Les logiciels de recrutement pointés du doigt par une récente étude publiée par la Harvard Business School et menée en partenariat avec Accenture, qui met en lumière le phénomène des “travailleurs cachés”, ou “hidden workers”.
Alors que de nombreuses entreprises peinent à recruter, mettant par là en péril leur perspective de croissance et leur compétitivité, une masse grandissante de candidats est (ex)filtrée par les logiciels de recrutement. Ces candidats passent sous les radars des logiciels de recrutement et demeurent invisibles des recruteurs. C’est la constatation principale de cette étude conduite aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne auprès de 8 000 demandeurs d’emploi et 2 250 dirigeants.
Des filtres trop rigides incapables de prendre en compte les cas particuliers
Au départ, une question simple : comment se fait-il que des milliers d’entreprises déplorent la difficulté à recruter de nouveaux talents tandis que des millions de candidats restent sur le carreau, pas même convoqués en entretien par les entreprises où ils postulent ?
Pour expliquer ce paradoxe, l’étude met en cause les logiciels de recrutement automatisés. Utilisés par 75% des employeurs américains et 99% des plus grandes entreprises, ils reposent sur un filtrage censé départager les bons des mauvais candidats. Or, les filtres utilisés sont souvent trop simplistes et rigides et mettent automatiquement de côté des candidats pourtant aptes.
C’est pourquoi les auteurs de l’étude jugent « défaillant » ce système de recrutement. 27 millions de CVs seraient automatiquement rejetés par ces logiciels aux Etats-Unis, avec une proportion équivalente au Royaume-Uni et en Allemagne.
Ces “travailleurs cachés”, car non visibles par les recruteurs, constituent un ensemble hétérogène que les auteurs de l’étude subdivisent en trois groupes :
- Ceux qui restent “coincés” dans des emplois à temps partiels
- Les chômeurs de longue durée
- La population qui nécessite des aménagements mais qui pourrait travailler (réfugiés, immigrés, handicapés physiques et/ou mentaux, problèmes de santé, aidants, passé carcéral, etc.)
Les filtres intègrent souvent des critères négatifs et écartent les demandeurs d’emploi ne rentrant pas dans les cases en termes de diplôme, d’expérience, d’historique personnel et professionnel. Ainsi, une surabondance de candidatures, qui auraient pourtant les compétences, est automatiquement refusée sans motif valable.
L’historique professionnel est le critère excluant le plus rencontré : les candidats qui présentent des “trous” dans leur CV sont automatiquement rejetés par de nombreux systèmes. Mais on trouve des filtres plus stupéfiants. Tel cet hôpital américain qui refusait les candidats dépourvus d’expérience en programmation informatique sur leur CV, car le poste impliquait de saisir des données dans l’ordinateur de service ! Ou encore ce poste de vendeur qui refusait systématiquement les CV ne mentionnant pas “laver le sol” parmi les compétences, alors même que le candidat disposait de toutes les compétences essentielles.
Logiciels de recrutement : Vers un usage plus intelligent de l’intelligence artificielle pour une meilleure inclusion ?
Alors que ces logiciels sont censés optimiser le recrutement, ils finissent par le léser. De plus, le système se heurte à un obstacle structurel : du fait de l’évolution rapide des nouvelles technologies, de plus en plus de compétences ne peuvent être acquises qu’au travail. Ainsi, le candidat idéal est celui qui est déjà en poste ! Les chercheurs conseillent les employeurs de renoncer au “candidat parfait” et de sortir des cadres traditionnels.
Point rassurant : 94% des recruteurs se déclarent conscients de ces biais inhérents aux procédures de recrutement qui écartent des candidats potentiellement employables.
Selon l’étude, les recruteurs gagneraient à piocher dans cette immense réserve des “travailleurs cachés” : les entreprises qui font un effort d’élargissement de leur recrutement, versus celles qui conservent des filtres très restrictifs, obtiennent de meilleures performances sur six critères-clés : l’attitude au travail et le facteur éthique, la productivité, la qualité du travail, l’implication, et l’innovation.
Il s’agit alors d’explorer d’autres moyens pour ouvrir le champ des embauches. L’étude invite les employeurs à élargir les critères à l’embauche en refaçonnant le système de recrutement ainsi que l’intégration. Elle incite à l’adoption d’une approche plus inclusive et ouverte afin de lever les nombreuses barrières à l’emploi et indique quelques pistes : ré-élaborer le filtrage, repenser le descriptif du poste, limiter les listing de compétences aux compétences indispensables, s’abstenir de tout jargon et privilégier simplicité et clarté, réduire au minimum les requis académiques, utiliser une langue inclusive et non genrée.
Olivier de Vitton