Les pratiques d'articulation travail-famille au sein de la Gestion des Ressources Humaines ne sont pas une nouvelle pratique. En effet, les pratiques paternalistes sont un exemple bien connu. L'exemple de l'entreprise Bata[1] illustre le concept de paternalisme poussé à l’extrême : "les salariés Bata se voient ainsi proposés des hébergements et des loisirs de qualité, des produits de consommation à bas prix sans parler des salaires plus élevés qu’ailleurs. Tout est donc fait pour que les salariés trouvent tout ce dont ils ont besoin sur place et n’aient pas à quitter Bataville."[…] " Toute une infrastructure sociale paternaliste se développe avec la création de nombreuses associations ou clubs sportifs, des équipements collectifs […]." [2]
Pourquoi actuellement les entreprises en France ont un rôle assez limité concernant les politiques d'articulation travail-famille ?
Selon Ariane OLLIER-MALATERRE[3], les différences de régime d'Etat-providence, les congés payés, les congés parentaux, la semaine de 35 heures n'expliquent pas tout. Les acteurs impliqués dans ces projets sont différents selon les pays. Aux Etats-Unis et au Royaume Uni, la DRH est sollicitée alors qu'en France, le CE, le CHSCT, la Médecine du Travail sont aussi impliqués dans les programmes d'articulation vie professionnelle – vie familiale. D'après Ariane OLLIER MALATERRE, après avoir mené une étude en France avec 44 personnes de profil différent (DRH, partenaires sociaux, salariés et prestataires de service), elle a pu dégager 5 facteurs[4] qui expliquent la moindre adoption de pratiques en France :
- la moindre légitimité des employeurs dans la sphère privée, par rapport à l'Etat providence. Les salariés français font appel aux services publics et la loi plus que vers leur employeur. Les employeurs ont une attitude prudente par rapport à ces questions car ils ne veulent pas être accusés d'être trop intrusif ou paternaliste.
- Le climat social inhibant notamment la faible tradition de négociation collective, les freins structurels au dialogue social et un relatif désintérêt des syndicats français pour cet enjeu, qui leur paraît plus anecdotique que, par exemple, la négociation du salaire ou du temps de travail,
- Le cadre législatif lourd (la gestion des congés et des 35 heures) qui prennent du temps et de l'énergie des Responsables de Ressources Humaines.
- Le manque d'expertise des Ressources Humaines en interne comme en externe car il y a très peu de recherches et de prestataires spécialisés.
- La faible contribution perçue des pratiques à la stratégie et à l'image de l'entreprise. Les dirigeants et les DRH en font une interprétation plus sociale qu'économique : il s'agit de bénéfices sociaux, d'égalité professionnelle hommes-femmes, de Responsabilité Sociale des Entreprises et non de compétitivité.
D'après les résultats d'A. OLLIER MALATERRE concernant l'attitude des entreprises françaises face aux problématiques d'articulation vie professionnelle – vie familiale, ces pratiques pourront se développer plus dans les entreprises si la contribution économique est démontrée et notamment :
- si l'entreprise est dans une guerre des talents (question stratégique)
- si la structure est une grande entreprise exposée à l'international et donc sensible à l'image et s'adressent plutôt aux cadres et aux salariés qualifiés.
L'articulation travail–famille est-elle vraiment l'affaire de l'employeur ?
L'action des entreprises en matière d'articulation entre travail et famille est réglementée notamment par des règles comme la législation du travail, les conventions collectives, les accords, etc…En France, les salariés bénéficient de nombreux congés définis par le code du travail : congés de maternité, de paternité, parentaux, pour soigner un enfant malade ou un proche, etc… Le dispositif légal a été complété au fur et à mesure des accords figurant dans les conventions collectives de branche voire dans le secteur de la fonction publique.
En France, l'employeur, par le biais de son service des Ressources Humaines, organise le temps de travail et les congés tandis que les représentants du personnels interviennent plus sur le volet financier ou offres de services définis au sein du Comité d'Entreprise[5].
En France, un groupe de travail "Familles et entreprises" a été créé à l'occasion de la préparation de la conférence de la famille en 2003. Le rapport issu de cette conférence préconise des mesures concernant l'articulation vie professionnelle – vie familiale et met en avant trois objectifs pour les entreprises vis-à-vis des salariés parents : "profiter aux familles", "bénéficier à l'économie" et "répondre aux besoins des entreprises". Cette conférence propose que l'Etat impulse une dynamique vis-à-vis des entreprises par le biais d'un cadre juridique et fiscal incitatif (ex : crédit d'impôt familles, chèques famille). Un plan d'action est issu de cette conférence de la famille en dix huit points. Nous pouvons retenir entre autres comme mesures : " le soutien aux entreprises qui cherchent à intégrer les impératifs familiaux dans la gestion des horaires de travail, l'aide aux parents dans la gestion des imprévus familiaux ou professionnels, l'incitation au maintien de l'employabilité du parent pendant la durée du congé parental, le développement des projets de crèches interentreprises à proximité du lieu de travail, la possibilité pour les entreprises de réserver des places en crèches par l'intermédiaire de financements croisés public/privés."[6]
D'après A. EYDOUX et al.[7], "si les employeurs, à l'origine du développement des œuvres sociales (incluant le logement, la restauration, le transport, parfois les vacances ou l'éducation des enfants des salariés), ont laissé place à une intervention qui relève d'autres acteurs, ils affirment aujourd'hui avoir un rôle à jouer."
Karen Demaison
[1] L’entreprise Bata s’implante en France en octobre 1931, sur le domaine d’Hellocourt, au sud du département de la Moselle, loin de toute agglomération.
[2] A. GATTI, (2003), " BATA, une expérience économique et sociale exceptionnelle", Revue internationale des relations de travail, vol. 1, n° 4, p. 125-137.
[3] A. OLLIER MALATERRE a soutenu une thèse concernant le sujet "Gérer le hors travail ? – Pertinence et efficacité des pratiques d'harmonisation travail –hors travail aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en France", Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, 20 octobre 2007
[4] Les 5 facteurs d'explication sont issus de la thèse citée ci-dessus d'Ariane OLLIER MALATERRE
[5] Cette instance est liée à la taille de l'entreprise : lorsque la structure atteint 50 salariés et plus, le chef d'entreprise est tenu d'organiser la mise en place d'un Comité d'Entreprise ou CE.
[6] M. CLEMENT, A. STRASSER, P. MIDY, (2003), Conférence de la famille 2003 : rapport du groupe de travail "Familles et entreprises", Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, La Documentation Française
[7] A. EYDOUX, B. GOMEL, M.T LETABLIER (2009), "Les salariés ont-ils un employeur family friendly ?" in A PAILHE, A SOLAZ (2009), Entre famille et travail – Des arrangements de couples aux pratiques des employeurs, INED, La découverte (avril)