pour la DRH de Pepsico France, l’émotion et l’intuition se développent au quotidien, en encourageant, par exemple, les collaborateurs à faire des actes gratuits. « Cela évite d’être en permanence dans des logiques commerciales. Fonder des actes sur la gratuité c’est encourager les intuitions et par conséquent développer les talents ».
Enfin, certaines études montrent que deux jours de formation permettent de développer de manière significative et pertinente des compétences émotionnelles et intuitives. Il semble que les salariés qui développent cette intelligence émotionnelle soient moins sujets au stress et au burn-out. Les risques dépressifs sont diminués, les troubles du sommeil moins fréquents.
- Pour aller plus loin : Tout savoir sur le burn-out en maladie professionnelle
Toutes ces initiatives sonnent-elles pour autant l’âge d’or de l’intelligence émotionnelle au mépris des compétences techniques ? Les experts et les dirigeants semblent néanmoins s’accorder sur un point : il faut créer un terreau fertile au développement des intuitions et des émotions dans l’entreprise. « Les stagiaires sont parfois les meilleurs. Parce qu’ils n’ont pas de barrière. Ils ont une manière de juger l’idée qui reste très libre. Ils n’ont pas désappris. Dans la publicité, plus on avance, plus on désapprend. On réapprend également parce que l’on s’arme par l’expérience mais on désapprend a? penser librement », confie le PDG de TBWA France qui compte aujourd’hui plus de 1 800 collaborateurs.
Emilie Vidaud