Comment l’École du recrutement (EDR), organisme de référence en matière de formation des recruteurs, en est-elle arrivée à demander son placement en redressement judiciaire ?
Juillet 2025, deux mauvaises nouvelles tombent pour l’écosystème de l’emploi et de la formation : la liquidation de Monster et l’ouverture d’une procédure pour l’EDR. Quelques semaines plus tard, le pionnier du jobboard a bel et bien baissé le rideau. Mais l’École du recrutement, elle, est toujours là.
Quels choix ont été faits pour redresser la barre ? Avec quelles conséquences sociales ? Quelles sont les prochaines étapes pour l’EDR ? Réponses de Marion Cosar, directrice de l’École du recrutement, qui a accepté de répondre aux questions de myRHline.
Pourquoi l’École du recrutement est-elle en procédure de redressement judiciaire ?
Depuis 18 mois, le marché connaît un net ralentissement qui s’est même accentué sur la dernière année. La baisse des ventes s’est traduite par une diminution des facturations et, par conséquent, des encaissements. Or, en parallèle, nos charges sont restées stables. Sauf qu’à l’École du recrutement, ces charges se composent presque exclusivement de la masse salariale et de loyers. Le différentiel s’est ainsi creusé mois après mois.
Au début, nous ne savions pas vraiment s’il s’agissait d’un creux passager, donc nous avons temporisé dans le but de préserver au maximum les emplois. Mais même si des mesures d’ajustements ont été prises, j’admets qu’elles sont probablement arrivées trop tard. Ce qui a encore accentué la tension sur la trésorerie.
Sans accès à un découvert bancaire, le moindre écart risquait de nous mettre en cessation de paiement et, à terme, de conduire à la liquidation de l’EDR. La procédure a donc été enclenchée pour sécuriser l’activité et disposer d’un encadrement légal nous permettant d’effectuer la réorganisation sociale dans de bonnes conditions.
Comment l’annonce a-t-elle été faite aux équipes et quels sont les impacts sociaux de la procédure ?
Il y a une vraie culture de la transparence chez l’École du recrutement, donc, depuis plusieurs mois déjà, les équipes étaient informées de la situation financière avec des points réguliers sur les indicateurs. De fait, l’annonce du placement en redressement judiciaire n’a pas été une surprise. Pour autant, cela ne veut pas dire que ça n’a pas été une épreuve difficile humainement parlant.
Lors de l’annonce, j’ai expliqué les points d’étapes et la trajectoire prévue par la procédure. Des réunions collectives ont été organisées, suivies d’entretiens individuels pour expliquer les conséquences pour chacun. Les salariés concernés par les départs ont bénéficié d’un accompagnement spécifique. Pour ceux qui sont toujours là, un travail particulier a été mené afin de préserver la motivation et d’éviter la fracture entre « sortants » et « restants ».
Sur le plan social, on parle quand même d’une suppression de 60 % de la masse salariale. L’effectif est ainsi passé de 13 collaborateurs à 6 (directrice incluse, ndlr.). Ce choix visait à retrouver un point d’équilibre réaliste et à assurer la survie de la structure. Les indemnités de départ ont été financées grâce au dispositif AGS, le régime de garanties des salaires activé dans le cadre de la procédure. Il a garanti le versement des sommes dues, ce qui aurait été impossible sur la seule trésorerie de l’entreprise.
Au-delà de la masse salariale, nous avons aussi restitué nos locaux afin d’alléger les charges. Les bureaux tenaient surtout un rôle symbolique et communautaire : ils servaient à accueillir des événements, des ateliers et des sessions de formation, ou tout simplement les collaborateurs qui avaient envie de venir au bureau.
Nous sommes donc désormais en full remote (télétravail 100 %). L’organisation étant déjà familière du distanciel et des modes de travail flexibles, cela n’a pas posé de problématique particulière pour l’équipe restante.
L’activité est-elle maintenue sans rupture côté clients ?
Oui, c’est d’ailleurs une priorité absolue. Il faut que les clients perçoivent le moins possible les difficultés traversées. La continuité pédagogique est assurée : les accès en ligne n’ont jamais été interrompus, les sessions planifiées ont bien lieu, et les formations présentielles se déroulent comme prévu.
L’une des particularités de l’École du recrutement était d’être un organisme avec des formateurs en CDI. Mais pour la pérennité de la structure, nous devons maintenant faire appel à des indépendants, dont certains collaborateurs issus du plan social. Cette flexibilité, et cet engagement des personnes, permet d’absorber la charge de travail et de maintenir la qualité promise. La plupart des clients ne connaissent même pas notre situation.
Pouvez-vous nous expliquer l’opération Zéro excuses menée en début d’été ?
C’est très simple : nous avions une urgence de trésorerie de 20 000 € pour passer le mois de juillet. Nous avons donc lancé une opération commerciale exceptionnelle en proposant, sur une période très courte, une offre de formation à 250 €.
L’objectif visait les 80 inscriptions, mais le résultat a largement dépassé nos attentes avec plus de 270 inscrits. Grâce à cette opération, nous avons pu sécuriser presque 3 mois d’activité au lieu de 3 semaines.
Pensez-vous qu’il est désormais nécessaire de faire évoluer votre modèle économique ?
Je l’ai expliqué un peu plus tôt, le modèle historique de l’École du recrutement reposait sur une forte internalisation des activités pédagogiques. En période de croissance, ce choix offrait maîtrise et qualité. Mais dans un marché en contraction, il a aussi contribué à rigidifier la structure et à alourdir les coûts fixes.
Cette crise impose un changement. Le recours aux freelances est devenu un levier pour compenser la réduction de la masse salariale et ajuster la capacité de production au volume d’affaires.
Pour autant, je ne pense pas que cela implique de renier l’ADN de l’organisme, mais plutôt de repenser son périmètre. La réflexion porte aussi sur l’offre elle‑même : au‑delà de la formation traditionnelle, l’idée est d’élargir et de diversifier les services proposés.
Quelles sont les prochaines étapes pour l’École du recrutement ?
La période d’observation décidée par le tribunal court jusqu’à fin décembre. Pour le dernier trimestre de l’année, nous devons donc prouver que l’activité peut retrouver une rentabilité durable et nous devons reconstituer une trésorerie suffisante.
Si les objectifs ne sont pas atteints, une demande de prolongation pourra être faite. Il faudra faire preuve de prudence et voir si nous sommes en mesure d’effectuer une sortie de procédure, auquel cas nous devrons rembourser sans délai les dettes antérieures, ou s’il vaut mieux rester sous protection quelques mois.
Quel est votre message à l’écosystème RH, aux recruteurs, à vos clients ?
Je pense que ce qu’il faut retenir de tout ça, c’est qu’on est toujours là. On fait tout pour continuer à former les personnes au recrutement, préserver l’activité et surtout la qualité de nos contenus pédagogiques.
Clients, partenaires, prestataires et même certains concurrents ont pris le temps de nous témoigner leur confiance et leur soutien. Cet engagement a vraiment porté et aidé l’École du recrutement dans cette étape délicate et confirme la pertinence de notre mission.