Guillaume Brédon, Avocat du droit du travail, revient pour Horoquartz sur les bonnes pratiques en matière de convention de forfait en jours.
Le temps de travail est en principe décompté en heures, à raison de 35 heures de travail effectif par semaine. Tout autre mode d’organisation constitue un mode dérogatoire. Ainsi, les conventions de forfait annuel en jours constituent l’une de ces dérogations, où seules les règles relatives au repos quotidien et au repos hebdomadaire fixeraient les limites de la journée de travail.
Guillaume Brédon, Avocat du droit du travail, revient sur les bonnes pratiques en matière de convention de forfait en jours.
Le forfait jours : un régime juridique dérogatoire
Rappelons que précisément ce sont ces limites jugées insuffisantes qui ont conduit le Comité européen des droits sociaux à déclarer à plusieurs reprises que la réglementation française sur le forfait jours n’était pas conforme à la Charte sociale européenne.
L’année 2011 [i] a marqué un tournant concernant l’application des conventions de forfait dans la mesure où la Cour de cassation a confirmé la licéité de cette forme d’organisation du temps de travail au visa des règles les plus élevées de notre hiérarchie des normes – règles européennes et constitutionnelles -.
Cependant, la Cour a également complété les exigences légales par des conditions de fond dont le non-respect est sanctionné sévèrement par l’annulation de la convention visée et le décompte du temps de travail en heures avec paiement des éventuelles heures supplémentaires ainsi révélées [ii].
De fait, le recours à des conventions de forfait en jours est source d’une insécurité juridique si l’ensemble des règles de forme et de fond, légales [iii] et jurisprudentielles, ne sont pas satisfaites : il sera présenté ci-dessous ces règles et les solutions envisageables en cas d’éventuelles lacunes.
Le cadre réglementaire du forfait en jours
En premier lieu, toute convention de forfait en jours requiert formellement deux documents écrits : d’une part, elle doit être autorisée par un accord collectif, conclu au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou de la branche, et d’autre part, elle doit être acceptée par le salarié sous la forme soit d’une clause contractuelle soit d’un avenant spécifique.
Si l’une ou l’autre de ces conditions de forme fait défaut, la convention de forfait encourt purement et simplement la nullité sans régularisation possible.
En second lieu, tant l’accord collectif encadrant la convention que les documents contractuels doivent comporter des mentions précisées par la loi et la Cour de cassation.
Les dispositions conventionnelles doivent renseigner qui pourra être soumis à un forfait annuel en jours, combien de jours seront compris dans le forfait, quand celui-ci s’appliquera et comment son exécution sera suivie.
Tous les salariés ne peuvent pas être soumis à une convention de forfait en jours : c’est pourquoi l’accord collectif doit déterminer, parmi les catégories de cadres et de non cadres, celles disposant d’une véritable autonomie dans l’organisation de leur temps de travail, conduisant certains cadres à ne pas suivre l’horaire collectif ou rendant la durée du temps de travail de salariés, cadres et non cadres, impossible à prédéterminer [iv].
Une analyse des conditions de travail et une sélection des catégories de salariés éligibles à cette modalité d’organisation du temps de travail doivent donc être réalisées en amont de la conclusion de l’accord collectif. Toute convention qui serait appliquée à un salarié non autonome serait déclarée nulle en cas de contentieux.
L’accord collectif doit en outre préciser le nombre maximum de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit [v], et la période de douze mois consécutifs pendant laquelle s’applique le forfait : cela peut être l’année civile sans que ce soit une obligation. La période de référence peut par exemple être alignée sur la période de prise des congés payés. La façon dont les incidents survenant en cours de période – absence, départ ou arrivée – seront gérés, devra encore être prévue au titre des dispositions collectives.
Rappelons sur ce point que l’absence de détermination d’un nombre fixe et invariable de jours travaillés entraine la nullité de la convention de forfait, sans régularisation possible [vi]. A noter qu’il n’existe pas de contentieux connu concernant un défaut de définition de la période de référence.
Enfin, légalisant les principes dégagés par la Cour de cassation, le code du travail [vii] impose désormais aux partenaires sociaux de prévoir, au sein de l’accord collectif, les modalités de suivi de l’exécution de la convention de forfait : cela concerne tant la charge de travail du salarié que le temps qu’il consacre à son travail et les temps de repos dont il bénéficie.
Ce suivi est en lien avec les questions de qualité de vie au travail, la bonne articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, et le droit des salariés à la déconnexion dont l’accord devra aussi encadrer l’exercice.
Les bonnes pratiques côté employeur
En pratique, il est impératif que l’employeur mette tout en œuvre afin de garantir le respect des durées maximales de travail ainsi que des temps de repos journaliers (onze heures) et hebdomadaires (trente-cinq heures) et que le salarié ait la possibilité de signaler rapidement s’il rencontre des difficultés à cet égard. Si les stipulations conventionnelles sont insuffisantes à cet égard, la loi permet à l’employeur de pallier ces lacunes en adoptant une procédure de suivi.
L’établissement d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, la nature des jours non travaillés et donnant l’opportunité au salarié de signaler une charge ou des durées de travail qu’il jugerait excessives ainsi que l’organisation d’au moins un entretien annuel protègeront l’employeur contre une annulation de la convention de forfait.
A défaut de dispositions conventionnelles, l’exercice du droit à la déconnexion sera défini unilatéralement par l’employeur.
Enfin, s’agissant des dispositions contractuelles indispensables, l’accord collectif doit en principe en encadrer le contenu. Le code du travail se contente d’exiger a minima la mention du nombre de jours compris dans le forfait.
Il sera opportun de se référer à l’autonomie du salarié concerné pour justifier le recours à un forfait et de rappeler au salarié les moyens mis en place pour suivre son activité et lui permettre de saisir sa hiérarchie d’une éventuelle difficulté.
En conclusion, s’il est indispensable de s’appuyer sur un accord collectif et un accord individuel pour mettre en place une convention de forfait, l’employeur doit adopter des mesures de contrôle rigoureuses s’il entend pouvoir défendre en cas de contentieux cette dérogation au décompte du temps de travail en heures.
Guillaume Brédon, Avocat du droit du travail, pour Horoquartz
[i] Cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71.107
[ii] A noter que selon les circonstances, il est en outre possible que les juges du fond retiennent l’existence d’un travail dissimulé (cas d’une convention insuffisamment précise : Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-29.141) sanctionné par une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture du contrat de travail
[iii] Cf. les articles L. 3121-55 et L. 3121-58 à L. 3121-66 du code du travail
[iv] Soulignons à cet égard que la soumission à une obligation de présence sur des plages horaires définies a été jugée incompatible avec la mise en œuvre d’une convention de forfait en jours (Cass. soc. 15 déc. 2016 n°15-17.568 et 23 janvier 2013 n° 11-12. 323)
[v] Ces 218 jours comprennent la journée de solidarité
[vi] Cass. soc. 11 janv. 2011, n° 09-42.325, 12 mars 2014, n° 12-29.141 et 16 mars 2016, n° 14-28.295
[vii] Modification issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dite « El Khomri »