Comme après les attentats du 11 janvier dernier, les entreprises doivent gérer la disparation de l’un de leurs salariés, les éventuels blessures de guerre pour d’autres, mais aussi les chocs post traumatiques de leurs collaborateurs témoins directs ou indirects de ces scènes de carnage. Nous avons demandé à deux experts de nous éclairer sur la prise en charge de ce type de drame par les entreprises.
Ce lundi 16 novembre, le téléphone n’a pas arrêté de sonner au standard du cabinet Psya. « Depuis ce matin, ce sont essentiellement des entreprises françaises qui nous contactent pour qu’on les accompagne dans la gestion de cet événement traumatique », constate Jérôme Bouchet, directeur des opérations au sein de ce cabinet. En effet, après l’horreur de la soirée du vendredi 13 novembre, la vie reprend son cours et les entreprises comptent leurs troupes. Certains salariés manquent à l’appel, d’autres ont été touchés directement ou indirectement par ce carnage. Pas facile pour les dirigeants de trouver les bons mots. Par exemple, comment annoncé le décès d’un salarié au reste de l’entreprise ? « Avant d’envoyer un mail avec ce type d’information, la direction doit s’assurer que les managers sont outillés et prêts à prendre le relais dans les services », insiste cet expert. En plus de l’annonce de la tragique nouvelle, l’entreprise doit mettre en place une « logistique morbide », conseille Jean-Claude Delgènes, fondateur et directeur général du cabinet Technologia. « Elle doit par exemple organiser la récupération par la famille des effets personnels du défunt mais aussi permettre aux salariés de se rendre aux obsèques. L’employeur doit être très clair et précis sur les modalités afin de permettre aux gens de bien accompagner leur collègue ou ami : mise en place d’un système de navette, jour de congé « offert » ou pas, payé ou pas. Tout doit être mis en place pour que le salarié décédé ne sorte pas dans l’indifférence générale », insiste-t-il.
Maintenant, si un ou plusieurs salariés ont été blessés et sont toujours absents, les dirigeants doivent évidemment être en lien avec sa famille et les proches. Et, en accord avec ces derniers, l’entreprise peut diffuser en interne des informations sur l’état de santé de ces salariés touchés. Sans jamais se lancer dans un point médical détaillé évidemment. Ainsi depuis lundi 16 novembre, les dirigeants d’une agence de presse parisienne dont deux jeunes collaborateurs ont été touchés par balles au Bataclan, donnent-ils des nouvelles régulières au reste des salariés. « Dans ce type de circonstances, on peut imaginer que l’employeur précise par exemple les modalités de visite auprès des blessés, qu’il mette à disposition un livre pour que les salariés leur apportent leur soutien », suggère Jean-Claude Delgènes.
En plus de la diffusion d’information, les entreprises concernées proposent en général un accompagnement psychologique aux salariés de l’entreprise touchés directement ou indirectement par les attentats et souffrant parfois de stress post traumatique. « Les interventions sur site peuvent être de deux natures : collective au travers de groupes de parole et/ou individuelles avec la venue d’un psychologue. Autre possibilité : la mise en place d’un numéro vert pour les salariés désireux d’évoquer leurs traumatismes », précise Jérôme Bouchet. L’agence de presse parisienne propose ainsi à ses salariés des rendez-vous collectifs et individuels avec une psychologue et poursuivra ce suivi dans les prochaines semaines. « Effectivement, il faut envisager un dispositif de suivi à moyen-long terme. Parfois, les gens ont des flashs au bout de 8 à 10 mois. Pour être efficace, ces cellules d’aide psychologiques doivent aussi être faciles à mobiliser pour les salariés », insiste Jean-Claude Delgènes. Et puis, après des évènements aussi tragiques, il est inconcevable que le business recommence plein pot comme avant comme si de rien n’était. Il faut sortir des process et des modalités de dialogue habituels. « La liberté de parole est un bon moyen pour aider les salariés à évacuer ce type de stress. Permettre à certains salariés de télé travailler est aussi une piste à envisager », indique le dirigeant du cabinet Technologia. Mais plutôt que la réaction (même si là elle s’imposait), la meilleure réponse reste la prévention et l’anticipation. Dès vendredi soir, la plupart des entreprises américaines et anglaises ont adressé un mail à leurs salariés français leur demandant de se manifester dans les 24 heures afin de connaître l’état de leurs troupes. « Les dispositifs d’accueil et de soutien psychologique ont donc été mis en place plus rapidement que dans les entreprises qui n’avaient pas ce type de système d’alerte », conclut Jérôme Bouchet du cabinet Psya.
Sylvie Laidet