Ce matin de novembre 2022, je reçois le coup de fil d’une directrice d’une crèche avec laquelle je travaille. Paniquée et au bord des larmes, elle me demande d’intervenir le plus tôt possible au sein de la crèche car une auxiliaire de puéricultrice a essayé la veille de mettre fin à ses jours pendant son service.
Elle m’explique qu’elle trouvait que sa collaboratrice n’allait pas très bien depuis quelques jours mais elle était loin d’imaginer que son mal-être était aussi important. Ensuite elle me relate le déroulement du passage à l’acte de sa collaboratrice : « Elle a pris son service à l’ouverture de la crèche, la matinée s’est normalement déroulée jusqu’à ce que vienne une altercation avec sa collègue au sujet d’un enfant. Elle quitte brutalement la pièce en disant à ses collègues : « je n’en peux plus de travailler dans de telles conditions… ». Et quelques minutes après, elle revient avec une plaquette de médicaments, qu’elle avale devant ses collègues et les enfants de la crèche ».
La salariée en question a été immédiatement prise en charge par les pompiers qui l’ont emmenée directement aux urgences.
La tentative de suicide ou le suicide au travail ne sont pas à minimiser car ils ont une portée symbolique …
Lors de notre échange, la directrice de la crèche tenait à me préciser que sa collaboratrice avait des soucis au niveau personnel. Sans doute ! A l’énigme du geste suicidaire sont toujours associés des processus d’attribution causale, ceux-ci sont explorer dans le milieu du travail, dans la vie extraprofessionnelle, dans d’éventuelles pathologies préexistantes
Mourir par amour, peut-être… mais mourir par le travail, c’est questionnant…
Comment alors interpréter le lien entre suicide et travail ? La complexité de la question paraît s’atténuer quand le suicide est réalisé sur le lieu même du travail, ou à proximité. La portée symbolique du choix de cette scène peut nécessairement conduire à l’interpréter comme un message désignant par-là l’origine de la souffrance donc il est important que l’employeur et le manager se questionnent sur les facteurs pathogènes au niveau de l’organisation et des conditions de travail qui potentiellement ont conduit la salariée à commettre un tel geste.
L’utilisation, en autres, de l’arbre des causes mis en place par l’institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) s’avère pertinent car c’est une méthode d’investigation structurée qui permet de mettre en exergue les faits qui ont concouru à la survenue au travail de l’événement grave et/ou de l’accident. Elle permet également de mettre en lumière les facteurs techniques, les facteurs managériaux et organisationnels ainsi que les attentes au travail du salarié concerné.
Après un tel événement, l’accompagnement des équipes en collectif et en individuel est vital…
Un suicide ou une tentative de suicide au travail, c’est un séisme dans l’entreprise.
Dans cette crèche, il n’était pas possible de mettre en place dans les heures qui ont suivi l’incident les actions de « postvention », dans la mesure où il a fallu poursuivre l’accueil des jeunes enfants.
En effet, il fortement recommandé que les actions de postvention soient mises en œuvre dans les 24 à 72 heures après l’évènement traumatique afin d’éviter les conséquences psychologiques et le traumatisme dans l’entourage professionnel du salarié concerné.
Dans cette situation, il m’a semblé pertinent dans un premier temps de mettre en place une cellule de crise composée de la directrice, du DRH de la structure mère de la crèche et de moi-même afin notamment d’évaluer « à chaud » la situation et de définir la conduite à tenir les prochains jours.
Dans un second temps, un appui psychologique a été proposé aux salariés pour éviter la souffrance voire l’apparition des troubles du stress post-traumatique.
Un débriefing collectif a été mis en place afin que chacun puisse se libérer, s’exprimer et mettre des mots sur ce qui les traverse, et apaiser leur détresse. Par la suite un accompagnement individuel a été proposé aux salariés qui souhaitaient disposer d’un suivi psychologique afin de les stabiliser, les sécuriser et de prévenir l’apparition à moyen et à long termes de troubles psychologiques (troubles dépressifs, troubles alimentaires, troubles du sommeil, etc.).
Enfin, une prise de contact avec le conjoint de la salariée a été initiée afin de ressentir le vécu de la famille face à cet événement et de lui signifier que l’entreprise n’est pas insensible à l’impact causé par cette tentative de suicide au travail.
L’élaboration d’une procédure de postvention dans toute entreprise est fortement recommandée…
Parler d’accident au travail est tabou et encore moins quand il s’agit de suicide au travail or toute entreprise peut être potentiellement confrontée à vivre un événement grave.
Les managers et les RH doivent être sensibilisés et formés pour pouvoir agir en cas de suicide ou d’événement traumatique grave. Il est par ailleurs conseillé de se doter d’une procédure déclinant la conduite à tenir et les actions de postvention à mettre en place afin que lorsqu’un tel événement se produise, les managers et RH ne se trouvent pas désemparés. Comme on dit, la peur n’évite pas le danger.