Ne pas mettre en péril ses salariés et conserver leurs compétences au cœur d’une entreprise qui rencontre des difficultés conjoncturelles, tel a été le leitmotiv de Corinne Margot, la DRH de Soitec, dont le principe de « mise à disposition » a été salué par la profession lors du prix Initiative RH. Rencontre.
Vous êtes lauréate du prix Initiative RH pour avoir préservé des emplois au cœur de votre entité via le principe de « mise à disposition », quelle était à l’origine la problématique de l’entreprise ?
Soitec est une entreprise industrielle internationale d’origine grenobloise spécialisée dans la génération et la production de matériaux semi-conducteurs, dits d’extrêmes performances. Elle est présente sur trois marchés : l’électronique, l’énergie solaire et l’éclairage. Or ce premier volet, qui représente l’activité historique de l’entreprise et génère encore la partie la plus importante de notre chiffre d’affaires, est aujourd’hui un marché en transition. Il a connu une baisse d’activité liée à la diminution de la demande du grand public en ordinateurs au profit des tablettes et des smartphones. A cette période, nos futures technologies nouvelle génération à destination de ces produits étaient en plein développement. Nous savions donc que si que nous allions traverser une zone de turbulence, les perspectives seraient bien meilleures à deux ans, une fois que nous aurions pénétré ce nouveau marché. Mais en attendant, il nous a été demandé de faire des économies…
Comment avez-vous fait face à cette conjoncture, en tant que DRH ?
La division électronique étant la première touchée par cette problématique, j’ai alors réfléchi à la façon dont je pourrais faire des économies sur la masse salariale, sans pour autant mettre en péril les compétences en haute technologie détenues par Soitec. De plus, ayant de la visibilité sur les perspectives stratégiques de l’entreprise, je n’avais aucun doute quant à la reprise de l’activité en termes de volumes et de chiffre d’affaires. Nous étions dans une problématique d’ordre conjoncturel, et non structurel. Atteindre nos objectifs financiers tout en conservant nos talents et nos valeurs est alors devenu un leitmotiv. La division électronique rassemblant environ 1000 personnes, nous avons donc tout mis tout en œuvre pour limiter les pertes.
Quelles actions avez-vous menées pour parvenir à ses objectifs ?
Dans un premier temps, nous avons arrêté les CDD et nous avons commencé à faire du chômage partiel sur les sites de production. Nous avons aussi beaucoup œuvré pour la mobilité interne vers d’autres divisions et proposé un plan de départ volontaire. Ensuite nous nous sommes concentrés sur deux outils principaux, avec pour priorité de n’imposer aucun licenciement. Notre premier axe de travail a été la « mise à disposition ». Dans les faits, nous avons proposé à nos salariés, sur la base du volontariat, de partir en mission vers d’autres structures dans leur bassin d’emploi recherchant des compétences équivalentes pour des besoins ponctuels. Sur le principe, ils restaient statutairement salariés de l’entreprise et revenaient à l’issue de leur mission. Un dispositif gagnant/gagnant, pour Soitec, pour l’entreprise d’accueil et pour les salariés. D’une part, nous n’avions plus leur salaire, y compris les charges, à payer puisque nous les facturions à l’Euro près à l’entreprise d’accueil. D’autre part, ils conservaient leur poste. Enfin l’entreprise d’accueil bénéficiait de compétences expérimentées, rapidement, et sans engendrer des frais relatifs à une embauche. Notre deuxième axe de travail a été d’accompagner certains de nos collaborateurs sur des formations longues et diplômantes. Nous avons par exemple proposé à des profils de type technicien d’accéder au titre d’ingénieur.
Quel a été le regard de vos salariés sur le principe de « mise à disposition » ?
La première fois que nous avons eu recours à ce type de pratique, en 2010, il nous a d’abord fallu convaincre nos partenaires sociaux et signer avec eux un accord de méthode. Je ne vous cache pas que cette démarche novatrice a suscité dans un premier temps des craintes dans l’entreprise. Et puis rapidement, la première vague de salariés qui avait choisi cette « mise à disposition » est revenue. Leur retour étant positif, ils l’ont partagé très naturellement, donnant ainsi au cœur de l’entreprise un écho favorable à cette expérience. Ils avaient pu développer leur employabilité, garder leur statut de salarié Soitec et retrouver leur poste. Aussi, lorsque nous avons lancé une deuxième proposition de « mise à disposition » en 2011-2012, nous avons immédiatement eu beaucoup d’autres candidats. A ce jour, pour nous, la conjoncture étant meilleure, nous n’avons plus qu’une dizaine de personnes en délégation dont le retour est prévu en avril 2015.
Gérald Dudouet