Chaque mois, un DRH anonyme, issu d’un groupe du CAC 40, abat ses cartes et porte un regard critique sur son quotidien.
«Passons aux questions Sociales de l’ordre du jour. Les Elus se sont réunis en Commission Vacances » « Les Collègues en charge des propositions de locations d’été ont fait leur rapport »
« Pour mon syndicat je tiens à dire que nous n’avons pas été associés. Une fois de plus les travailleurs sont victimes des manœuvres d’appareil du Secrétariat du Ce »
« Vous ne manquez pas d’air. La Commission s’est tapé tout le boulot et vous vous voulez juste vous balader pendant que les autres travaillent »
« Une fois de plus vos pratiques antidémocratiques. Les travailleurs nous ont fait confiance et vous bafouez leur vote »
« Ils t’ont fait confiance en ne te donnant pas la majorité au Ce. C’est nous qui représentons les salariés et pas vous »
« Vous avez traficoté le scrutin. Nous étions largement en tête. En vous alliant contre nous vous avez détourné le vote des travailleurs »
« Quesque t’en sais des travailleurs, tu es délégué permanent. T’as pas mis le pieds devant un établi depuis des années »
« Et toi t’es élu grâce à la voix du patron » Effectivement aux dernières élections du Bureau du Ce le Président du Ce avait fait basculer le vote en donnant sa voix à l’actuelle direction du Ce.
Le Grand DRH, qui buvait du petit lait depuis un moment, jugea qu’il était temps d’intervenir. « Du calme je vous prie. L’ordre du jour c’est les vacances d’été. Où en êtes-vous ? »
Le secrétaire de la Commission, un élu de l’atelier électrique qui s’occupait du Social depuis plusieurs années était cramoisi de colère. Il venait de se faire allumer par son collègue de la maintenance. Deux vieux compères, 25 ans dans l’usine, ils avaient milité ensemble dans le même syndicat. Ils l’avaient quitté depuis pour en rejoindre d’autres. Pas les mêmes.
« La Commission a fait un appel d’offres. Les Elus ont dépouillé les réponses et entendu les organismes. Ils ont retenu celui qui leur semblait le mieux placé »
« Tu veux dire celui qui reverse le plus à ton syndicat. C’est une pompe à financement et on sait pour qui il roule » Un élu deuxième collège, agent de maitrise aux expéditions, n’avait pu s’empêcher de dire ce que tout le monde pensait.
« Dis donc, le tien d’organisme il est tellement indépendant qu’il a ses bureaux dans la même rue que ta Centrale »
« En tous cas nous on touche pas des royalties chaque fois que vous envoyez un travailleur en Grèce ou aux Baléares » Cette fois c’était à nouveau le délégué minoritaire.
« Oui toi tu les enverrais encore en Bulgarie ou au Paradis des Soviets sur la Mer Noire»
« Messieurs, Stop S’il vous plaît. Quelle est la proposition de l’organisme retenu ? »
L’Elu donna le détail. C’était un budget important, plusieurs dizaines de salariés partaient par les organismes de vacances du Ce dont les tarifs, grâce à l’aide du Ce, étaient intéressants. Plusieurs destinations en France au soleil, Languedoc et Littoral Atlantique, ainsi qu’en Bretagne. Plus des places dans des Clubs en Crête et en Sicile. Et le traditionnel Hôtel Club aux Baléares qui avait toujours été une destination du Ce. On l’appelait même en plaisantant la Maison du Peuple.
« Les Elus ont pris sur leur temps personnel pour visiter ces sites et sont allés les inspecter pour s’assurer de leur qualité »
Le Grand Drh crut que l’Elu minoritaire allait exploser « Honteux ! Vous voyagez aux frais de la princesse. C’est du tourisme à nos frais. C’est un scandale que nous dénoncerons »
« N’oublie surtout pas de dire que tu m’as supplié de t’emmener. Tu fais ton cirque parce que tu n’y étais pas »
« Vous êtes des profiteurs. Vous vous faites payer des vacances par les Tour Operator. Et quand vous rentrez vous repartez à nos frais »
« Dis donc dans le précédent Ce quand tu présidais la Commission tu t’es pas gêné d’aller à la Fiera de Nîmes tous frais payés et en famille » « Même pas vrai je suis allé faire une tournée d’inspection des colonies de vacances à Palavas pour voir si les enfants étaient bien installés » « J’ai les factures, elles sont à la compta. Vous y êtes allés à cinq plus les conjoints. Vous vous êtes fait rembourser des notes de bar à deux heures du matin » « Et toi le Ricard dans ton bureau, c’est qui qui le paye ? »
Il était temps que cela cesse. Le Grand Drh prit son air le plus navré pour leur demander un peu de tenue. Cahin-caha la délibération se rapprochait du vote. Une fois que chacun eut livré ses anecdotes sur les voyages, ses derniers congés ou la nourriture dans les pays exotiques, le sujet semblait épuisé. L’équilibre économique de la proposition, son coût, la concurrence, la qualité des prestations ou les conditions de transport ne furent pas évoqués. On faisait confiance au partenaire choisi par la Commission.
Il était temps de voter, l’heure du repas approchait.
Une dame de l’emballage, suppléante qui remplaçait un titulaire absent, crut néanmoins devoir s’inquiéter de l’accueil à l’Hôtel aux Baléares. Elle avait eu de mauvais échos de salariés.
« Tu m’étonnes beaucoup, j’y vais chaque année, ils sont très bien » répondit le Président de la Commission. Son adversaire crut bon de signaler que lui aussi « y allait régulièrement et en était très content » D’autres élus le confirmèrent qui étaient des habitués. Le Grand DRH n’avait pas d’avis mais fit remarquer que depuis aussi longtemps qu’il était là les élus l’avaient chaudement recommandé. La plupart comptait y retourner cet été.
« Et puis c’est bien, on y va en Congé de Formation Sociale et Syndicale. Il y a un budget à la charge de l’employeur. En calculant bien la dotation couvre le séjour pour tout le Ce. On y va tous les ans »
« Les gens de l’hôtel sont devenus des copains. D’ailleurs ils sont de gauche ».
Par Charles Déconnyncke
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