Nadine REGNIER ROUET, Avocat à la Cour, spécialisé en droit social, nous apporte son expertise et son regard sur l’actualité du droit social.
Sale temps pour les fumeurs ! Alors que l’Etat vient encore d’augmenter le prix des cigarettes, une décision de la Cour de cassation les stigmatise, par ricochet, comme une source de coûts supplémentaires inévitables pour les employeurs.
Les faits :
Nous sommes fin 2005. La Loi impose de prévoir des lieux spécifiques pour les fumeurs dans les bars et restaurants. Le barman employé par un restaurant – bar depuis plus d’un an et demi prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur pour atteinte à sa santé en raison du non respect de la Loi contre le tabagisme au sein de l’établissement où il travaille. Il saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande de requalification de sa prise d’acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le barman a pris soin de faire constater par un constat d’huissier que l’établissement ne respecte pas les dispositions du code de la santé publique sur l’interdiction de fumer dans les lieux ouverts au public.
Pour autant, la Cour d’Appel de Paris, conciliante pour l’employeur, objecte le 18 novembre 2008
(1) que le salarié ne rapporte pas la preuve que l’exposition au tabac a nui à sa santé, le taux de nicotine relevé dans son sang n’étant pas dramatiquement élevé, d’autant qu’il réside dans une agglomération par ailleurs polluée,
(2) que le médecin du travail n’a pas émis d’observations sur ses conditions de travail et
(3) que l’établissement pouvant avoir une zone fumeurs (selon les dispositions de l’époque), le salarié de par ses fonctions était nécessairement exposé à un certain degré de fumée.
Le salarié, débouté en appel, se pourvoit en cassation.
La décision de la Cour de cassation du 6 octobre 2010 (n°09-65103) :
Elle s’ouvre sur le visa des articles L. 4121-1 du code du travail et R. 3511-1 et R. 3511-2 du code de la santé publique (dans leur version alors applicable, soit obligation d’organiser des espaces destinés aux fumeurs).
Pour mémoire, l’article L. 4121-1 concerne « les obligations de l’employeur » dans la quatrième partie législative du Code du travail intitulée « santé et sécurité au travail » et prévoit :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
Vous constatez que ces dispositions, issues de règles de droit créées par la jurisprudence de la Cour de cassation, emploient le présent de l’indicatif pour conforter l’obligation dite « de résultat » qui pèse sur l’employeur : c’est donc le résultat fixé de préservation de la santé des salariés que l’employeur est tenu d’atteindre et sa responsabilité civile -voire pénale- est engagée dès lors qu’un accident ou une maladie professionnelle survient.
La Cour prononce d’abord un attendu « de principe » qui ne laisse pas augurer une issue sereine pour l’employeur :
« Attendu que l’employeur est tenu, à l’égard de son personnel, d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés. »
Puis elle écarte les motifs ayant amené les juges d’appel à débouter le salarié par un attendu lapidaire :
«En statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés notamment de constatations relatives à l’insuffisance du taux de nicotine trouvé dans le sang du salarié exposé aux fumées de cigarettes, alors qu’elle avait constaté que la société ne respectait pas les dispositions du code de la santé publique sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics concernant les salariés, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Dans la mesure où la preuve est rapportée que l’employeur n’est pas en règle avec la Loi, il est nécessairement démontré qu’il n’accomplit pas son obligation légale de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé de ses salariés.
Conclusion :
Le salarié est fondé à « prendre acte » de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, puisque l’employeur n’exécute pas ses obligations contractuelles, à savoir protéger la santé de ses salariés.
Par conséquent, la cour d’appel de renvoi devra donner à la prise d’acte du salarié les effets d’un licenciement abusif et le barman percevra une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, l’indemnité conventionnelle de licenciement prévue par la convention collective applicable et des dommages-intérêts pour licenciement abusif basés sur le préjudice qu’il démontrera, compte tenu du fait qu’il a moins de deux ans d’ancienneté. Un salarié ayant deux ans d’ancienneté aurait droit à des dommages-intérêts minimum de six mois bruts de salaires.
L’employeur sera aussi tenu de verser à Pôle Emploi, à titre de pénalité, six mois d’allocations de chômage du salarié.
Cette décision illustre l’importance de l’obligation légale de sécurité qui pèse sur l’employeur et qui inclut, en premier lieu et tout simplement, l’obligation de se conformer aux règlements de toute sorte concernant l’aménagement des lieux de travail, l’utilisation des machines, la formation à leur utilisation, ainsi que le port des équipements de protection. Sans oublier les nombreux affichages obligatoires, notamment les consignes incendie. Un premier conseil de sagesse consiste donc à attirer l’attention des employeurs sur le respect de ces règlements de sécurité puisque tout manquement peut être sanctionné et coûter cher en dommages-intérêts, même si aucun accident n’est -heureusement- à déplorer.
Nadine REGNIER ROUET
Avocat à la Cour, spécialisé en droit social
A propos de Nadine REGNIER ROUET
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