Le versement des salaires sur le compte bancaire d’un tiers
La demande du salarié intervenait souvent pour des raisons tenant à sa vie privée et l’employeur pouvait y répondre favorablement et ainsi autoriser le paiement sur le compte d’un tiers
La vie privée du salarié
« Le salarié me demande d’effectuer le virement de son salaire sur le compte d’un ami »
« La salariée me demande si le paiement de son salaire peut être versé sur le compte de son conjoint, elle m’en fait la demande par écrit »
« L’apprenti mineur, comme il n’a pas de compte, souhaite que le paiement de son salaire soit versé sur le compte de sa mère »
Combien de fois avez-vous accédé à la demande d’un salarié qui vous opposait une difficulté temporaire d’accès à son compte ?
Le pouvoir de direction de l’employeur
L’article L. 3241-1 du Code du travail dispose encore que concernant le paiement, le versement du salaire doit intervenir en espèces, en chèque barré ou par virement à « un compte bancaire ou postal ».
Compte tenu de la rédaction du texte, de votre volonté de ne pas mettre le salarié dans l’embarras, voire de lui venir en aide… vous n’aviez aucune raison de refuser.
La doctrine s’accordait sur la possibilité de verser les salaires sur un compte désigné par le salarié. Lorsque le compte désigné par le salarié n’était pas à son nom, la prudence voulait que l’employeur se fasse confirmer la demande par un écrit du salarié daté et signé.
En dehors de ce formalisme plutôt commun en droit social, aucune réserve n’était émise face à cette situation.
Aujourd’hui, non seulement vous avez une raison de refuser mais vous en aurez bientôt l’obligation.
L’interdiction instituée par la loi
La loi relative à l’accélération de l’égalité économique et professionnelle n°2021-1774 du 24 décembre 2021 (dite loi Rixain) a modifié la rédaction de l’article L. 3241-1 du Code du travail. Cette modification entre en vigueur à la fin du mois de décembre et, du fait d’un délai de mise en application assez long, est passée un peu inaperçue.
La nécessité d’être titulaire ou co-titulaire du compte
D’une référence simpliste au « compte », on passe à une précision protectrice du salarié.
La réforme introduit un seul changement mais de taille : le compte sur lequel est viré le salaire doit appartenir au salarié ou il doit au moins en être co-titulaire.
L’absence d’exception : ordre public
Au cas où certains avaient encore des doutes, le législateur précise que « toute convention contraire est nulle ». Il n’est donc plus possible d’y déroger par écrit du salarié.
Les motivations du législateur quant au versement du salaire
Dans les faits et à l’abri des bureaux RH, on savait ce qui justifiait de telles demandes… Des dettes et la volonté de contourner des créanciers, une précarité économique et l’absence de compte bancaire personnel ou malheureusement, parfois, la contrainte d’un conjoint ou d’un parent dominant.
Cela pouvait-il constituer un motif de refus pour l’employeur ? Pouvait-il s’immiscer dans la vie privée d’un collaborateur visiblement victime de violences ou fermer les yeux devant la demande d’un salarié endetté ?
Il faut admettre que là où l’humain peut être tenté, il était du devoir de l’employeur de ne pas franchir la frontière le séparant de la vie personnelle du salarié.
Aujourd’hui, il n’a plus à s’interroger, il a le devoir de refuser afin de remplir son obligation principale en tant qu’employeur : verser les salaires.
Il est aujourd’hui interdit à un employeur de verser le salaire sur un compte bancaire ou postal dont le salarié n’est pas titulaire ou co-titulaire.
Les critiques d’une réforme tantôt contraignante, tantôt en demi-teinte
Certains ont décrié une nouvelle contrainte pour le salarié quand d’autres ont dénoncé une réforme en demi-teinte.
L’exemple le plus souvent évoqué est celui de la femme co-titulaire du compte bancaire mais privée de moyens de paiement et ne pouvant, du fait de sa situation maritale, bénéficier réellement de son salaire. La réforme ne change rien, elle n’est pas protégée davantage.
Mais n’aurait-on pas critiqué de manière plus virulente encore les frais bancaires engendrés par l’obligation d’ouverture d’un compte nominatif pour chaque salarié d’une même famille ?
La victime de violences au sein de sa famille aurait-elle été réellement plus protégée dans ce cas ? Rien n’est moins sûr.
Concernant les détracteurs de cette loi, certains ont dénoncé une réforme visant à garantir le recouvrement des créances du salarié et les saisies par l’administration. D’autres ont évoqué la grande précarité de travailleurs saisonniers, parfois mineurs, d’étrangers peu coutumiers des formalités bancaires ou encore de personne en situation d’interdit bancaire.
Il semble utile de rappeler qu’ouvrir un compte bancaire est possible qu’on soit mineur ou « interdit bancaire ». Même si les démarches peuvent être complexifiées par un statut d’étranger ou de mineurs, le développement des offres bancaires sur internet doit permettre de franchir le cap !
Et il le faudra. Quoi qu’on en pense, le législateur a trouvé cette solution pour protéger le salarié – qui doit percevoir le salaire correspondant à son travail – et l’employeur, qui ne doit pas s’interroger sur le destinataire du versement du salaire.
Les sanctions
La réforme est passée plutôt inaperçue fin 2021 et entre en vigueur fin décembre 2022. Si le délai de mise en œuvre permettait sans doute d’être prêt pour la paye de décembre, force est de constater que l’information a assez mal circulé…
Les employeurs ont donc tout intérêt – s’ils ne l’ont pas encore fait – à lancer un audit des RIB communiqués par leurs salariés et d’ordonner, avant Noël, que seuls des RIB mentionnant le nom du salarié lui soient transmis.
Sanctions pénales
Méconnaître les modalités de paiement du salaire telles qu’elles sont prévues par le législateur est puni de l’amende de 3ème classe (art. R. 3246-1 C.trav)
Sanctions financières : le recours du salarié
Fin décembre 2022, à défaut de RIB mentionnant le salarié comme titulaire ou co-titulaire, les salaires ne pourront pas être versés : l’employeur sera donc mis dans l’impossibilité de respecter son obligation de versement du salaire une fois par mois.
S’il le versait malgré tout, il pourrait être poursuivi par son salarié et condamné pour non-paiement du salaire. Il devrait payer le salaire une 2ème fois, sur un compte au nom du salarié cette fois pur justifier que la personne ayant effectué le travail a bien été payée en conséquence.