Il y a quatre ans maintenant, la dégradation du climat social de grands groupes français créait un véritable électrochoc, faisant émerger un débat d’un nouveau genre dans l’entreprise. Projetée sur le devant de la scène, l’articulation des temps de vie est rapidement devenu un enjeu majeur, avant de s’imposer comme une obligation légale avec la loi de mars 2006 sur l’égalité professionnelle femmes-hommes. Récemment, le site meilleures-entreprises.com a mené une enquête auprès de jeunes étudiants issus de grandes écoles, afin de déterminer les conditions d’une entreprise idéale. Il en ressort que ces futurs managers et ingénieurs souhaitent intégrer une entreprise qui tienne compte de l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.
L’affirmation de cette tendance est relativement nouvelle comme l’explique tout au long de cette interview, Karen Demaison, Fondatrice et dirigeante du cabinet Critères de choix, cabinet de conseil en stratégie humaine.
En 2008, la création de la Charte de la Parentalité en Entreprise a permis la mise en place d’un véritable dialogue au sein des entreprises. Où en est-on aujourd’hui ?
Signée par plus de 400 entreprises, la Charte de la Parentalité vient en complément de la Loi de 2006, relative à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le travail. Cette loi comporte, en effet, un volet sur la parentalité et l’articulation des temps, qui précise que les entreprises ont l’obligation de mettre en place des mesures favorisant l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. Suite à ces évolutions réglementaires, certaines entreprises ont créé des accords d’entreprise, quand d’autres se sont contentées d’ajouter un article spécifique sur le sujet. Nous en sommes encore aux prémices car nombreuses sont les entreprises qui se cantonnent à la seule obligation légale.
En 2008, l’étude Universum démontrait, pourtant, que l’articulation des temps de vie est considérée comme un critère essentiel pour 60 % des jeunes professionnels. Pourquoi les entreprises sont-elles si peu innovantes sur le sujet ?
Certains dirigeants sont au fait de cette question et ont bien intégré qu’il est, désormais, fondamental de se préoccuper de la santé psychologique au travail. La plupart reste, néanmoins, très sceptiques excepté lorsque les experts évoquent le retour sur investissement que peut apporter la mise en place de mesures relatives à l’articulation des temps de vie. Selon les résultats d’une enquête réalisée en Suisse en 2005, il semblerait que les entreprises qui ont mis en place un programme portant sur la parentalité aient eu un ROI de près de 8 %.
Plus concrètement, comment cela se traduit dans la vie de l’entreprise ?
Il y a une diminution significative de l’absentéisme, un turn-over moins important, une baisse des arrêts maladie sans oublier une amélioration de la pertinence des recrutements et la fidélisation des salariés en interne.
En février dernier vous avez publié une étude baptisée, « Articulation des temps de vie des entreprises, panorama dans le secteur du conseil ». Pourquoi avoir choisi de porter votre attention sur le secteur du Conseil ?
Dans le Conseil, le rythme de travail est très soutenu pour ne pas dire davantage. Les consultants en stratégie sont amenés à travailler entre 60 et 70 heures par semaine. De plus, ce secteur d’activité est confronté à un turn-over important qui oscille entre 15 et 30 %. Cela impacte non seulement la performance de ces cabinets mais oblige également les RH à évoluer dans un environnement sous tension. Ce secteur d’activité se prêtait donc parfaitement à une étude analysant la qualité de vie de travail. Au cours de mon enquête, j’ai été amenée à rencontrer une dizaine de DRH issus des dix principaux cabinets de Conseil parmi lesquels : Accenture, AT Kearney, BPI, Deloitte ou encore Ernst & Young. Nul besoin de préciser que l’ensemble des DRH sont très à l’écoute de ces questions, comme en témoigne la mise en place de politiques proactives sur l’articulation des temps de vie.
Y a-t-il une méthodologie particulière à suivre avant de mettre en place des mesures sur l’articulation des temps de vie au sein de l’entreprise ?
Les RH et la direction doivent conduire une réflexion en amont sur la culture de l’organisation. Il convient, en effet, d’identifier si l’entreprise est plus attachée à la valeur travail ou si elle donne, à l’inverse une préférence particulière à la vie familiale de ses collaborateurs. Certaines organisations ont une véritable culture du présentéisme et d’autres se montrent clairement hostiles à la prise en compte de la vie du salarié en dehors de l’organisation.
Vient, ensuite, le moment où il faut identifier les attentes des salariés. Pour cela, il est nécessaire de conduire une réflexion sur les profils psycho-sociologiques qui structurent les ressources humaines de l’entreprise. S’agit-il d’une population plutôt seniors ou de jeunes actifs ? Autant de questions qui permettront aux managers et aux RH de communiquer de manière cohérente autour de la politique engagée par l’organisation et ce, lors de conférences et autres réunions de sensibilisation.
A noter qu’il est de bon ton d’utiliser le témoignage des salariés afin de démontrer que les résultats sont bel et bien ancrés dans une réalité. Enfin pour toujours inscrire ces politiques dans la pérennité de la vie de l’organisation, il convient de toujours réévaluer la culture de l’entreprise afin de toujours faire preuve d’innovation sur ces questions qui seront de plus en plus, étroitement liées à la performance des organisations. Tout l’enjeu de ces mesures réside dans la capacité qu’elles auront à retenir les talents, mais aussi à attirer les jeunes diplômés qui placent désormais, le bien-être au travail et l’articulation des temps de vie dans le Top 3 de leurs critères de choix d’une entreprise.
Quelles sont les principales mesures qui permettent de faire évoluer la qualité de vie au travail ?
Chez Deloitte, le service RH a mis en place un « Parcours choisi » afin d’instaurer une gestion individualisée des carrière pour les consultants et les auditeurs qui ont plus de trois ans d’expérience. Dans le cadre de ce parcours, les collaborateurs peuvent demander à leurs managers et aux RH d’agir sur quatre types de leviers : la prise de responsabilité, le temps de travail, la fréquence des déplacements et la flexibilité des horaires. En actionnant ces leviers, les consultants peuvent accélérer leur carrière ou au contraire modérer la progression de cette dernière afin de s’investir dans des activités extérieures à la vie de l’entreprise.
Certains cabinets ont, par ailleurs, instauré une Charte sur le management responsable afin de faire évoluer les comportements au sein de l’environnement de travail. En effet, lorsqu’un manager doit « staffer » les consultants sur certaines missions particulièrement si elles se déroulent à l’international, il se doit de prendre en considération la situation familiale de leurs collaborateurs.
Enfin, parmi les mesures significatives, citons notamment celle qui a remporté le 8 novembre dernier, le Trophée de la Parentalité. Le cabinet Ernst & Young travaille en étroite collaboration avec le pédiatre Jacqueline Salomon qui vient régulièrement rencontrer les futurs parents avec lesquels, elle s’entretient. Cette mesure vise à faire remonter les attentes des collaborateurs auprès de la direction qui dispose, ainsi, d’une vision globale des besoins des consultants. Une réflexion peut, par la suite, être conduite en vue de mettre en place des mesures visant à améliorer la qualité de vie au travail des salariés.
Selon vous, l’articulation des temps de vie passe-t-elle par une remise en question des managers et des RH ?
Sans aucun doute dans la mesure où cette réflexion s’inscrit plus globalement dans la politique RSE de l’entreprise. Mais ils ne sont pas les seuls à apporter leur pierre à l’édifice. Les partenaires sociaux ont, eux aussi, un rôle à jouer particulièrement dans la négociation des accords d’entreprise. Fédérer tous les acteurs de l’organisation aura nécessairement pour conséquence de faire bouger les choses plus rapidement et le temps presse.
Etude : Articulation des temps de vie en entreprise – Panorama dans le secteur du conseil
Emilie Vidaud