C’est en direct de Thaïlande qu’Audrey Depeige, primée par le jury de l’ANDRH pour son mémoire sur le lien affectif entre les salariés et la hiérarchie, raconte ses premiers pas dans les RH. A 25 ans et diplômée, elle a saisi une opportunité dès la sortie de son stage : le volontariat international en Entreprise. La jeune chargée de projets RH y découvre une autre culture du travail, une autre façon de vivre et de penser l’engagement des salariés envers leur management.
L’ethnologue des RH
Dans le monde RH d’Audrey Depeige, chargée de projets chez Essilor, il y a de la psychologie, et même de l’ethnologie. Tel le scientifique, elle observe les hommes, leur organisation, leur rapport au management, leur culture du travail, leur langage. La seule chose qu’elle n’étudie pas encore, c’est la langue, le Thaï. Mais, installée depuis janvier dernier seulement, cela fait partie de ses projets. Dans son mémoire, elle était plus proche de la psychologie sociale, son domaine avant d’entrer en Master RH à Paris Dauphine. Elle y parle « de l’engagement affectif du salarié envers son supérieur hiérarchique » et base ses recherches sur l’observation d’une population très vaste : européenne, asiatique et américaine. « Essilor compte plus de 35 000 salariés dans le monde, répartis au tiers dans chacune des zones », rappelle la lauréate. Un vaste terrain d’étude, « mais pas de grosses différences, dit-elle, si ce n’est sur le sujet de l’équité ». Elle remarque que l’engagement envers le supérieur hiérarchique est plus fort aux Etats-Unis et en Asie qu’en Europe.
« Ici, en Thaïlande, l’ambiance au travail et l’appartenance à l’entreprise sont plus importantes que la réalisation ou l’achèvement personnel », constate Audrey Depeige. L’inverse de ce qui se passe en Europe, selon elle. En France, on se pose justement de plus en plus la question du bien-être et de l’engagement des salariés. Comment le susciter ? « C’est une question de communication et de confiance, de transparence et d’écoute, répond la jeune spécialiste. Il faut communiquer sur les processus de l’entreprise, qui ne sont pas toujours connus des salariés. L’incompréhension génère l’insatisfaction ». Et d’ajouter : « Cela passe aussi par la proximité du manager avec ses équipes. Il doit aller au-delà de la discussion formelle, ne pas se contenter de l’entretien annuel ».
Dans cette autre partie du monde, où elle s’est engagée dans le cadre d’un V.I.E., l’ex-étudiante de Créteil découvre un autre versant de cet engagement, celui de l’entreprise envers le salarié. Si la culture du travail y est différente, c’est parce que le contexte l’est aussi. « En Asie, le marché de l’emploi est très compétitif. Les offres ne manquent pas et l’entreprise doit entendre les attentes des salariés. On travaille beaucoup sur la dimension marketing », raconte-t-elle, convaincue de par son expérience hexagonale, déjà chez Essilor, que la tendance est inversée en France. « Le marché y est plus tendu et les candidats sont moins exigeants », compare-t-elle.
Le management « à la thaïlandaise »
Dans son mémoire, Audrey Depeige démontre que le manager a besoin « d’avoir une autorité et une marge suffisantes pour réussir dans sa mission et remporter l’adhésion des salariés ». D’observatrice, elle devient aujourd’hui actrice, qui plus est dans un pays « où la culture du management est différente ». Sa mission consiste à développer des projets RH, et notamment la formation et les outils de suivi de la formation « sur l’ensemble de l’Asie : en Thaïlande mais aussi aux Philippines, en Inde et en Chine », explique-t-elle. Car l’autre difficulté réside dans la multi-nationalité de son entreprise. Si certaines formations touchent aux outils en eux-mêmes, beaucoup concernent le comportemental, l’accompagnement des populations cadres, souvent expatriées. « On essaie de mettre en place des groupes mixtes, thaïs et expatriés français réunis », précise la chargée de projets. A noter que l’entreprise peut mettre en avant sa politique de formation grâce au bilan social individuel.
Si les formations touchent au leadership, elles approchent aussi la différence culturelle. « En France, par exemple, sans être directif, le manager est direct. En Asie, le retour critique direct n’est pas possible. Un collaborateur qui perd la face ne va pas hésiter à démissionner », raconte l’exploratrice des RH à la thaïlandaise. En réunion, le comportement n’est pas le même non plus. « En France, on a l’habitude de s’adresser à une personne, de lui demander son avis, si elle a compris. En Thaïlande, cela mettrait la personne très mal à l’aise », poursuit-elle.
Quelques premières réflexions qu’Audrey Depeige aura tout loisir d’approfondir d’ici la fin de son V.I.E., en juin de l’année prochaine.
Typhanie BOUJU