La discrimination capillaire au travail, en voilà un sujet qui semble tirer par les cheveux. Pourtant, c’est une réalité avec des implications juridiques importantes.
Le 28 mars dernier, l’Assemblée Nationale a voté une proposition de loi visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire. Ce texte a été transmis au Sénat ce même 28 mars 2024. La suite ? Une promulgation de la loi après une saisine éventuelle du Conseil constitutionnel.
Mais quelles seraient les conséquences d’une telle loi ? Pourquoi la discrimination capillaire se trouve-t-elle au cœur des discussions sur l’équité et l’inclusion au travail ?
Cet article explore les implications de cette nouvelle législation et les raisons pour lesquelles elle risque de devenir un sujet important tant pour les collaborateurs que pour les services RH.
Plongez dans cette analyse pour comprendre comment un simple cheveu peut tisser des questions complexes de droits, d’identité et de QVCT (1) dans nos lieux de travail.
La discrimination capillaire au travail, un phénomène courant
Loin de cibler uniquement des collaborateurs anonymes, la discrimination capillaire touche également des personnalités publiques dans l’exercice de leurs fonctions.
Si Eve Gilles, Miss France 2024, a subi un harcèlement lié à ses cheveux courts, elle est loin d’être la seule. Audrey Pulvar, Stéfi Celma, ou Sibeth Ndiaye (2) alors porte-parole du gouvernement ne sont que les exemples les plus médiatisés.
Quelques chiffres sur la discrimination capillaire
Bien que le sujet semble léger, c’est pourtant en raison de leur coiffure que ces personnalités ont été discriminées.
La discrimination capillaire est un traitement inégal basé sur la coiffure ou le type de cheveux. Elle cible fréquemment les individus qui ont des cheveux naturellement bouclés, crépus ou qui arborent des coiffures spécifiques – telles que les locks, les tresses et les twists.
Si les collaborateurs afros-descendants seraient les plus touchés, les chauves, les roux et les collaboratrices blondes ne seraient pas non plus épargnés.
En 1999, en Allemagne, une étude menée par le centre de recherche sur la santé TNS-EMNID était parvenue à la conclusion suivante : être chauve pourrait diminuer les chances de trouver un emploi. L’envoi de 588 candidatures avec des photos informatiquement modifiées avait mis en évidence les résultats suivants : 41 % des candidats “chevelus” retenus, contre 27 % des candidats avec calvitie.
En 2009, en Grande-Bretagne, une étude a montré qu’une femme blonde sur trois se teignait les cheveux en brun pour « avoir l’air plus intelligente » au travail. L’objectif ? Échapper aux moqueries ou préjugés associant leur couleur de cheveux à des compétences cognitives limitées.
En 2019, en France, le Défenseur des droits compte l’apparence physique – dont la coiffure – comme l’un des critères de discrimination professionnelle les plus fréquents depuis une vingtaine d’années.
En 2023, une étude menée aux Etats-Unis par LinkedIn et la marque Dove a révélé que les cheveux des femmes afro-descendantes étaient 2,5 fois plus susceptibles d’être perçus comme non professionnels.
Ces chiffres montrent que nos coiffures peuvent donc influencer nos opportunités d’emploi et notre progression professionnelle.
Que dit la loi (en termes de discrimination) ?
La loi française condamne déjà la discrimination au travail. L’apparence physique est d’ailleurs l’un des 25 critères jugés discriminatoires.
L’Article L. 1132-1 du Code du travail précise effectivement qu’ “Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.”
L’Article 225-1 du Code pénal liste également l’apparence physique comme un motif de discrimination.
Les cheveux (et/ou la coupe de cheveux) faisant partie intégrante de l’apparence physique d’un collaborateur ou d’une collaboratrice, sont donc déjà considérés comme protégés par cette disposition contre la discrimination.
Évidemment, il existe des restrictions liées à la chevelure et/ou la pilosité au travail qui ne sont pas liées à des discriminations professionnelles : selon l’emploi occupé, les mesures d’hygiène et de sécurité, l’expression religieuse ou l’image de marque. |
Pourquoi adopter une loi spécifique aux cheveux ?
En réalité, il ne s’agit pas d’ajouter un motif discriminatoire à la liste déjà dressée, mais d’étendre le critère de discrimination déjà existant à celui de la chevelure.
L’importance de préciser un critère existant
Comme c’est précisément la coupe de cheveux qui est visée, la proposition de loi faite par l’Assemblée Nationale a donc pour objectif de préciser ce critère dans la loi existante.
Les témoignages récoltés sur le sujet confirment d’ailleurs ce ciblage sur la coupe de cheveux en particulier.
Le témoignage de Kenza Bel Kenadi, militante et créatrice de contenus sur Instagram, a par exemple été repris par plusieurs médias : »Soit tu rentres chez toi changer de coupe, soit tu ne viens pas travailler » lui aurait ordonné l’un de ses directeurs de l’époque en faisant référence à ses cheveux naturellement frisés.
Préciser le critère de la chevelure comme étant un motif de discrimination permettrait donc de clarifier les ambiguïtés et d’assurer une protection plus explicite et ciblée pour les personnes affectées par ce type de discrimination.
Cela aiderait à sensibiliser davantage les employeurs, les recruteurs et le grand public sur l’importance de l’inclusivité et du respect de la diversité capillaire dans les environnements professionnels.
En mettant en lumière cette spécificité, la loi encouragerait une meilleure reconnaissance des préjudices liés à la chevelure, souvent sous-estimés ou négligés dans les discussions sur la discrimination au travail.
En plus de l’objecif annoncé qui est celui de lutter contre la discrimination au travail, la proposition de loi évoque également “une problématique de santé publique”. Ceci dans la mesure où les collaboratrices qui se voient interdire le port de leurs cheveux naturels au travail sont souvent contraintes de les transformer au moyen de produits chimiques, entraînant ainsi un surrisque de cancer de l’utérus et des problèmes rénaux liés aux produits lissants.
Le lien entre discrimination et QVCT
Le lien entre Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) et productivité a été établi à plusieurs reprises, et la QVCT est sans aucun doute l’un des domaines RH qui vaut la peine d’être développé.
Or, des conditions de travail dégradées peuvent – à l’inverse – impacter négativement l’efficacité des collaborateurs.
La discrimination capillaire, en affectant la manière dont un individu est perçu et traité au travail, peut sérieusement nuire à cette qualité de vie. En se sentant jugés ou marginalisés à cause de leur apparence capillaire, les collaborateurs peuvent ressentir une baisse de l’estime d’eux-mêmes, du stress accru, une perte de confiance en la hiérarchie et une démotivation qui compromet leur implication et leur efficacité au travail.
L’adoption d’une proposition de loi spécifique à la discrimination capillaire pourrait ainsi jouer un rôle préventif et éducatif, contribuant à créer un milieu de travail plus inclusif et respectueux. Elle favoriserait un environnement où tous les collaborateurs peuvent se sentir valorisés et respectés, indépendamment de leur apparence, ce qui est fondamental pour la promotion d’une réelle QVCT.
(1) Qualité de Vie au Travail
(2) moquées et/ou harcelées à propos de leurs coiffures afro