D’abord, rappelons quelques faits sur le règlements intérieur d’entreprise :
– jusqu’au 31/12/2019, l’établissement d’un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins 20 salariés (art. L.1311-2 du code du travail jusqu’au 31/12/2019),
– mais qu’à compter du 01/01/2020, l’établissement d’un règlement intérieur sera obligatoire dans les entreprises ou établissements employant au moins 50 salariés, l’obligation s’appliquant au terme d’un délai de douze mois à compter de la date à laquelle le seuil de cinquante salariés a été atteint, conformément à l’article L.2312-2 (art. L.1311-2 à partir du 01/01/2020),
– selon l’article L.1321-3 2° du code du travail, « le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
– selon l’article R.4228-20 du code du travail, « aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail. Lorsque la consommation de boissons alcoolisées, dans les conditions fixées au premier alinéa, est susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur, en application de l’article L.4121-1 du code du travail, prévoit dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d’une limitation voire d’une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché. »
Dans cet arrêt du Conseil d’Etat du 08/07/2019 n°420434, l’inspectrice du travail du Bas-Rhin avait exigé le retrait du dernier alinéa de l’article 3 du règlement intérieur d’une entreprise et de la disposition relative à la « tolérance zéro alcool » figurant dans l’annexe à ce règlement intérieur d’entreprise relative aux contrôles d’ébriété.
Saisi pour excès de pouvoir par la société, le tribunal administratif de Strasbourg avait rejeté la demande de l’entreprise d’annuler la décision de l’inspection du travail. Sur appel, la cour administrative d’appel de Nancy en fit de même.
Mais, sur pourvoi, le Conseil d’Etat a finalement donné raison à l’entreprise, selon le raisonnement suivant :
- l’employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché,
- l’employeur est tenu d’une obligation générale de prévention des risques professionnels et dont la responsabilité, y compris pénale, peut être engagée en cas d’accident,
- l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ;
- à ce titre, l’employeur peut, lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé des travailleurs, prendre des mesures, proportionnées au but recherché, limitant voire interdisant cette consommation sur le lieu de travail ;
- en cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers, l’employeur peut également interdire toute imprégnation alcoolique des salariés concernés,
- Si, lorsqu’il prévoit une telle interdiction dans le règlement intérieur de l’entreprise, l’employeur doit être en mesure d’établir que cette mesure est justifiée par la nature des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché, il n’en résulte ni que le règlement ne pourrait légalement fixer la liste des salariés concernés par référence au type de poste qu’ils occupent, ni que le règlement devrait comporter lui-même cette justification,
- par suite, pour estimer que la société n’apportait pas la preuve du caractère justifié et proportionné de l’interdiction imposée aux salariés occupant les postes mentionnés par l’annexe au règlement intérieur, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en se fondant sur la circonstance que la société s’était bornée à établir la liste de ces postes (tels que conducteurs d’engins de certains types, utilisateurs de plates-formes élévatrices, électriciens ou mécaniciens),
- de même, la cour d’appel a commis une erreur de droit en estimant que, pour établir le caractère proportionné de l’interdiction imposée aux salariés occupant les postes ainsi listés, la société ne pouvait se prévaloir du document unique d’évaluation des risques professionnels DUER, dès lors que le règlement intérieur d’entreprise n’y comportait aucune référence.
En conclusion :
– Principe général : l’employeur est tenu de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d’accident,
– En conséquence : la consommation d’alcool peut être totalement interdite par le règlement intérieur (ou l’annexe, ou à défaut la note de service), sous réserve : a/ d’une interdiction proportionnée au but recherché, b/ de la justifier (ou dans le règlement intérieur d’entreprise ou dans le DUER), c/ et de définir les salariés concernés (identifiables par les types de postes occupés).
Stéphane VACCA
Avocat au barreau de Paris
22, avenue de l’Observatoire – 75014 Paris
tél.: +33.(0)9.67.39.51.62