Sur les conseils de son médecin généraliste, Ismail me sollicite par téléphone pour que je le reçoive en urgence car il se dit épuisé mentalement et physiquement. Quand je le reçois à mon cabinet, je me retrouve face à un patient qui me parait exténué et qui au bout de quelques minutes d’échanges fond en larmes.
Agé d’une trentaine d’années, mon jeune patient est un ingénieur en aéronautique, et a fini ses études il y a cinq ans. Après une première expérience professionnelle de plusieurs années dans un cabinet de conseil en ingénierie, Ismail a déménagé dans le Doubs il y a un an pour un poste d’ingénieur qualité dans une entreprise d’horlogerie.
Il me dit qu’il avait eu préalablement quelques propositions de poste mais il a préféré opter le poste qu’il occupe actuellement car il trouvait intéressant le descriptif du poste (sur l’annonce et tel qu’il a été présenté par le directeur de site) et il voulait découvrir le secteur horloger.
Il est confronté à un grand décalage entre le travail prescrit et le réel du travail…
« Quelques semaines après ma prise de fonctions, je me suis vite rendu compte que les tâches qui m’ont été confiées n’étaient pas celles qui m’ont été vendues par mon directeur ».
Analyser la situation de travail d’un salarié nécessite de décrire le travail prescrit (la fiche de poste / la fiche de fonction / les procédures) et le travail réel (ce que réalise « réellement » le travailleur) afin de mesure l’ampleur des écarts. Et les écarts, il y en a toujours et c’est ce qui permet aux salariés de disposer d’une marge de manœuvre dans la réalisation de leur travail, néanmoins quand le décalage est trop important cela risque d’être source de difficulté voire de souffrance pour le salarié.
Dans le cas d’Ismail l’écart entre le travail prescrit et le réel du travail est trop conséquent, et c’est une des raisons de sa souffrance au travail. En effet, ce dernier se voit confier des tâches très basiques et répétitives pouvant être réalisées selon lui par un salarié moins qualifié que lui.
Son travail ne le stimule pas intellectuellement et il a du mal à donner et à trouver du sens aux tâches qu’il réalise et ce manque de sens l’affecte psychologiquement car il se sent dévalorisé et perd confiance en lui.
Le travail est constructeur de notre identité car il interroge le « qui suis-je » et via notre travail, chacun de nous est en quête d’une reconnaissance symbolique qui repose notamment sur le sentiment d’être utile pour son entreprise ou pour la société de manière générale.
Ismail se questionne aujourd’hui sur ce qu’il est et ce qu’il vaut professionnellement car il ne sent pas très utile et n’apporte pas de plus-value à son entreprise. Et ce n’est guère étonnant dans la mesure où il réalise un travail qui est sous-qualifié eu égard à ses compétences techniques et ses expériences. Ses questionnements le minent et le poursuivent jusqu’à son sommeil qui s’est trouvé perturbé ces derniers temps d’où son épuisement et son manque de concentration.
Il a un emploi mais il a très peu de travail…
« Je commence à 9h le matin et vers 14h grand max, j’ai fini mon travail. Je dois me battre auprès de mon responsable pour qu’il me donne un peu de travail et quand il ne m’en donne pas, je vais sur internet pour m’informer et me former…mais c’est difficile de tuer le temps ».
Ismail a certes un emploi mais il lui manque du travail et ce n’est pas faute d’avoir signalé auprès de son directeur cette situation qui selon lui dure depuis plusieurs mois.
Ismail semble souffrir d’un épuisement professionnel par l’ennui ou le « bore-out » car passer ses journées au travail à tuer le temps est fatiguant psychiquement car l’attente d’un travail qui n’arrive pas conduit à une souffrance émotionnelle et à une honte sociale.
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Ismail a en effet du mal à avouer à ses collègues qu’il souffre de l’ennui au travail, aussi, il essaie de faire semblant de s’activer pour faire croire aux autres qu’il travaille et cet activisme sans objectif et but précis le fatigue nerveusement et physiquement d’où sa fatigue chronique.
Le bore-out est un phénomène à ne pas prendre à la légère car il des répercussions pour la santé des salariés et pour l’entreprise…
« De quoi se plaint-il ? Il est payé à ne rien faire… », diront certains. Le cas d’Ismail témoigne une fois de plus que l’ennui au travail peut être autant pathogène pour la santé mentale que la surcharge de travail. Le bore-out a des répercussions sur la santé du salarié : insomnie, perte d’appétit, déprime (voire dépression), irritabilité. Et pour l’entreprise l’une des conséquences est l’absentéisme répété des salariés concernés voire leur démission affectant ainsi son organisation et pouvant à long terme porter atteinte à la marque employeur de l’entreprise.
De ce fait, il semble important que les managers et/ou les ressources humaines fassent régulièrement une analyse fine de l’activité de chaque salarié en évaluant le contenu des tâches réelles et la charge de travail.
Diane Rakotonanahary
Psychologue du travail & Coach professionnelle